Communautarisme
Article paru dans L'Anticapitaliste, n°362, 8 décembre 2016.
Le livre provient d'une enquête très fouillée dans la presse quotidienne nationale et un exemple de presse quotidienne régionale (alsacienne) de 1988 à 2015. L'auteur y montre que le mot est spécifiquement français. Contrairement à un mythe sciemment entretenu, il n'est pas emprunté à l'anglais : il est entré dans les dictionnaires usuels du français entre 1997 et 2005 seulement. Son usage explose au cours des années 2000, tout comme celui de radicalisation ou de laïcité : ce sont des mots emblématiques du développement d'un discours idéologique, notamment islamophobe et nationaliste.
Fabrice Dhume-Sonzogni montre ensuite comment les porteurs des discours dénonçant un supposé "communautarisme" cherchent à faire croire qu'il y aurait un projet de ce type dans différentes parties de la population afin de disqualifier toute revendication, par ces parties de la population, d'égalité des droits et toute protestation contre les discriminations subies. Dès lors, ces discours cherchent à "justifier"et à renforcer les discriminations et les inégalités subies par cetaines personns en France, pour mieux en privilégier d'autres. L'auteur met ainsi en lumière cette contradiction : ceux et celles qui accusent les autres de communautarismes sont les communautaristes.
"Un avatar du racisme français"
Pour privilégier et imposer comme seule communauté légitime une communauté etho-nationale françaisequ'ils appellent de leurs vœux (Fabrice Dhume-Sonzogni l'appelle "La Communauté Majuscule"), ils construisent un modèle unique du "citoyen français". Et celles et ceux qui sont différents de ce modèle sont considérés comme des déviants mal intégrés et méprisés, sous la désignation de "communautaristes" parce que leur simple existence met en question l'homogénéité voulue de la nation française, et surtout s'ils réclament d'être des citoyens comme les autres et d'obtenir comme les français conforment au modèle, le respect de leurs droits civiques, culturels, linguistiques. On instaure une communauté ethno-nationale française : une ethnie est en effet un peuple partageant une langue, une culture et une organiqation sociale commune ("Nos ancêtres les Gaulois..."). On fait de la France un pays communautariste en prétendant dénoncer cela chez les autres.
L'auteur conclut que le communautarisme est "un avatar du racisme français à l'époque identitaire". Fabrice Dhume-Sonzogniattire également notre attention sur une autre contradiction : on prétend parler au nom des "valeurs de la République" (la liberté, l'égalité, la fraternité), alors qu'on y porte atteinte de façon gravissime. Et puis ces discours sont proteurs d'un autre danger : celui d'une "politique de la guerre".D'une par, ils peuvent avoir un effet de "prophétie autoréalisatrice et de rétro-stigmatisation"(p.203), conduisant celles et ceux à qui sont assignés ces identités et ces projets supposés à finir par les adopter et les retournercontre la "Communauté Majuscule" qui les stigmatise. D'autre part, cela sert aux tenants de ce discours à "justifier" les atteintes supplémentaires à la démocratie et aux droits humains sous couvert d'une politique "sécuritaire", d'un "état d'urgence", au point même qu'on peut se demander si l'invocation du "communautarisme" n'est pas seulement le fruit de croyances dans cette chimère mais aussi une pure et simple manipulation pour "justifier" le retour d'un régime autoritaire xénophobe et anti-humaniste.
Philippe Blanchet
Lire l'article de Philippe Blanchet sur le blog de Mediapart :
Communautarisme
Lire l'article de Philippe Blanchet sur le blog de Mediapart 31 oct.2016 :
«Communautarisme»: attention aux retours de manivelle!Parmi les mots qui circulent massivement dans l’espace médiatique et traduisent des positions politiques, on rencontre très souvent le terme communautarisme quelque part entre radicalisation et laïcité. Il fonctionne dans une opposition binaire simple, donc simpliste : républicain / communautariste. Il sert à défendre une certaine conception de l’organisation de la société française (conception qui serait républicaine, et la seule à l’être sans alternative possible) contre une autre conception qui constituerait une menace contre cette république voire contre la France elle-même et qu’on appelle communautarisme. Ce communautarisme serait la revendication de droits spécifiques par des minorités divergentes du modèle français, qu’elles soient linguistiques, culturelles, régionales, immigrées, religieuses..., et qui se voudraient communautés intermédiaires entre les individus qui les composent et la communauté nationale française. C’est, le plus souvent aujourd’hui, en direction d’une supposée communauté arabo-musulmane que le terme communautarisme est brandi, avec une connotation très péjorative, voire agressive, à la hauteur de la menace qui pèserait sur la France.
Fabrice Dhume vient de publier une ouvrage qui présente une analyse complète des usages de ce terme, de ses significations, de ses effets, et, en conclusion, de son contenu politique. C’est un ouvrage de sociologue, spécialiste des discriminations, réalisant avec rigueur scientifique et de façon efficace une étude des discours. Le livre, fondé sur un premier travail réalisé en 2004-2005 puis complété en 2015, rend compte d’une enquête très fouillée dans la presse quotidienne nationale et un exemple de presse quotidienne régionale (alsacienne) de 1988 à 2015. Une annexe méthodologique permet de mesurer la solidité et la fiabilité de l’analyse.
Une idée... typiquement française!
Dans un premier temps, F. Dhume montre que le mot est un néologisme spécifiquement français. Contrairement à un mythe tenace, il n’est pas emprunté à l’anglais, pas plus que son contenu sémantique d’ailleurs, car ce que communautarisme recouvre en français n’existe pas dans la société états-unienne quoi qu’en disent les discours usant de ce terme. Entré dans les dictionnaires usuels du français entre 1997 et 2005 seulement, son usage assez rare jusque là explose au cours des années 2000, toute comme celui de radicalisation ou de laïcité : ce sont là des mots emblématiques du développement d’un discours politique en relation directe avec certains évènements ou questionnements (port d’un foulard sur les cheveux par des jeunes filles à l’école et loi de 2004 qui s’en suit, attentats de 2001 et de 2015-16, débat sur l’identité nationale à partir de 2008, loi interdisant de couvrir son visage en public visant la burqa en 2010, etc.). Jusqu’à ces années là, communautarisme, terme technique d’invention récente, était très rare et désignait tout autre chose, en lien avec la Communauté Économique Européenne. Dans le suivi chronologique des étapes du développement du discours « communautariste » français, F. Dhume montre comment on passe d’un usage réduit dans les années 1990 à propos d’organisation de la communauté européenne à des usages massifs à propos des Musulmans de France dans les années 2000 puis à une corrélation à des questions dites « sécuritaires » et enfin, dans les années 2010, à une « banalisation du référentiel nationaliste ».
Il est frappant de constater que radicalisation a connu le même type de transformation profonde dans sa portée et ses usages, exactement à la même période et en relation avec les mêmes éléments du contexte politique.
Ceux et celles qui accusent les autres de communautarisme sont les communautaristes
F. Dhume montre ensuite comment toute une série d’usages pose le terme (et, partant, son contenu supposé) comme une évidence sans jamais l’interroger, dans la presse, dans des sondages, dans des essais politiques toujours plus nombreux sur le sujet. Or, si on examine la question de façon sérieuse, rationnelle, méthodique, on se rend compte que ce prétendu communautarisme est une « chimère » inventée par le nationalisme français, pour reprendre le sous-titre du livre. En effet, F. Dhume montre qu’il n’existe aucun élément probant qui pourrait conduire à conclure qu’il y aurait en France des ensembles de personnes qui affirmeraient massivement constituer des communautés distinctes pour laquelle ces personnes réclameraient une appartenance instituée et des droits spécifiques. Tout au plus existe-t-il des mouvements qui revendiquent pour chaque personne partageant certaines caractéristiques (sociales, linguistiques, culturelles, cultuelles, etc.) l’arrêt des discriminations et une simple égalité des droits sans distinction aucune. Il peut s’agir de Français caractérisés par une langue ou une culture régionales ou apparentées, ou encore d’origine dite « étrangère », issus de migrations plus récentes que les autres, maghrébins ou africains, musulmans, juifs, etc.
En fait, ce qui se passe, c’est que les porteurs des discours pointant un supposé « communautarisme » cherchent à faire croire qu’il y aurait un projet de ce type dans différentes parties de la population pour disqualifier toute revendication par ces parties de la population d’égalité des droits et toute protestation contre les discriminations subies. Ces discours cherchent, dès lors, à « justifier » et à renforcer les discriminations et les inégalités subies par certaines personnes en France, pour mieux en privilégier d’autres. F. Dhume met ainsi en lumière cette contradiction : ceux et celles qui accusent les autres de communautarisme sont les communautaristes. Pour privilégier et imposer comme seule communauté légitime une communauté ethno-nationale française qu’ils appellent de leurs vœux (F. Dhume l’appelle « la Communauté Majuscule »), ils construisent un modèle unique du « citoyen français » : celui-ci ne parle que la bonne langue française qu’il révère de façon quasi religieuse (et surtout son orthographe ancienne), tout comme les « valeurs universelles de la République » dont désormais l’incontournable « laïcité » dans sa nouvelle version intolérante, et il refuse d’entendre qu’il y a loin entre les valeurs affichées et la réalité ; il croit que la France est le pays des Droits de l’Homme et le modèle universel de ce que doit être une « République » ; il communie à la culture nationale commune dont les canons sont ceux des classes dominantes parisiennes ; il entonne la Marseillaise et arbore un drapeau bleu-blanc-rouge à la fenêtre ; il est de type européen et d’héritage catholique ; il descend d’ancêtres gaulois ou tout au moins il le croit, comme il croit à la supériorité de la langue, de la culture, de la pensée françaises et du « modèle républicain » (sous-entendu : « français »)... Celles et ceux qui sont différents de ce modèle sont considérés comme des déviants mal intégrés et méprisés sous la désignation de « communautaristes » parce que leur simple existence met en question l’homogénéité voulue de la nation française, et surtout s’ils réclament d’être des citoyens comme les autres et d’obtenir comme les Français conformes au modèle, le respect de leurs droits civiques, culturels, linguistiques. Du coup, en désignant des ennemis intérieurs même fictifs, on renforce l’adhésion au modèle et le soutien au modèle lui-même. On instaure explicitement et implicitement, directement et indirectement, par définition et par opposition, une communauté ethnonationale française : une ethnie est en effet un peuple partageant une langue, une culture et une organisation sociale communes —et s’imaginant souvent une origine mythique commune (« nos ancêtres les Gaulois »). On fait de la France un pays communautariste en prétendant dénoncer cela chez les autres.
Les multiples dangers des discours qui produisent le communautarisme en prétendant le dénoncer
F. Dhume conclut que le communautarisme est « un avatar du racisme français à l’époque identitaire » (il s’agit de l’époque de l’affirmation d’une identité ethnonationale française) : « Le communautarisme se matérialise dans un discours du groupe majoritaire –éventuellement repris par tous et toutes, au moins par contrainte. Ce discours n’a au départ pas d’autre assise matérielle qu’une projection chimérique, c’est-à-dire l’invention d’un monstre formidable qui concentre, exacerbe et exploite les peurs et les incertitudes d’une époque (…) Comme pour le racisme en général (…), le communautarisme produit les communautés qu’il imagine (...) Adossé à une lecture assimilationniste dont il est l’ombre projetée, ce mot sert à contraindre et à contrôler les groupes minoritaires. » (p.203). F. Dhume attire également notre attention sur une autre contradiction étroitement liée au discours qui invente ce communautarisme (par aveuglement idéologique ou pour manipuler l’opinion) : il prétend parler au nom des « valeurs de la République » que sont la liberté, l’égalité et la fraternité, alors même qu’il y porte atteinte de façon gravissime. Il vise à restreindre la liberté des personnes supposées appartenir à ces communautés (leur liberté de parler aussi leur langue, d’exprimer certaines convictions, de participer au débat démocratique, de s’habiller comme bon leur semble, de pratiquer leur culture, d’aller et de venir...), à maintenir et à renforcer les inégalités qu’elles subissent (puisque d’autres, privilégiés, jouissent d’emblée et sans condition de ces libertés et de tous leurs droits fondamentaux) en construisant des catégories différentes de populations, à briser la fraternité en excluant ces personnes d’une solidarité globale et en les mettant à part.
Enfin, les discours qui révèlent le communautarisme de celles et ceux qui pensent le dénoncer sont porteurs d’un autre danger : celui d’une « politique de la guerre ». D’une part, ils peuvent avoir un effet de « prophétie auto-réalisatrice et de rétro-stigmatisation » (p. 203), conduisant celles et ceux à qui sont assignés ces identités et ces projets supposés à finir par les adopter et les retourner contre la Communauté Majuscule qui les stigmatise. F. Dhume insiste sur le fait que « cette stratégie peut bien finir par réaliser le ‘choc des civilisations’ à force de l’imaginer, et de fait elle offre une formidable opportunité à des groupes adversaires de justifier leur propre entreprise politique sous couvert de ‘jihad’. Le paradoxe de toute prophétie auto-réalisante, c’est que les promoteurs du communautarisme trouveront dans la production émanée de ce discours la justification rétrospective de leurs croyances initiales » (p. 206). D’autre part, cela sert aux tenants de ce discours à « justifier » des atteintes supplémentaires à la démocratie et aux droits humains sous couvert d’une politique « sécuritaire », d’un « état d’urgence », au point même qu’on peut se demander si l’invocation du « communautarisme » n’est pas seulement le fruit de croyances dans cette chimère mais aussi une pure et simple manipulation pour « justifier » le retour d’un régime autoritaire xénophobe et anti-humaniste.
Philippe Blanchet
Lire l'article de Jean-Emmanuel Ducoin paru sur humanite.fr
Gérard Mordillat présente Le Fascisme de Mussolini
Lire l'article de Jean-Emmanuel Ducoin le vendreid 21 octobre 2016
Le bloc-notes de Jean-Emmanuel Ducoin. "Revisiter le texte de Mussolini, pour comprendre l’histoire et aujourd’hui."
Nationalisme Fascisme, fascistes, fachos. Des sombres « matins bruns » aux « retours aux années 1930 » ressassés çà et là périodiquement, hurlons-nous trop aux loups ? Ces mots ont-ils encore un sens exact, précis, référencé ? En somme, qu’est-ce que le fascisme ? Quelle en fut la doctrine politique ? Dans quelles circonstances historiques émergea-t-il ? Et surtout, quel rapprochement opérer avec aujourd’hui ? Les livres de salubrité publique sont trop rares pour les passer sous silence. Les éditions Demopolis publient cette semaine, non sans courage, l’intégralité du tristement célèbre texte de Mussolini le Fascisme (104 pages, 12 euros), écrit en 1932 pour la Nouvelle Encyclopédie italienne. Il constituait à l’époque le début de l’article « Fascisme », paru en France en 1933 chez Denoël, l’éditeur du Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline et d’auteurs comme Rebatet ou Brasillach. Pour la présente publication, Demopolis ne nous laisse pas sans repères. Outre un « avertissement aux lecteurs », dans lequel nous sommes invités à ne jamais oublier que « des crimes contre l’humanité ont été commis en application de cet ouvrage » et que « les manifestations actuelles de haine et de xénophobie participent de son esprit », deux spécialistes ont été requis pour commenter, en préface et en postface, ces lignes qui ont accouché du pire au XXe siècle : Gérard Mordillat, écrivain et cinéaste, et Hélène Marchal, historienne et traductrice. « La publication de ce livre, écrivent-ils en préambule, doit permettre aux lectrices et lecteurs curieux, et parfois inquiets des évolutions du monde contemporain, de se forger leur propre opinion. » Voilà bien le défi. Et l’importance de savoir de quoi il s’agit précisément. Ainsi, le fascisme est une forme particulière de nationalisme, car « il n’y a pas de fascisme sans nationalisme mais il y a différentes formes de nationalisme qui ne sont pas du fascisme ». De même, attention aux contresens : contrairement au libéralisme, le fascisme selon Benito Mussolini est une forme de nationalisme qui exalte le rôle central de l’Etat (« l’État fasciste est une force, mais une force spirituelle qui résume toutes les formes de la vie morale et intellectuelle de l’homme », écrivait le dictateur), tout en affichant un programme social et en se prétendant « ni de droite ni de gauche », ce qui ne manque pas de nous rappeler beaucoup de débats en cours. Vous suivez notre regard ? Mordillat et Marchal expliquent très bien que le Front national de Jean-Marie Le Pen, héritier de Poujade, se voulait nationaliste, anti-étatiste et syndicalophobe. L’arrivée à la tête du FN de Marine Le Pen et de Florian Philippot change radicalement la donne et opère une véritable volte-face. La question de l’État devient donc l’enjeu d’une bataille idéologique. « Le FN, argumentent-ils, tente de réaliser l’union nationale de toutes les classes sociales en reprenant le vieux slogan fasciste : “Ni droite, ni gauche !” Dans le même temps, il s’emploie à mettre à distance l’antisémitisme et le racisme, les crânes rasés, la violence de rue et les saluts le bras tendu comme à l’époque de Mussolini. Le folklore disparaît, l’idéologie se radicalise. »
Prémices La boucle est bouclée : voici le retour du fascisme de Mussolini, une sorte de postfacisme ou de néofascisme. « Face à l’échec du libéralisme, le nationalisme offre une idéologie de rechange à la bourgeoisie en quête d’une traduction politique de ses craintes et de ses attentes », n’hésitent pas à préciser Mordillat et Marchal, après une longue démonstration passionnante des ressorts de la crise économique et de sa sociologie parmi les classes. Non sans oublier de nous mettre tous en garde. « En France, aujourd’hui, existent les prémices d’un fascisme gouvernant l’action de l’État et des services publics : la police, la gendarmerie, les services de renseignement, l’armée, la justice, les services sociaux… » Un fascisme déjà inscrit au cœur de l’État ? En attendant bien pire ?
JE Ducoin
Lire l'article sur le site de là-bas si j'y suis
Gérard Mordillat présente Le Fascisme de Mussolini
Lire l'article sur le site de là-bas si j'y suis
Totalitaire. La Présidente - Tome 2
Article de Carrefour savoirs n°208, octobre 2016.
Il y a un an, François Durpaire publiait la bande dessinée La Présidente, qui imaginait l’élection de Marine Le Pen et un futur sombre pour la France. Ce mois-ci sort Totalitaire, suite effrayante et réflexion sur la surveillance généralisée de nos sociétés. Rencontre avec un historien qui se tourne, une fois n’est pas coutume, vers l’avenir.
Pourquoi donner une suite à La Présidente ?
François Durpaire : On a pensé le premier volume comme un ensemble, sans imaginer faire une suite. Mais un certain nombre de lecteurs ont trouvé que certaines pistes auraient mérité d’être développées ; et c’est aussi le constat auquel on est arrivés au moment de publier le premier tome. Au-delà de l’accession de Marine Le Pen à la présidence, c’est ce qui se passe aujourd’hui dans nos sociétés occidentales qu’on voulait approfondir : la montée d’un nationalisme populiste. L’idée n’était donc pas de faire la suite immédiate du tome 1 avec « Marine à L’Élysée » ou « Marine en vacances », mais de se projeter vers d’autres horizons. Dans le tome 2, vous imaginez que la France a fi ni par devenir un État totalitaire… C’est plausible ? Quand on a sorti le tome 1, certains nous ont dit qu’on allait trop loin… Et depuis, l’état d’urgence a été voté par un gouvernement de gauche, l’Angleterre est sortie de l’Europe, la droite fait des propositions qui dépassent ce qu’on aurait pu imaginer de la part du FN. Donc évidemment, ce n’est pas de la voyance, mais on analyse une mécanique qui pourrait rendre cela possible, qui repose sur du solide. C’est aussi le cas pour le tome 2, qui se base sur les lois de surveillance votées dans le contexte des attentats et explore la surveillance robotisée, l’utilisation sécuritaire de la géolocalisation… Comment se met en place un système politique qui continue à avoir
l’apparence de la démocratie mais qui n’en a pas la réalité ? Quand on voit qu’aux États-Unis, Donald Trump laisse entendre qu’il faudrait abattre son adversaire politique, on sent bien qu’on est sur une pente dangereuse. Il se passe actuellement des choses qu’on n’aurait jamais imaginées il y a trois ou quatre ans.
Vous pensez toujours que Marine Le Pen peut être élue ?
Plus que jamais. Au moment de la sortie du tome 1, les gens nous disaient que ça n’arriverait jamais, et aujourd’hui ce n’est plus le discours majoritaire. Beaucoup d’analyses politiques sérieuses envisagentdésormais l’élection de Marine Le Pen. On n’est plus dans le déni qui entourait la sortie du premier tome. On sent la montée du nationalisme populiste. Sur la base des analyses de leur programme, on estime que la victoire du FN ne serait pas une bonne chose
pour la France. Mais chacun peut avoir son avis, et l’important est de susciter du débat. C’était le cas avec
le tome 1, c’est encore le cas avec le tome 2 qui pose la question de l’évolution de nos sociétés.
Comment enrayer la mécanique de Marine Le Pen, en 2017 ou plus tard ?
À court terme, il faudrait qu’un des acteurs politiques renonce. Si Sarkozy ou Hollande arrive au second tour
face à Marine Le Pen, les reports des voix vers l’un ou l’autre se feront difficilement, c’est donc le meilleur scénario pour le Front national… Pour enrayer cela, il faut que Hollande renonce ou que Sarkozy soit battu dans la primaire. À moyen terme, on se rend compte actuellement, avec la campagne aux États-Unis, que les partis nationalistes populistes cherchent à imposer la vue d’une nation contre le monde. Il faut proposer un patriotisme inclusif pour contrer un patriotisme d’exclusion. Enfin, à long terme, nous devons reconstruire des démocraties éducatives. L’éducation doit être placée au coeur de la société, ce qui permettra de construire de meilleures relations entre le global et le local.
L’éducation va-t-elle dans ce sens-là ?
On peut regarder le verre à moitié plein et se dire que les moyens qui avaient été enlevés sous le mandat Sarkozy ont été remis sous Hollande… mais les déchets éducatifs du siècle ne sont pas du tout traités. Au lieu de rester sur une éducation saucissonnée, il faut mettre au coeur la relation – à soi, aux autres, à la planète. Il faut complètement changer le paradigme éducatif, et passer à une éducation du XXIe siècle, qui place au centre l’apprentissage de la relation. C’est un grand chantier, et on est très loin de ça. Pour l’instant, les enfants apprennent à l’école comme nos parents et nos grands-parents avant eux. On n’est pas à la hauteur des défi s d’aujourd’hui. Respecter la vie des autres,
les préférences sexuelles, accepter l’échec pour mieux rebondir… Ce défi cit de l’éducation ouvre la porte au sectarisme et au fanatisme, qui s’y engouffrent. C’est d’ailleurs la thématique que nous développerons dans le tome 3 de La Présidente ! Il sera moins sombre que les deux autres, nous y explorerons la montée d’une résistance culturelle et éducative qui permet d’« éduquer à la vie », pour reprendre la formule d’Edgar Morin
Propos recueillis par Jean-Nnicolas Berniche.
Totalitaire. La Présidente - Tome 2
Article l'entretien avec François Durpaire paru dans Le Courrier de l'Atlas, n°107, octobre 2016.
L’historien est l’auteur de “La Présidente”, une bande dessinée d’anticipation en noir et blanc illustrée par Farid Boudjellal, qui imagine la victoire de Marine Le Pen à élection présidentielle de 2017. Sorti en novembre 2015, le tome 1 est consacré aux neuf premiers mois de sa présidence. Dans le tome 2 (à paraître le 26 octobre), le tandem va plus loin et dépeint une France en proie à la guerre civile.
Comment expliquez-vous le succès du 1er tome, paru la veille des attentats du 13 novembre 2015, et qui s’est vendu à 120 000 exemplaires ?
Je pense que tous les ouvrages qui essayent de proposer une distance par rapport à un événement ont du succès.
On va chercher dans le passé des clés de réflexion sur le présent. Au rayon des récits d’anticipation, on a vu par exemple le bon accueil réservé au roman de Michel Houellebecq, Soumission (dans lequel l’écrivain imagine l’accession à l’Elysée d’un leader musulman, ndlr) ou à celui de Michel Wieviorka, le Séisme, Marine Le Pen présidente,
qui parle de la même chose que notre BD, la victoire de Marine Le Pen. Ces livres ont en commun une volonté d’aller chercher dans l’avenir des réflexions, de les décrypter tout en prenant de la distance par rapport aux flux d’informations. Il y a une notion de science-fiction civique, d’engagement citoyen. C’est de la simulation politique.
Beaucoup de gens se disent qu’ils voteraient bien pour Marine Le Pen, mais ils ne savent pas à quoi s’attendre.
Il y a une sorte d’inconnue qu’on essaye de lever avec le plus de réalisme possible. C’est un travail d’historien qui rassemble des sources, qui compile ce qui a pu être dit par Marine Le Pen sur son accession au pouvoir. Le dialogue avec François Hollande à l’Elysée que nous mettons en scène dans la BD, elle l’a évoqué dans une émission sur Europe 1. De même, quand je lui fais dire “bonne dolce vita”, c’est ce qu’elle a dit qu’elle dirait.
Justement, comment avez-vous travaillé pour donner du réalisme à cette fiction ?
On a pris des extraits du programme du FN pour les faire connaître au plus grand nombre et tirer des FRANÇOIS DURPAIRE vembre 2015, et le 13 novembre… La BD est donc sortie dans un climat assez particulier. On a prévu par
exemple que Marine Le Pen allait mettre en place l’état d’urgence et la garde nationale. Et c’est un autre président,
en l’occurrence François Hollande, qui l’a fait. C’est aussi un point important de notre travail.
Quelle est votre méthode sur ce point ? En France, on se focalise beaucoup sur les données statiques, alors qu’aux Etats-Unis, par exemple, on s’intéresse aux dynamiques. Là-bas, quand on parle de sondages, on parle de votants potentiels, possibles, ici, on reste figé sur des sondages réalisés à des moments précis. Je travaille en croisant les signaux. Dans le tome 2, le candidat du front républicain s’appelle Mohamed. Pensez-vous que les Français sont prêts à élire un président d’origine maghrébine ? Au départ du tome 2, on dit que oui. Il essaye demettre du lien entre les gens. Peu importe leur origine. On s’est dit “tiens, cette partie du programme, quelle traduction pourrait-elle avoir en termes de politique étrangère, dans le domaine économique ou dans les rapports à l’Outre-Mer ?” Ensuite, on a réuni
une équipe pour travailler avec nous. Sur les questions économiques, par exemple, je cite souvent Emmanuel Lechypre
(journaliste économique, ndlr). Il a son personnage dans la BD, et c’est lui qui a écrit “son” texte pour que les lecteurs aient un maximum d’informations. C’est comme s’ils allumaient BFM le 7 mai 2017 et qu’Emmanuel Lechypre commentait en direct les premières mesures de Marine Le Pen. Pareil pour Walles Kotra (directeur du réseau Outre-mer 1re et France Ô, ndlr) lorsqu’il me dit “Voilà ce qui peut se passer si Marine Le Pen va au bout de son idée de refuser le référendum à la Nouvelle-Calédonie”. Il s’agit vraiment d’être au plus proche de ce qui pourrait être la réalité.
D’ailleurs, en cherchant à vous rapprocher de la réalité, vous en arrivez même à anticiper certains événements…
Le tome 1 est prémonitoire sans vouloir l’être. On parle par exemple du Brexit qu’on avait anticipé, de l’état d’urgence. Pourtant, au moment où on le préparait on ne se savait pas ce qui allait se passer (les attentats du 13 novembre, ndlr). On avait d’ailleurs un temps envisagé de mettre en scène un attentat pour imaginer ce qui pouvait se produire sur le plan électoral. On a renoncé et on a eu raison. Le livre est sorti le 12 novembre 2015, et le 13 novembre… La BD est donc sortie dans un climat assez particulier. On a prévu par exemple que Marine Le Pen allait mettre en place l’état d’urgence et la garde nationale. Et c’est un autre président, en l’occurrence François Hollande, qui l’a fait. C’est aussi un point important de notre travail.
Quelle est votre méthode sur ce point ?
En France, on se focalise beaucoup sur les données statiques, alors qu’aux Etats-Unis, par exemple, on s’intéresse aux dynamiques. Là-bas, quand on parle de sondages, on parle de votants potentiels, possibles, ici, on reste figé sur des sondages réalisés à des moments précis. Je travaille en croisant les signaux.
Dans le tome 2, le candidat du front républicain s’appelle Mohamed. Pensez-vous que les Français sont prêts à élire un président d’origine maghrébine ?
Au départ du tome 2, on dit que oui. Il essaye de mettre du lien entre les gens. Peu importe leur origin.Il y a des forces contradictoires au sein d’une société. Regardez l’Amérique qui vote Obama en 2008 et qui s’apprête à voter Trump en 2016. Tout dépend de l’abstention, du corps électoral. Donc, oui, Mohamed fédère toutes les forces de gauche et même de droite pour un front républicain. Mais évidemment tout ne va pas se passer comme prévu…
On est vraiment dans l’anticipation avec un front républicain qui serait composé de Valls, Pécresse, Lemaire…
En cas de victoire de Marine Le Pen, les cartes de la politique seraient complètement rebattues. Encore une fois, dans le tome 2, on va un peu plus dans la science-fiction politique et un peu moins dans le récit d’anticipation. On assume le fait de changer un petit peu le genre. On ne voulait pas utiliser les recettes qui ont fait le succès du numéro 1.
Déchéance de la nationalité étendue à tous les Français qui ont au moins un grand-parent étranger, centres pour migrants avec robots surveillants, recensement des musulmans… Est-ce que c’est réellement possible ?
Les pouvoirs du chef de l’Etat français sont les plus étendus de toutes les démocraties du monde. Sur le recensement des musulmans, le lecteur peut faire le parallèle historique qui saute aux yeux, mais qu’on n’a pas voulu expliciter plus. On a voulu le laisser maître de son interprétation.
La relation conflictuelle de Marine Le Pen et Marion Maréchal relève-t-elle vraiment de la pure fiction ?
Non, certains cadres du FN nous ont même demandé qui était la taupe qui nous avait renseignés pour le tome 1. Dans le tome 2, on a été amenés à creuser, et on a effectivement eu des infos. Toutes les scènes qui semblent cocasses ou inventées sont bien réelles…
Est-ce que la tentative de dédiabolisation du FN est réussie ?
L’idée première était de sortir du déni ; ensuite, la deuxième idée, c’était de dire que Marine Le Pen s’est très largement normalisée. Mais selon certaines analyses politiques, il reste tout de même un plafond de verre lié à la peur qu’elle inspire. Celles-ci s’appuient sur les résultats des élections régionales, mais ces derniers ne sont pas mauvais. Cela montre que la présidente du FN est en progression d’élection en élection, même si elle n’en a reporté aucune. Aujourd’hui, les propos les plus saillants sont du côté des Républicains. Sur le champ lexical, Marine Le Pen fait très attention. Ses propos sont même plus aseptisés que ceux du candidat Nicolas Sarkozy sur les ancêtres les Gaulois par exemple. On ne travaille pas sur la famille Le Pen, on travaille sur la lepénisation sur des esprits.
Propos recueillis par Nadia Hathroubi-Safsaf
Lire l'artcile sur Mediapart :
Communautarisme, Enquête sur une chimère du nationalisme français
Lire l'artcile de Walda Bey sur Mediapart, 11 octobre 2016.
10 ans après que l'institution scolaire lu ai commandé un travail autour des questions de "racisme, antisémitisme et communautarisme" 1, Fabrice Dhume sociologue, reprend sa recherche concernant l'usage du mot " communautarisme" et enquête. Il démontre comment se construit un ennemi d'Etat fictif, comme seule réponse entre autre, à l'échec de la gestion des questions d'intégration.
Fabrice Dhume, sociologue, chercheur à l’ISCRA, enseignant-chercheur à l’université Paris Diderot et membre de l’unité de recherche Migrations et société (URMIS), il travaille depuis une vingtaine d’années sur la question des discriminations raciales, particulièrement dans le champ éducatif. En 2007, une première enquête lui est commandée par l'E N autour des questions de "racisme, antisémitisme et communautarisme", à l'époque déjà le 3ème thème le questionne, il va donc reprendre son travail de recherche presque 10 ans après et le résultat est un ouvrage sorti en Septembre 2016. D'où vient de terme, quand et comment apparaît il dans le discours politique et médiatique, comment il est utilisé, le message qu'il véhicule, sa diffusion quantitative.... Comment ce terme qui n'existe pas en Anglais, participe à développer une logique focalisée et policière du contrôle social à l'espace public.
Au terme de cette longue enquête, il apparaît clairement que le terme "communautarisme" est " un opérateur dans le langage politique d'une manière de vouloir dessiner un rapport de force dans lequel on voit que l'Islam sert à justifier à un moment donné, un certain nombre de choses, bien plus qu'on ne s’intéresse à la manière réelle dont vivent les "musulmans" de France." F. D.
Au delà de son aspect épouvantail, l'utilisation de ce mot permets aux frustrés de toutes sensibilités politiques, le déballage minable comme on le constate jusque sur Médiapart des préjugés négatifs qu'ils portent en eux sur les "Musulmans", lorsque ce n'est pas celui d'un racisme à la mode bowna qui ne témoigne que de leur nostalgie d'un temps aujourd’hui révolu.
J'y reviendrai lorsque j'aurai fini la lecture de l'ouvrage.
Lire le compte-rendu dans le dernier numéro de la revue Annales. Histoire. Sciences sociales, par François-René Martin.
Nikolaus Pevsner, arpenteur des arts
Lire le compte-rendu dans le dernier numéro de la revue Annales. Histoire. Sciences sociales, par François-René Martin.
revueLire la recension dans le numéro d’été de la revue Urbanisme
Immobilier. Une passion française
Lire la recension dans le numéro d’été de la revue Urbanisme.
L’immobilierUne passion française
Sylvie Landriève, Demopolis, 2016
Lire l'article de Jean-Pierre Véran sur le site de la Revue internationale d'éducation de Sèvres
Aux heures suisses de l'école républicaine
Cet ouvrage, préfacé par Michel Espagne, est bien plus qu’une étude de cas circonscrite à l’espace franco-romand.
Il propose en effet, comme l’indique le titre de la première partie, de « relier les espaces pédagogiques », en mettant en lumière l’émergence des « internationales de l’éducation et savoirs métissés » – c’est le titre de la deuxième partie – dans la deuxième partie du XIXe siècle, pour démontrer que les spécificités nationales en éducation sont plus le résultats d’emprunts et de réinterprétations ad usum Galliae, comme l’indique la troisième partie, pour ce qui concerne la France. La pédagogie est un « transfert culturel », résultant de connexions oubliées, que l’ouvrage remet en pleine lumière.
Il constitue une plongée passionnante dans les années du Second Empire français, qui provoque le départ de proscrits et l’émigration d’opposants républicains en Suisse romande, comme Edgar Quinet ou Ferdinand Buisson, professeur à l’académie de Neuchâtel de 1866 à 1870, qui sera l’un des architectes des grandes lois scolaires de la Troisième République. Celles-ci n’ont pas été élaborées dans un cadre national fermé mais sont le fruit d’échanges au sein d’une constellation pédagogique européenne, où se fécondent mutuellement les expériences bataves, germaniques, italiennes, espagnoles, helvétiques et françaises.
Alexandre Fontaine met en perspective la naissance des organisations internationales : internationale des travailleurs à Londres et Croix rouge en Suisse en 1864, exposition universelle de Paris (1867) et Ligue internationale pour la paix et la liberté à Genève en 1867, où la Suisse confédérale, plus vieille démocratie du continent européen, sert de modèle à une vaste confédération européenne. Dès ce premier congrès de la Ligue, la question de l’éducation est posée car il est décisif de transformer les masses par l’instruction. Ferdinand Buisson publie par exemple en 1868, dans la revue Les États unis d’Europe (n° 16), un article manifeste intitulé « L’abolition de la guerre par l’instruction ». On envisage donc une association pédagogique universelle, dans laquelle la Suisse romande, au travers notamment du travail d’Alexandre Daguet et du rayonnement de son périodique, L’Éducateur, jouera un rôle fédérateur. Invité par le ministre français Victor Duruy à l’occasion d’une grande conférence de la Sorbonne pour le perfectionnement des instituteurs français, Daguet insiste sur « l’identité de but, d’efforts, d’aspirations chez tous les instituteurs ». Se constitue un réseau international de presse pédagogique, de Darmstadt à Vienne, en passant par Londres, Madrid, Milan et Paris, dont le pivot est en Suisse romande. Le résultat de ces intenses échanges est ce qu’Alexandre Fontaine appelle « connexions et bigarrures pédagogiques », manifestes dans la composition de l’équipe de rédaction du Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire de Ferdinand Buisson, qui compte cinq Helvètes, notamment Daguet, organisateur général de la partie helvétique. Buisson lui-même explique la nécessité d’« apprendre à jeter les yeux par dessus la frontière, à comparer, à juger, à choisir et finalement à faire œuvre originale en transposant ad usum Galliae tout ce que l’expérience d’autres peuples nous offrait de meilleur ». Si les mêmes observations valent pour l’éducation musicale, la gymnastique scolaire, les colonies de vacances, on jugera particulièrement intéressante l’étude du transfert et de la réinterprétation des éléments de morale laïque de l’espace helvétique vers la France par les cadres de l’école de la Troisième République. « L’enjeu de cette morale républicaine s’est peu à peu cristallisé, écrit Alexandre Fontaine, sur “la dimension sacrée du politique et la dimension politique du sacré” ».
Le résultat de cette étude, fruit d’une recherche doctorale menée en cotutelle internationale, consiste à « remettre l’étranger au centre du débat ». C’est aussi d’interroger le concept de « modèle », qui conduit trop souvent à minorer les dynamiques d’échanges, les contaminations et hybridations culturelles. Et un appel à « ne pas se satisfaire d’une réalité compartimentée, mais plutôt de chercher à éclairer les inclusions et retracer les multiples resémantisations des idées et des savoirs scolaires ». En cela, il renouvelle notre regard sur la spécificité du modèle d’éducation français.
L’un de ses apports est de faire apparaître la fécondité des échanges franco-romands dans un espace de communication pédagogique et éducatif ouvert, porté par l’idéal de paix universelle. On croise dans cet ouvrage Courbet et Marx, Macé et Garibaldi, Cousin et Pestalozzi. On ne serait pas surpris d’y rencontrer les pères fondateurs de la classification universelle des documents, l’américain Melvil Dewey (classification décimale Dewey, 1876), ou les belges Paul Otlet et Henri Lafontaine, créateurs de l’Institut international de bibliographie (1895) et de la classification décimale universelle (CDU) qui, à leur tour, vingt ans avant la Première Guerre mondiale, reprendront les mêmes aspirations fondamentales : il faut se connaître pour éviter la guerre. « Le livre, c’est le meilleur et le plus réfléchi de l’homme, le lien social par excellence »…
Jean-Pierre Véran
Lire l'article de Peter Metz sur le site H-Soz-Kult
Aux heures suisses de l'école républicaine
Lire l'article de Peter Metz sur le site H-Soz-Kult
Lire l'article de Xavier Riondet dans la revue Recherches et Educations
Aux heures suisses de l'école républicaine
Lire l'article de Xavier Riondet dans la revue Recherches et Educations
Lire l'article de Pierre-Philippe Bugnard dans les Annales fribourgeoises
Aux heures suisses de l'école républicaine
Lire l'article de Pierre-Philippe Bugnard dans les Annales fribourgeoises
Lire le compte-rendu de Lectures/LienSocio :
Lire l'article paru dans lea Revue de l'art :
L'immobilier. Une passion française
Lire la critique d'Arnaud Bouteille, article paru dans Etudes foncières mai juin 2016.
Zimmerwald
Article de Charles Jacquier paru dans le Monde Diplomatique n°747 - juin 2016
En 2014, le centenaire de la première guerre mondialea donné lieu à de nombreuses publications. L'année suivante, celui de Zimmerwald a été ignoré., au présent ouvrage près. Il est destiné à ceux qui veulent avoir une vision globale du prelier conflit mondial et de ses opposants tout en revenant sur les origines de la scission durable qu'allait connaître le mouvement ouvrier à la fin de la guerre. En août 1914, la majorité des socialistesdes pays rivaux, en dépit de leurs déclarations antérieures, s'étaient ralliés à l'union sacrée. Après cet échec, une rencontre internationale parvint, en dépit des obstacles, à réunir les socialistes - dont Lénine et Léon Trotski - dans le petit village deZimmerwald, en Suisse alémanique, en septembre 1915. Ils réaffirmèrent leur opposition à la guerre, dénoncèrentla politique es Etats belligérants et demandèrent une paix sans annexions ni sanctions, seule à même, selon eux de permettre la lutte pour le socialisme. En avril 1916, une seconde conférence se tint à Kiendtal pour réaffirmer les principes internationnalistes du prolétariat sur la quesrion de la paix, et pour dénoncer le nationnalisme et l'impérialisme.
Charles Jacquier
Lire l'article sur sur le site du journal Les Echos
L'immobilier. Une passion française
Lire l'article sur sur le site du journal Les Echos
En France, les prix de l'immobilier ont doublé pendant les années 2000. Et ce malgré les efforts des pouvoirs publics pour contenir cette inflation. Une situation qui a pour effet de stériliser une part croissante des revenus des individus ou des entreprises dans l'achat de biens, avec des conséquences funestes sur les autres investissements (productifs, par exemple) ou sur l'emploi, compte tenu de la faible mobilité qu'entretient le prix élevé des logements. Dans ce livre très étayé, l'auteur, qui travailla longtemps dans le secteur immobilier, dissèque les rouages d'un mal français, celui d'un marché de l'ancien miné par les dysfonctionnements, qu'il s'agisse des politiques publiques aussi coûteuses qu'inefficaces, du manque de discernement des acteurs ou encore de la spéculation, au sens large du terme, que l'on rencontre à tous les étages. Pour adapter le secteur immobilier aux exigences de la société contemporaine, il faut commencer par « relâcher la tension sur les prix immobiliers », préconise Sylvie Landriève. Vaste programme.
D. Fo.Nikolaus Pevsner, arpenteur des arts
Lire le compte rendu de Lectures/Lien Socio sur le livre d'Émilie Oléron Evans, Nikolaus Pevsner, arpenteur des arts. Des origines allemandes de l'histoire de l'art britannique.Lire l'article "Debout contre Vichy" d'Antony Burlaud, Le Monde Diplomatique, n°744, mars 2016.
Liberté Liberté chérie
Lire l'article "Debout contre Vichy" d'Antony Burlaud, Le Monde Diplomatique, n°744, mars 2016.
Liberté Liberté chérie
Mendès France historienLire l'article dans la Revue Tiers Monde n° 225
larevue
La microfinance et ses dérives
Lire l'article sur le livre La microfinance et ses dérives : émanciper, discipliner ou exploiter ? d'Isabelle Guérin paru dans la Revue Tiers Monde n° 225
larevue
Liberté Liberté chérie
Article de Raymond Krakovitch paru dans l'OURS n°454 janvier 2016
Pierre Mendès France, écrits du résistant
Vincent Duclert a eu l'heureuse idée de republier, sous le patronage de l'institut PMF et de la fondation Jean Jaurès, un livre significatif de l'époque de l'Occupation et de la Résistance, qui risquait d'être oublié.
Pierre Mendès france a rédigé en 1942 à New York ce récit sur les périgrinations qui l'avaient conduit aux Etats Unisaprès avoir dû affronté des événements hors norme. Les publications antérieures étaient épuisées et ne comprenaient pas les considérables annexes qui aident à pleinement les saisir.
Le député de l'Eure avait pris place sur le Massilia, navire destiné à conduire en Afrique du Nord les parlementaires désireux de poursuivre la lutte contre l'Allemagne en dépit de la demande d'armistice formulée par Pétain le 17 juin 1940. Dans un revirement scandaleux Vichy va déclarer dès les semaines suivantes que ces passagers étaient des fuyards, ce qui aboutit à l'arrestation, entre autres, de PMF, ramené en Métropole avec une accusation de désertion dénuée de tout fondement. Sa qualité de Juif et d'ancien ministre de Léon Blum n'était pas étrang§re à la vindicte qu'il sucitait chez les nouveaux maîtres du pays.
PROCES ET EVASION
On suit avec attention le procès qui, à Clermon-Ferrand, se conclut au printemps 1941 par une condamnation inique à six ans de prison. Dès que celle-ci est devenue définitive, Mendès France prépare avec minutie son évasion dont les modalités, en juin 1941, se lisent comme un roman policier. Sa réussite déclenchea une rage démeusurée des autorités.
La suite de la narration, qui comprend la tentative de rejoindre l'Angleterrre et s'étend jusqu'à l'hiver 1942, suscite en revanche la perplexité lorsqu'on apprend, par une note en bas de page, que le récit de plusieurs mois difficiles, de cachette en cachette, est... inventé, car PMF avait réussi à passer en Suisse dès le 4 août 1941 et, de là, au Portugal puis à Londres, d'où il va rejoindre sa femme et ses enfants à New York, avant de revenir en Angleterre, servir comma aviateur, puis ensuite gagner Alger., nommé par De Gaulle commissaire aux finances (Comité français de Libération nationale).
L'explication qui est donnée découle de la nécessité, en 1942, de tromper l'ennemi sur les complicités qui ont permis ce parcours, en faisant croire que le départ de France a été beaucoup plus tardif qu'en réalité. Elle aurait mérité d'être davantage commentée en 1977, lorsque PMF a agrémenté le texte initial de différentes précisions. On regrette également qe la réalité de son action jusqu'à la Liberation n'ai pas été ajoutée à l'ouvrage.
....
Raymond Krakovitch
Lire l'article d'Elisabeth Bussienne paru dans Cahiers pédagogiques :
http://www.cahiers-pedagogiques.com/Abc-de-la-laicite
ABC de la Laïcité
Article d'Elisabeth Bussienne paru dans Cahiers pédagogiques :
Au moment où la laïcité est instrumentalisée de toutes parts pour servir des intérêts et idéologies contradictoires, où l’école est sommée d’être le rempart de ladite laïcité, on pourrait évidemment craindre le pire en ouvrant un nouvel ouvrage consacré au sujet. Heureusement, il n’en est rien. On est face à un ouvrage très pédagogique plus que de parti-pris et les contributeurs de la partie centrale sont suffisamment nombreux et variés pour qu’aucune thèse militante ne s’en dégage.
La première partie est consacrée à l’histoire de la laïcité en France, au contexte européen, à ce que disent les textes constitutionnels et juridiques de la laïcité, à des éléments de définition… et même aux « dérives sémantiques » qui, depuis 1925, sont les marqueurs de polémiques. Les éléments de débat sont présentés, le cas particulier de l’Alsace Moselle pris en compte. C’est clair, avec des tableaux synoptiques qui synthétisent les notions principales, les textes essentiels, et comme dans l’ensemble de l’ouvrage, une maquette aérée et une belle part faite aux dessins humoristiques d’ALF.
La seconde partie présente les articles de la Charte de la laïcité ; pour chacun, une page en donne le texte et le commentaire d’une personnalité ; suivent une ou deux illustrations dont beaucoup peuvent servir de documents dans un travail avec des élèves. La plupart du temps, ces contributeurs (parmi lesquels la philosophe C Kintzler, le politique J Glavany, l’IEN et ex-président du HCI Alain Seksig, bref des personnalités très différentes les unes des autres) définissent les notions utilisées dans l’article : ainsi pour l’article 1, MF Bechtel (conseillère d’état et députée) définit « République indivisible » et « caractère laïque/caractère démocratique/caractère social/de la République », en deux à quatre lignes chaque fois – contrainte de maquette oblige – ce qui conduit à aller à l’essentiel.
Une courte troisième partie est consacrée à la laïcité en éducation, rappelant qu’elle n’est en rien discrimination mais fondement de la liberté individuelle – une façon de solder une équivoque qui nourrit une partie des débats actuels comme les positions de certaines mairies quant à leurs cantines. En annexe, la version intégrale de textes cités partiellement dans la première partie (déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, loi de séparation des Eglises et de l’Etat, circulaires récentes etc), un lexique et une bibliographie.
La variété des textes, la diversité de leur niveau de difficulté, l’ample iconographie font de ce livre un ouvrage accessible à divers types de lecteurs : si seuls les enseignants, les citoyens non enseignants intéressés par le sujet (et les lycéens, avec parfois de l’aide) peuvent profiter de l’ensemble, bien des passages sont accessibles, avec accompagnement du maître, à des collégiens, et certaines illustrations peuvent être utilisés dans un travail avec des élèves de fin d’école primaire. On a bien un ouvrage de référence dans lequel chacun pourra trouver quelque chose à apprendre ou matière à réfléchir.
http://www.cahiers-pedagogiques.com/Abc-de-la-laicite
Aux heures suisses de l'école républicaine
Lire l'artcile paru dans le magazine L'Histoire :ABC de la Laïcité
La Laïcité de A à Z
Eddy Khald, défenseur et spécialiste de la laïcité reconnu, avec Alin Faillat (ALF) pour l'illustration, proposeent, sous un titre modeste ABC de la laïcité, un livre, pourtant plus ambitieux et très utile. Dans une période de confusion sur les mots et où les interprétations divergent fortement sur ce que veut dire la laïcité dnas notre République, il est important, en effet, d'y voir clair.
Le livre comprend trois parties d'égale importance. Il commence par définir ce qu'est la laïcité en s'appuyant sur le corpus juridique qui constitue la loi de la république. Il le fait en donnant également une perspective historique en distinguant les trois temps de la séparation de les Eglises et de l'Etat, celle de l'Eglise et de l'Etat civil, avec la Révolution française, de l'Eglise et de l'Ecole, dans les années 1880, enfin, de l'Eglise et de l'Etat. Cette partie présente aussi un état des lieux pour analyser la place de la laïcité dnas l'enseignement public., dans le service public et dans les textes internationaux, en Europe notamment, où elle n'a pas le même statut selon les pays.
La seconde partie plus originale, offre un commentaire de la Charte de la laïcité pour l'école, adoptée à l'initiative de Vincent Peillon. Chacun de ses quinze articles est commenté par une personnalité du monde laïque : Jean Glavany, Catherine Kintzler, Caroline Fourest, Henri Pena Ruiz, Patrick Kessel, Rémy Schwartz entre autres. Chacun sait évidemmentqu'un affichage ne suffit pas et que la charte est là pour être expliquée, débattue, appropriée. Ces textes aideront les enseignants à le faire.
La dernière partie revient sur l'école publique en marquant les différences entre l'école publique et l'école privée. L'auteur, militant de l'école laïque, auteurs d'ouvrages antérieurs sur le sujet, explicite les raisons pour lesquelles l'enseignement privé catholique ne peut pas, en fait, remplir réellement "une mission de service public", en mettant, à la fois, "la nécessité de la liberté" comme "la nécessité de l'égalité" dans l'éducation. La difficulté, cependant, cependant, est qu'aujourd'hui, plus encore qu'en 1984, l'enseignement privé n'est pas choisi principalement pour des raisons religieuses par des parents. Il aurait été intéressant de, dans cette dernière partie, d'analuyser la question dans toutes ses dimensions présentes.
Mais, tel qu'il est, ce livre - surtout si on y ajoute des annexes copieuses qui offrent tous les textes juridiques et officiels utiles - présente de un rééel intérêt pour les lecteurs qui sont, à la recherche de définitions, d'explications, de références précises. Libre à eux ensuite - mais c'est l'esprit de la laïcité - de poursuivre leurs réflexions au miroir des réalités actuelles.
Alain Bergouniou, L'OURS n°453 - décembre 2015
Aux heures suisses de l'école républicaine
L’ouvrage de M. Alexandre Fontaine est la version éditée de sa thèse « Transferts culturels et déclinaisons de la pédagogie européenne, le cas franco-romand au travers de l’itinéraire d’Alexandre Daguet », soutenue en juin 2013 à l’Université de Fribourg (Suisse) en co-tutelle avec Paris-8. Tout l’objet de ce remarquable travail est l’étude des transferts culturels dans la pédagogie à la fin du XIXe siècle, à partir d’un fil conducteur : le parcours d’un professeur devenu directeur d’école normale et professeur d’histoire à l’académie de Neuchâtel, Alexandre Daguet (1816-1894), qui se trouve au cœur de la construction de l’identité suisse, elle-même construite à partir d’emprunts français et germaniques. Deux sources sont utilisées par l‘auteur pour ce travail sur la circulation des savoirs pédagogiques dans l’espace francophone suisse: le journal L’Educateur (dont on se demande en Suisse en 1880 si ce n’est pas une revue française tant les auteurs français y sont présents), et la correspondance d’Alexandre Daguet qui révèle le rôle de passeur de ce dernier entre la Suisse et la France.
Bien sûr, personne n’ignore que la Suisse a été un pays refuge au XIXe siècle : elle a accueilli nombre de Français proscrits célèbres sous le second empire : Edgar Quinet, Jules Michelet, Pierre Leroux, Georges Clémenceau, Ferdinand Buisson rejoint par Félix Pécaut et Jules Steeg, Jules Barni (le traducteur de Kant en français),…
On le sait, l’exil des républicains français sous le Second empire va permettre des rencontres déterminantes entre individus engagés dans l’action politique et culturelle. Les pédagogies française et suisse, tout comme la République laïque de Jules Ferry, doivent beaucoup à ces échanges entre penseurs et pédagogues.
Là où l’approche de l’auteur est très originale, c’est qu’il parvient à dépasser le stade de la comparaison des différents positions ou pensées importées et échangées pour mettre en valeur non seulement la circulation des idées, mais aussi leur « resémantisation » : il en est ainsi de l’enseignement mutuel qui vient d’Angleterre et qui passe d’un contexte géographique à un autre en se modifiant, des missions et des réseaux pédagogiques, de la gymnastique scolaire, des revues éducatives, du Dictionnaire de Ferdinand Buisson (les instituteurs suisses suivent régulièrement l’avancée du Dictionnaire) . L’auteur montre en effet comment ces étrangers ont à leur tour fait essaimer en Europe, et notamment dans la France de la Troisième République, un modèle suisse réadapté aux caractéristiques du contexte d’accueil.
L’auteur nous place au cœur d’un processus d’internationalisation du champ éducatif, qui passe par des échanges d’idées mais aussi par l’engagement associatif (l’Association pédagogique universelle), les ligues (la Ligue internationale de la paix et de la liberté), les expositions universelles : 1867 (Paris), 1873 (Vienne), 1876 (Philadelphie), 1878 (Paris).
Les points forts de l’ouvrage
1. Cette recherche permet de revisiter les échanges, nombreux à l’époque, entre les pédagogues européens : dans le journal de Daguet L’éducateur figure notamment des contributions du Français Gabriel Compayré. Réciproquement, quand Ferdinand Buisson cherche un collaborateur pour son Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire, il fait appel à un historien suisse né à Londres, James Guillaume qui deviendra le rédacteur en chef de l’œuvre de Buisson. De même, l’idée venue à Ferdinand Buisson d’un « musée pédagogique » recensant tout ce qui se fait en matière pédagogique doit beaucoup aux échanges tissés en Suisse pendant la période d’exil.
2. La construction de systèmes pédagogiques nationaux résulte d’absorptions et de réinterprétations. L’auteur montre comment la pédagogie française va devenir un terrain d’expérimentations de théories suisses qui a leur tour, comme par exemple l’école de Jules Ferry, vont pouvoir être un exemple en Suisse. L’apport décisif de ce travail est de montrer que, contrairement à une idée tenace notamment en France, les principes pédagogiques mis en œuvre dans notre pays n’ont pas été conçus en vase clos mais sont au contraire le résultat national de conceptions et de méthodes à vaste circulation internationale. D’une certaine manière, cette thèse est une thèse sur les transferts culturels, facilités, et l’auteur le montre bien, par les associations de toutes sortes et les congrès internationaux. On est bien au-delà de la seule diffusion d’idées ou de méthodes : il s’agit ici de réinterprétation d’emprunts transnationaux. Il suffit, dit à juste titre l’auteur, « de parcourir le Catalogue noir instauré par Ferdinand Buisson dès 1886 pour constater l’étendue des références étrangères à partir desquelles l’école de Ferry s’est modelée » (p. 12). L’exemple le plus signifiant étudié par l’auteur est sans aucun doute celui de la morale laïque : les éducateurs français et les cadres de l’école de la IIIe République ont transféré et réinterprété des éléments de morale laïque de l’espace helvétique vers la France. De même, le « corps de cadets suisses » a manifestement inspiré nos « bataillons scolaires » d’après- 1870.
3. Bien avant l’OCDE et PISA, il existe une dynamique internationale animée par des pédagogues qui sont en recherche, pour leur pays, d’une amélioration des pratiques. On est bien ici aux origines du benchmarking. Alexandre Fontaine met bien en évidence le lien étroit entre le national et l’universel.
4. Le livre d’Alexandre Fontaine nous fait réfléchir aux pratiques actuelles à la lumière des pratiques du XIXe siècle. Est-ce que les comparaisons internationales devaient inévitablement dériver en compétition internationale et en pilotage pour les résultats (du benchmarking en ranking) ?
5. Enfin, ce travail paraît d’autant plus utile que, dit l’auteur, « nous traversons une période crispation identitaire particulièrement profonde. Accepter que notre histoire soit aussi celle des autres constitue assurément un défi de taille pour l’égo-citoyen du XXIe siècle ».
Au total, un travail de très haute tenue universitaire. Cette plongée dans « les heures suisses de l’école républicaine » n’est pas seulement une leçon d’histoire, elle est une source de réflexions pour aujourd’hui.
Jean-Paul Delahaye
Aux heures suisses de l'école républicaine
Article de Jean Leduc parue dans Vingtième siècle. Revue d’histoire, 128, 2015/4, p. 209.Lire l'article sur Academia :
Lire l'article sur le site de Sept Info :
Lire l'article de Gilles Candar est paru dans l'Humanité n° 21.578, 18-19-20 septembre 2015 :
"L'internationalisme contre la première guerre mondiale"
Zimmerwald
Lire l'article de Gilles Candar est paru dans l'Humanité n° 21.578, 18-19-20 septembre 2015 :
"L'internationalisme contre la première guerre mondiale"
Le centenaire de Zimmerwald est marqué par une publication éditoriale exceptionnelle : les principaux articles, comptes-rendus et manifestes avant, pendant et après l'événement, avec la conférence suivante de Kienthal, en avril 1916, sont réunis, présentés et commentés de manière concise mais très sûre par Julien Chuzeville, historien spécialiste des courants pacifistes et révolutionnaires. Un livre vif, neuf, documenté (avec la liste détaillée des délégués), émouvant aussi, qui est une belle invite à la réflexion sur les divers aspects revêtus par "l'internationalisme".
Lire l'article de Charles Heimberg sur Mediapart publié le 5 septembre 2015 :
"Tu guiders nos pas, Zimmerwald"
blogs.mediapart.fr/blog/charles-heimberg
Zimmerwald
Lire l'article de Charles Heimberg sur Mediapart publié le 5 septembre 2015 :
"Tu guiders nos pas, Zimmerwald"
Du 5 au 8 septembre 1915, 38 délégués provenant d’une douzaine pays se réunissent discrètement à la pension Beau-Séjour de Zimmerwald, près de Berne, en Suisse. Ils s’opposent vertement à la guerre impérialiste et s’engagent pour la paix et la solidarité entre les peuples.
« De quoi Zimmerwald est-il le nom ? », se demande Jean-Numa Ducange dans une préface au livre récemment publié par Julien Chuzeville [1] qui nous propose en français un choix de documents de référence autour des conférences de Zimmerwald et Kienthal en septembre 1915 et avril 1916.
En réalité, le moment Zimmerwald a été beaucoup utilisé après coup, par exemple dans la fameuse chanson de 1936 dont le refrain scandait « Tu guideras nos pas, Zimmerwald ». Le petit village bernois est même devenu une sorte de mythe fondateur de la IIIe Internationale et de l’Union soviétique, la présence de Lénine parmi les 38 délégués prenant toute la place dans la mémoire collective de certains. Alors que la composition de cette délégation était très diverse.
De fait, le moment Zimmerwald représente un événement historique particulièrement intéressant pour au moins deux raisons :
- la première a trait aux usages mémoriels dont il est l’objet, fortement marqués par une perspective téléologique qui fait prévaloir ce que l’on sait du devenir ultérieur d’une situation pour la qualifier après coup : la figure de Lénine, mais aussi celles de Trotsky, Zinoviev ou Radek, incitent à inscrire le moment Zimmerwald dans une continuité qui n’était pas courue d’avance. Or, le travail critique de l’histoire mène au contraire à reconstruire son présent incertain ; et à ne pas oublier d’autres figures comme le syndicaliste français Alphonse Merrheim, l’un des fondateurs d’un Comité pour le rétablissement des relations internationales ;
- la seconde concerne les échelles spatiales de l’histoire. En effet, avec le moment Zimmerwald, c’est toute l’histoire européenne, si ce n’est mondiale, qui s’invite de fait dans un petit village. C’est aussi la Suisse, petit pays qui se dit neutre et n'est pas engagé dans la guerre, engagé dans l’humanitaire en même temps qu’il est une place financière majeure, qui se retrouve en train d’accueillir une conférence dont la portée est forcément de nature internationale. Zimmerwald, cet événement singulier, est donc à connecter. Par conséquent, dans la vision traditionnelle des histoires nationales, et seulement nationales, il serait bien difficile à situer. Il est au cœur d’une histoire européenne ou mondiale depuis la Suisse. Il se révèle donc comme étant inconcevable dans l’optique d’une séparation entre histoire suisse et histoire générale.
Le moment Zimmerwald, pour autant qu’on l’examine comme tel, et non pas en y prenant après coup ce qui nous arrange pour nos préoccupations du présent, comprend bien des éléments de réflexion sur des questions qui hantent notre présent.
Par exemple :
- il nous rappelle que les guerres ont d’abord des finalités économiques, et qu’elles ne profitent jamais aux plus défavorisés ;
- il met en évidence l’enchevêtrement de la question de la guerre et de celle des droits sociaux de tout un chacun dans tous les pays, ce qui mène alors à une posture critique à l’égard du capitalisme et de l’ultralibéralisme ;
- il nous fait réfléchir au caractère néfaste, et dangereux pour les plus faibles, des frontières, et de toutes les formes de souverainisme ou de nationalisme.
« Tu guideras nos pas, Zimmerwald ». Ce refrain de la chanson Zimmerwald devrait d’abord nous inciter à retourner au moment Zimmerwald en mobilisant la méthode historienne pour en reconstruire les incertitudes, la pluralité, la complexité. C’est ainsi que, par un travail d’histoire, nous en tirerons le plus de sens. Notamment pour contribuer à une nécessaire reconfiguration d’un internationalisme du XXIe siècle.
Charles Heimberg (Genève)
[1] Julien Chuzeville, Zimmerwald. L’internationalisme contre la Première Guerre mondiale, Paris, Demopolis, 2015, avec une préface de Jean-Numa Ducange.
blogs.mediapart.fr/blog/charles-heimberg
Lire l'article paru sur le site de Critiques libres, par Jean-François Chalot
ABC de la Laïcité
Lire l'article paru sur le site de Critiques libres, par Jean-François Chalot
Un document argumenté et attrayant
LA LAICITE , INDISPENSABLE POUR VIVRE ENSEMBLE !
UNE EXPLICATION CLAIRE ET COMPLETE SUR CE QU’EST LA LAICITE
Toutes celles et tous ceux qui défendent la laïcité et luttent contre le reniement des politiques bafouant la loi de séparation des églises et de l’Etat trouvent dans ce livre des arguments, des références et la présentation des enjeux du combat laïque.
Toutes celles et tous ceux qui s’interrogent sur ce qu’est la laïcité et qui cherchent des réponses disposent là des textes de base essentiels et aussi une argumentation solide et accessible.
Après avoir consacré un chapitre à l’histoire et à l’actualité de la laïcité, l’auteur présente la charte de la laïcité commentée par quinze écrivains, chercheurs et militants qui ont par leurs écrits apporté leur pierre à la réflexion sur l’actualité de la laïcité.
Le troisième chapitre revient sur la laïcité et l’éducation pour montrer avec force que le « vivre ensemble » passe par le renforcement de la place de l’école publique et par la fin du financement public des écoles privées.
Il ne s’agit pas de remettre en cause la « liberté de l’enseignement »mais de mettre un terme au financement par la République de l’école privée.
« La République finançant et favorisant le dualisme scolaire alimente structurellement la machine à fabriquer de l’inégalité scolaire. Financièrement, la puissance publique encourage les enfants à vivre séparés dans des écoles à finalités distinctes. On prend ainsi le risque de banaliser le prosélytisme religieux et de mettre en danger la cohésion de la nation. »
Rien n’est énoncé dans ce livre sans que la « thèse » défendue ne soit prouvée.
Alors que de plus en plus d’ouvrages demandant la contribution de plusieurs plumes se présentent comme une succession de textes, l’auteur a choisi d’intégrer dans une écriture qui est la sienne des citations des écrivains sollicités….
Certains sont connus du grand public comme Caroline Fourest, Henri Pena Ruiz, Jean-Pierre Scot ou Jean Glavany, d’autres moins mais tous sont des personnes qui ont contribué et qui contribuent à la réflexion sur ce qu’est la laïcité et sur son actualité en 2015.
L’unité d’écriture sous la plume d’Eddy Khaldi donne une très bonne lisibilité et les illustrations, attrayantes apportent le regard complémentaire et original d’un dessinateur de talent.
L’ouvrage se termine par une conclusion centrée sur la « nécessité de la fraternité dans l’éducation » et par de nombreux textes de référence, qu’il s’agisse des lois, des circulaires, des décrets ou d’autres textes.
Aucun sujet dans ce livre n’est mis entre parenthèses, l’ABC est complet et passionnant.
Il se lit comme un roman et pourtant ce n’est pas un roman !
Jean-François Chalot
ABC de la Laïcité
La laïcité pour tous dans « La lettre des élus socialistes et républicains », Communes de France, N° 222 du 25 aout 2015.
Ancien syndicaliste enseignant, Eddy Khaldi avait publié deux livres portant un regard acéré sur les effets néfastes des années Sarkozy pour l'école (Main basse sur l'école publique & La République contre son école, parus également aux éditions Demopolis).
Il propose aujourd'hui un volume très instructif sur la laïcité. Centré sur l'école mais abordant aussi le concept de manière générale, il s'adresse en effet prioritairement à tous ceux qui en sont les acteurs ou les observateurs.
Des définitions simples, du décryptage bienvenu, des approches juridiques utilement expliquées… Dans une matière parfois embrouillée, souvent à dessein d'ailleurs par ceux qui veulent dénaturer la laïcité, le livre d'Eddy Khaldi permettra de retrouver les idées claires. Il explique ainsi de manière efficace comment la laïcité n'est ni anti religieuse ni une exception française, contrairement à ce qui est souvent véhiculé. Il rappelle aussi que, loin de ne concerner que la question religieuse, la laïcité est d'abord et avant tout le primat de la liberté de conscience, l'égalité de toutes les convictions et la neutralité de l'État et qu'elle s'adresse donc ainsi à tous en proposant un cadre d'organisation de la société qui permet précisément de concilier l'ensemble des convictions. Eddy Khaldi revient aussi sur l'histoire mouvementée de la laïcité en France au travers de ses trois séparations (1789-1792, 1882-1884, 1905) et de leurs nombreuses tentatives de remise en cause, parfois réussies d'ailleurs. Il propose ensuite un décryptage très utile concernant la Charte de la laïcité à l'école initiée par Vincent Peillon. Il a dans ce but sollicité une quinzaine de personnalités spécialistes du sujet pour en assurer le commentaire. Parmi eux, Jean Glavany, Gérard Delfau, Caroline Fourest, Patrick Kessel, Henri Pena-Ruiz, Catherine Kintzler, Marie-Françoise Bechtel ou Alain Seksig, entre autres, déjà connus pour leurs écrits sur cette thématique.
L'ABC d'Eddy Khaldi apporte ainsi une contribution essentielle aux débats actuels sur la laïcité et en particulier dans sa dimension scolaire. Abondamment illustré, accumulant avec discernement références et textes indispensables à la compréhension de cette notion, il mérite de rencontrer un aussi large public que ses deux précédents livres consacrés aux ravages de la politique de la droite sur l'école de la République.
Philippe FOUSSIER
Lire l'article de Sylvain Allemand paru dans Alternatives Economiques n° 347 - juin 2015 :
La microfinance et ses dérives
Article de Sylvain Allemand paru dans Alternatives Economiques n° 347 - juin 2015 :
A priori, la microfinance (soit l'ensemble des outils destinés à intégrer les pauvres dans le système bancaire), se porte bien : le nombre de bénéficiaires aurait doublé en dix ans, pour atteindre 200 millions aujourd'hui. Mais cette forte croissance cache mal une course à la financiarisation qui détourne cette innovation de sa vocation première : lutter contre la pauvreté, favoriser l'émancipation des femmes, etc.
C'est ce que montre l'auteure, spécialiste reconnue, en nous faisant profiter de quinze ans de recherche de terrain dans plusieurs pays, dont l'Inde. Le diagnostic recoupe largement celui établi par son collègue Jean-Michel Servet dans son dernier livre, La vraie révolution du microcrédit (Odile Jacob, voir Alternatives Economiques n° 345, avril 2015). L'originalité du propos réside dans l'attaque en règle contre les tenants de la nouvelle économie du développement (dont Esther Duflo) auxquels Isabelle Guérin reproche de contribuer à la promotion d'une conception libérale de la microfinance à partir d'une vision désincarnée du pauvre. Tout le contraire de l'approche socio-économique qu'elle défend ici pour mieux mettre au jour les rapports de domination qui sous-tendent la lutte contre la pauvreté par l'octroi de microprêts, mais aussi le poids des représentations, etc. Loin d'inciter à jeter le bébé avec l'eau du bain, elle revient à valoriser des formes alternatives de finances (tontines, monnaies locales…).
Lire l'article de Pascal Morsu dans le journal du NPA, l'Anticapitaliste n°292 du 4 juin 2015.
Une histoire populaire de la laïcité
Article de Pascal Morsu dans le journal du NPA, l'Anticapitaliste n°292 du 4 juin 2015.
Depuis plusieurs années, Eddy Khaldi produit une série de travaux d'une grande utilité pour les défenseurs du système d'Enseignement public. Sous sa responsabilité, les éditions Démopolis viennent de rééditer l'Histoire de la laïcité, de M. Pivert.
Écrite en 1932, cette Histoire garde un intérêt réel à plus d'un titre.
Une Histoire méconnueTout d'abord, le texte de Pivert fournit une série d'éléments historiques d'une grande utilité. Ils permettront aux militants de gauche de prendre de la mesure de l'enjeu. Car la laïcité a une histoire dans ce pays, qui remonte à 1789. Ainsi Pivert, décrit-t-il les affrontements qui ont eu lieu durant tout le XIX° siècle autour de la question de la place de la religion, notamment dans l'Enseignement (ce qui explique l'attachement massif des enseignants à cette laïcité).
On sait que les lois laïques furent promulguées par l'alliance des socialistes et de la bourgeoisie progressiste (radicale). Pivert décrit comment cette alliance fut rompue après 1918, l'Église acceptant de s'intégrer au jeu de la république bourgeoise, désormais stabilisée.
Sans doute la faiblesse de ce texte est-elle de ne pas s'attarder sur la séparation de l'Église et de l'État (1905). Mais ça ne saurait remettre en cause l'intérêt évident de cette partie de l'ouvrage.
Laïcité d'émancipationLes lois laïques sont donc le produit d'une alliance entre radicaux bourgeois et socialistes. C'est l'occasion pour Pivert, dans une seconde partie du livre, de chercher à formuler une politique propre au mouvement ouvrier.
D'où une série de chapitres où Ferry et ses successeurs se voient critiqués pour leur neutralité vis-à-vis du fait religieux. Pour Pivert, impossible d'être neutre : « l'idéal social de l'école laïque s'oppose à l'idéal divin des religions », écrit-il. De ce point de vue le rappel des positions ouvrières traditionnelles est significatif : « le PS est anticlérical en tant qu'il rencontre l'Église dans toutes les entreprises de réaction politique et de conservatisme social », affirmait la SFIO en 1929.
Ceci étant, cet athéisme revendiqué se refuse au bourrage de crâne : « en aucun cas imposer à l'enfant un dogmatisme quelconque, même le nôtre », affirme Pivert.
La laïcité aujourd'huiLa préface de E. Khaldi vise à compléter cette Histoire en évoquant des questions plus actuelles.
Revenant sur la situation ouverte par les attentats de janvier, Khaldi écrit : « tous réaffirmaient leur adhésion à la laïcité : mais laquelle ? », façon d'insister sur la grande hypocrisie qu'on trouve derrière cette pseudo-unanimité « laïque » (mais qui masque mal la xénophobie des Sarkozy, des Le Pen...). Malheureusement cette partie de l'étude s'avère trop courte.
La préface s'avère par contre des plus utiles pour retracer l'offensive de la réaction pour « remarier l'Église et l'État ». Là encore il retrace de façon très claire la mise en œuvre d'un véritable concordat scolaire, d'un partage des responsabilités scolaires entre Église et État à partir de la promulgation par De Gaulle de la loi Debré (1959).
Il montre que la dynamique qui s'instaure alors, visant à vider de leur contenu les lois laïques se poursuit. « Dans la transmission des valeurs (...), l'instituteur ne pourra jamais remplacer le curé », affirmait Sarkozy en 2004...
Mais surtout, Khaldi propose un lien entre les aspects idéologiques et les aspects sociaux de la question. Pour lui « le communautarisme et la marchandisation » sont les dangers qui menacent l'École. Derrière la question religieuse, le développement des établissements privés est surtout celui d'un dispositif où règne la discrimination sociale, où serait abrogé le droit à un enseignement égal pour tous. Et la situation ne fait qu'empirer, notamment avec la loi Carle, qui est une amorce de « chèque éducation », le dispositif prôné par les libéraux pour démanteler-privatiser l'Enseignement public.
Un livre utileAu final, cette réédition s'avère donc des plus utiles, au-delà des limites qu'imposent le contraintes d'édition. A lire, donc !
Lire l'article de Philippe-Jean Catinchi paru dans Le Monde du 4 juin 2015.
Jean Zay au Panthéon
Lire l'article de Philippe-Jean Catinchi paru dans Le Monde du 4 juin 2015.
Auteur d’une thèse consacrée à L’Ecole et la patrie en France dans le premier vingtième siècle, soutenue en 1999, Olivier Loubes ne pouvait que rencontrer la personnalité de Jean Zay, le « Jules Ferry du Front populaire », dont il se fit le biographe inspiré. Héritier d’une double tradition familiale humaniste, juive et protestante, le ministre, assassiné par la Milice avant même d’avoir 40 ans, a beau avoir donné son nom à nombre d’établissements scolaires, il n’en restait pas moins jusque-là L’Inconnu de la République (Armand Colin, 2012). Non content d’avoir naguère établi en universitaire en quoi Jean Zay, « fils de la République radicale », incarne par son engagement et son action la noblesse de l’idéal démocratique, de ses valeurs et de son éthique, Olivier Loubes reprend aujourd’hui la figure du ministre martyr.
L’annonce en février 2014 de la panthéonisation de Zay a été déterminante, mais les événements sanglants...
Les racines de la crise en Chine capitaliste :
http://perspectiveschinoises.revues.org/7044
Mylène Gaulard
Les racines de la crise en Chine capitaliste :
Le livre de Mylène Gaulard est indispensable et problématique. Indispensable parce qu’il offre des pistes de réflexions nouvelles en remettant en cause des concepts clés qu’une nouvelle doxa économique globalisée voudrait nous faire prendre pour argent comptant. Dans un monde où l’économie semble être devenue le cœur même de l’action politique, il est important de se rappeler que cette discipline n’est pas une science exacte et que les grandes certitudes de l’économisme sont bien souvent rétrospectives. Comme l’histoire, l’économie est un récit, ce qui ne veut pas dire qu’elle soit une fiction mais qu’une part de subjectivité habite son agencement. Et la leçon d’économie politique que nous offre l’auteure, avec une verve polémique rare, est ainsi un dispositif très bien référencé qui reconsidère à l’aune de la théorie marxiste et en six chapitres la situation actuelle de la Chine pour mettre en évidence les contradictions profondes du mode de production capitaliste sur le territoire chinois (p. 12). Mylène Gaulard est une spécialiste du développement qui a écrit une thèse où elle compare les situations économiques du Brésil et de la Chine. On peut lire d’elle « Les limites de la croissance chinoise » (Revue Tiers-Monde, n° 200, décembre 2009), et « L’évolution du marché de l'immobilier chinois – un révélateur des difficultés rencontrées par les collectivités locales », (Perspectives Chinoises, 2013/2). Sa conférence « L'économie chinoise, les dangers de la suraccumulation : une analyse marxiste » est disponible sur l'Internet et constitue une bonne introduction à ses travaux.
Le postulat de départ, contenu entièrement dans le titre, qui fait référence au livre controversé de feu Giovanni Arrighi, Adam Smith à Pékin – Les promesses de la voie chinoise (Max Milo, 2009), est déjà en soi une provocation : que penserait Karl Marx de la Chine d’aujourd’hui ? L’idée est d’autant plus intéressante que le marxisme est encore inscrit dans la Constitution comme un des quatre principes fondamentaux sur lequel repose la République populaire. Le livre s’ouvre sur un constat : les solutions apportées aux crises du capitalisme qui frappent le monde à intervalles réguliers depuis les années 1970 sont « toutes également inefficaces » (p. 9). Mylène Gaulard nous invite donc à dépasser le stade de l’accusation d’un néolibéralisme vague, distinct d’un capitalisme plus sain qui l’aurait précédé. Ce faisant, elle bat en brèche une première vulgate qui voudrait qu’à un mauvais capitalisme financier soit opposé un bon capitalisme productif. Pour elle, cette analyse rate complètement une juste compréhension du développement même du mode de production capitaliste dont l’unique objectif est l’accumulation sans limites de profits. En revenant très pédagogiquement aux principes de base de l’analyse socio-économique marxiste, l’auteure révise des sujets aussi fondamentaux que le rôle de l’État, et donc la nature – capitaliste ou non – de l’économie chinoise, l’efficacité de la lutte contre la pauvreté et l’émergence d’une classe moyenne, les qualités et les limites de l’appareil productif, ainsi que la réalité de la puissance financière chinoise. En filigrane de ce travail d’économiste, soigné et efficace, Mylène Gaulard étaie soigneusement une contestation assez convaincante de deux idées à la mode qui participent d’un certain conformisme. En questionnant l’histoire et la réalité du concept très incertain de « classe moyenne », elle met en doute l’idée même d’« émergence », favori des médias et du nouveau discours managérial globalisé. En revenant sur l’histoire de ces deux notions, elle montre combien elles sont inadaptées à la situation chinoise, et surtout combien elles sont construites idéologiquement par le monde médiatique et celui des affaires. Sans entrer dans le détail, l'auteure impose de manière très pertinente que la mesure de la classe moyenne est purement artificielle et arbitraire, et cherche souvent à obscurcir le fossé croissant qui sépare toujours les dominants des dominés. Les écarts de revenus gigantesques, la part croissante de valeur ajoutée dirigée vers et dégagée par le capital et surtout les connivences d’intérêts entre élites politiques et économiques semblent bien démonter une autre idée commode, l’idée répandue des liens « naturels » entre classe moyenne et culture démocratique. En effet, le développement d’une élite consommatrice aux revenus largement supérieurs à la « moyenne » n’a pas, dans les pays dits « émergents », de liens évidents avec une volonté de plus de représentation politique et avec la demande subséquente d’institutions plus démocratiques (p. 103), d’autant que dans le cas chinois, cette « classe moyenne » partage des intérêts bien compris avec l’évolution actuelle du capitalisme et de l’appareil d’État (p. 105).
Au cœur du livre, on trouve une analyse marxiste de la baisse du taux de profit rapportée à la Chine contemporaine qui montre que l’efficacité du capital y est en baisse (p. 147) et que la solution envisagée par les entreprises – nationales et transnationales – pour continuer à augmenter leur masse de profit semble bien être de produire toujours plus pour compenser cette baisse (p. 151) ou alors, d’investir massivement dans des bulles spéculatives, dont l’immobilier est l’exemple le plus frappant (p. 157). L’auteure voit un danger dans l’abandon de l’appareil productif au profit de l’investissement immobilier, plus lucratif à court terme (p. 160). Le quart des milliardaires chinois sont actuellement de grands promoteurs immobiliers (p. 161). En effet, faute d’un secteur financier suffisamment sain et développé, les capitaux s’orientent surtout vers la sphère immobilière. Une fine étude de la spéculation immobilière – et de l’endettement des autorités locales – est poussée suffisamment loin dans le sixième chapitre pour amener à une remise en question radicale du phénomène de l’ « émergence ». En effet, on considère de manière assez générale que l’émergence présuppose l’idée d’un cheminement économique linéaire sur un modèle eurocentré (décollage/maturité/âge d'or) dont le critère principal serait la libéralisation économique et financière. Ce schéma reste largement amnésique de la suite des crises dramatiques traversées par des pays dits émergents comme le Mexique (1995), les Nouveaux pays industrialisés (NPI) d’Asie orientale (1997), le Brésil (1999), l’Argentine (2001) et plus récemment les pays du sud de l’Europe. Il semble se heurter aux nombreuses délicatesses politiques et sociales – mais avant tout économiques – qui touchent tous ces pays à des niveaux notables mais différents, ce qui souligne encore l’extrême hétérogénéité de situations nationales réunies aujourd'hui sous l'acronyme commode de BRICS qui reste au final assez peu pertinent.
Ainsi, l’auteure en sortant la Chine des études chinoises fait une œuvre salutaire. On peut la rapprocher d’observateurs, comme Arif Dirlik, qui perçoivent la structure économique chinoise comme une immense entreprise où environ 20 % de la population exploitent le milliard restant, dont une grande partie est bien souvent condamnée à survivre aux marges parfois d’une grande précarité (migrants, personnes âgées, populations rurales, diplômés sans emploi). D’ailleurs, l’absence dans une bibliographie sinon impeccable des travaux d’Arif Dirlik, ainsi que ceux d’autres auteurs, comme Maurice Meisner, qui aussi mènent une réflexion sur le devenir du socialisme en Chine, est surprenante et regrettable. Le livre de Mylène Gaulard pourrait ainsi s’inscrire dans un courant de la littérature économique sur la Chine qui se penche plus sur les problèmes du « modèle chinois » que sur les réussites développementalistes du productivisme forcé. Pourtant – et c’est là que le livre devient problématique – à cheval entre économie politique et histoire intellectuelle, il semble qu’en divisant le monde entre « économistes vulgaires » et « marxistes grossiers », l’auteure ne se laisse que très peu de place pour être entendue des spécialistes de l’économie chinoise et du monde des études chinoises en général. Et le ton volontairement iconoclaste et polémique – voire gouailleur – qui apporte au livre une vraie fraîcheur dans le domaine souvent aride de l’économie peut alors se transformer en violence idéologique grégaire qui malheureusement perd l’objet du livre et dissout quelque peu un traitement autrement fin et éloquent d’un livre à la lecture passionnante dont il faut encore une fois rappeler les grandes qualités pédagogiques et intellectuelles.
http://perspectiveschinoises.revues.org/7044
"L'économie chinoise va profiter de la baisse des prix des matières premières."
Mylène Gaulard
"L'économie chinoise va profiter de la baisse des prix des matières premières."
Le ralentissement économique de la Chine accélère la chute des cours des matières premières : pétrole, minerai de fer, cuivre, soja... Si les partenaires commerciaux de Pékin, comme le Brésil et la Russie, en pâtissent, cette baisse peut toutefois favoriser la relance d'une consommation intérieure atone en Chine, estime Mylène Gaulard, maître de conférences à la Faculté d'économie de Grenoble, et auteure de "Karl Marx à Pékin" (éd. Demopolis).La Tribune - La chute des cours des matières premières est en partie due à la baisse de la demande de la Chine, notamment en raison du ralentissement économique, selon les analystes. Le modèle est-il à bout de souffle ?
Mylène Gaulard : La Chine présente effectivement un ralentissement certain de sa croissance depuis 2011, avec, selon les statistiques officielles, une croissance du PIB de 7,4% en 2014, son plus bas niveau depuis 1990, alors même qu'on soupçonne encore cette croissance d'être surestimée. Le déclin de la compétitivité de l'appareil productif chinois, lié en partie à une hausse du coût de la main-d'œuvre supérieure à celle de la productivité, explique que la croissance de la production industrielle est régulièrement inférieure à celle du PIB depuis 2014.
Dans le secteur de l'immobilier, la situation apparaît encore plus grave : la croissance de l'investissement immobilier n'était plus que de 10,5% en 2014, contre plus de 20% les années précédentes, et 67 des 70 villes étudiées par le Bureau national des statistiques connaissent une baisse des prix des logements neufs depuis juillet 2014. La croissance économique chinoise, qui reposait depuis quelques années sur le vif essor du secteur de la construction, semble donc bien actuellement à bout de souffle.
Or, si la baisse mondiale du cours des matières premières observée en 2014 - avec des cours atteignant pour la plupart des produits des niveaux aussi bas qu'en 2010 - est multifactorielle (anticipations pessimistes des investisseurs sur les marchés des matières premières, bonnes conditions climatiques, forte augmentation de l'offre de matières énergétiques liée aux conflits au sein de l'OPEP et à la production croissante de gaz de schiste aux Etats-Unis, etc.), le ralentissement économique de la Chine a évidemment contribué à renforcer cette tendance à la baisse, que ce soit indirectement en créant des anticipations pessimistes parmi les spéculateurs, ou directement par une moindre croissance des importations chinoises.
Le géant asiatique est effectivement le premier importateur de minerai de fer, de charbon, de cuivre et de soja, et le deuxième importateur de pétrole brut derrière les Etats-Unis. Or, les difficultés économiques chinoises impliquent une moindre croissance de ses importations, voire une baisse pour certains produits ; l'affaiblissement de ses importations de métaux depuis 2010 s'est par exemple accentué en 2014 pour se transformer en véritable baisse. Rien qu'entre décembre 2014 et janvier 2015, les importations de pétrole brut, de minerai de fer et de charbon ont baissé en volume de respectivement 8%, 9,5% et 38%.
Les vacances du Nouvel an chinois, débutées le 19 février 2015 et terminées le 5 mars, ont accentué encore davantage le ralentissement des importations, avec notamment des importations de cuivre ayant chuté de 35% en février par rapport à celles du mois précédent. Pourtant, n'exagérons pas l'impact de la Chine sur l'évolution des cours : les importations de ce pays ont atteint un record en 2014, bien qu'elles aient globalement connu une moindre croissance que durant l'année précédente. Pour l'instant, la baisse de la demande en matières premières reste assez ponctuelle.
La chute des cours des matières premières profite-t-elle toutefois à l'économie chinoise?
Si le ralentissement économique de la Chine explique en partie la baisse du cours des matières premières, le pays peut évidemment profiter de ce recul, notamment afin de relancer sa consommation intérieure aujourd'hui très faible et responsable d'une situation quasi-déflationniste (l'indice des prix à la consommation augmente à un rythme inférieur à 1% depuis le début de l'année).
Profitant d'une baisse des prix du minerai de fer de 19,8% en 2014, les importations en volume de ce produit se sont par exemple accrues de 16,5% sur l'année, alors qu'en valeur elles chutaient de 5,3%. Le ministre des Finances déclarait au début du mois de mars qu'il souhaitait augmenter les dépenses de 33% pour accroître les réserves de certains produits stratégiques comme les céréales ou les huiles alimentaires.
Notons également que les grandes entreprises pétrolières chinoises profitent de la chute du prix du pétrole brut pour accroître leurs importations, notamment celles en provenance du voisin russe en difficulté avec lequel la Chine souhaite renforcer ses liens. Cette stratégie commerciale vise surtout, là encore, à constituer des stocks (le gouvernement vise des réserves équivalant à une consommation de 90 jours) afin de faire face à la volatilité des cours et à une prochaine hausse des prix.
La Chine va-t-elle et peut-elle rationaliser son économie ? Elle semble s'orienter vers moins de grands projets et une baisse de ses émissions de gaz à effet de serre également...
Rappelons qu'avec plus du quart des émissions de gaz à effet de serre, la Chine est le premier émetteur mondial. Or, pour la première fois, le pays s'est engagé en novembre 2014 à réduire ses émissions d'ici 2030. Selon l'Académie des sciences sociales de Pékin, cet objectif aurait de toute façon été obtenu sans beaucoup d'effort d'ici 2025-2030 du fait du ralentissement de l'urbanisation.
Il est vrai cependant que le gouvernement a récemment adopté des mesures visant à réduire la consommation nationale de charbon (assurant encore 70% des besoins en énergie du pays). L'exploitation de mines de charbon dont la production est inférieure à 300.000 tonnes par an est par exemple désormais interdite, et dans de grandes villes comme Pékin, Shanghai et Canton, on prévoit même de supprimer l'utilisation de charbon d'ici six ans ; notons également que depuis janvier 2015, l'usage de charbon contenant plus de 3% de soufre est interdit sur tout le territoire.
Toutes ces mesures contribuent donc à expliquer la chute des importations de charbon, mais aussi des émissions de plus en plus faibles de dioxyde de carbone, passées d'une croissance annuelle de 9% en 2011 à moins de 3,5% depuis 2012. Néanmoins, on peut craindre que la transition énergétique ne se révèle beaucoup trop coûteuse en cas de poursuite du ralentissement économique, même si l'objectif d'utilisation de 20% d'énergies non fossiles (nucléaire, solaire, éoliennes etc.) en 2030 (contre 11% aujourd'hui), présenté en novembre dernier, n'est pas très ambitieux.
Quelles sont les conséquences de ces baisses de cours de matières premières et de commandes de la Chine (sur le court et long terme) pour la croissance des autres émergents comme le Brésil et la Russie ?
Aujourd'hui, les émergents se divisent clairement en deux blocs : ceux qui, comme la Chine, ont fondé leur croissance sur le développement de leur industrie manufacturière, et ceux qui au contraire se sont désindustrialisés ces dernières années afin de profiter pleinement de l'augmentation du cours des matières premières.
Dans cette deuxième catégorie, nous trouvons le Brésil et la Russie, deux pays membres du groupe des BRICS mais dont la croissance était presque nulle en 2014. Les exportations brésiliennes sont actuellement constituées à 64% de produits agricoles et miniers (n'oublions pas qu'à la fin de la décennie 1990, le Brésil exportait encore majoritairement des produits manufacturés...), et la Chine est devenue en 2009 son premier partenaire commercial en raison de cette nouvelle spécialisation, absorbant par exemple 30% des exportations brésiliennes de soja. Conjuguée à des importations croissantes de produits manufacturés, la baisse du cours des matières premières fut responsable en 2014 du premier déficit commercial brésilien depuis 2000.
De même, les exportations russes se composent à 74% de pétrole et de produits miniers, et les récentes sanctions internationales ainsi que la baisse du prix du pétrole estimée à plus de 60% depuis juin 2014 risquent de provoquer une sévère récession en 2015. Alors que ces deux pays profitaient de cette nouvelle division du travail lorsque les cours des matières premières augmentaient, leur fragilité est donc incontestable aujourd'hui.
Notamment, la dépréciation du real et du rouble, de respectivement 40% et 70% depuis un an face au dollar, est causée aussi bien par la chute de leur solde commercial que par les sorties de capitaux étrangers ; et les politiques monétaires restrictives adoptées pour lutter contre la fuite des capitaux et une inflation importée (liée au renchérissement du prix des importations) ne font qu'accentuer les difficultés économiques de ces deux pays. Si le ralentissement économique de la Chine se poursuivait, maintenant dans le même temps les anticipations des spéculateurs au plus bas sur le marché des matières premières, l'"émergence" de nombreux pays serait de la même manière remise en question.
Propos recueillis par Jean-Yves Paillé, La Tribune, 25/03/2015
Lire l'article de liensocio :
http://www.liens-socio.org/Economie
La microfinance et ses dérives
Lire l'article de liensocio par Alexia Blin, publié le 20 avril 2015
Le livre d’Isabelle Guérin offre une analyse critique de la microfinance, révélatrice des désillusions que suscite aujourd’hui ce secteur, à la mesure, sans doute, des espoirs éveillés ces vingt dernières années. Il s’agit d’un ouvrage de synthèse, qui rend compte de quinze années d’enquêtes de terrain, réalisées par l’auteur et d’autres chercheurs dans différentes régions du monde – en particulier en Inde, au Sénégal, au Maroc, ou en Amérique du Sud. S’appuyant sur des recherches localisées et précises, il donne néanmoins une image globale des processus à l’œuvre dans le monde de la microfinance. Défini comme « l’ensemble des services financiers destinés aux populations exclues des institutions financières classiques » (p. 5), ce secteur recouvre principalement les mesures de microcrédit proposées aux populations – et en particulier aux femmes – démunies, majoritairement dans les pays du Sud.
Le premier chapitre livre une description détaillée du paysage actuel de la microfinance, de la grande diversité de ses pratiques et de ses principes. On estime qu’en 2012 il y avait environ deux cents millions d’usagers du microcrédit dans le monde, ayant recours à des organisations aux statuts divers (de la banque publique aux institutions commerciales classiques, devenues aujourd’hui dominantes, en passant par les ONG et les coopératives). La concentration du secteur apparaît toutefois importante, tant en termes d’organisations (douze d’entre elles revendiquent plus d’un million d’usagers) que de régions (la grande majorité se situant en Asie du Sud). Si les trajectoires nationales ou locales, les taux d’intérêt pratiqués ou les conditions d’accès peuvent être fort variés, le livre met en évidence une évolution générale consacrant la domination du modèle commercial. Depuis les années 2000 s’est en effet imposée l’idée que la microfinance devait être rentable, afin de pouvoir attirer des investissements privés. Ce tournant a eu des conséquences profondes sur le secteur, et s’est traduit par une recherche effrénée de rentabilité, une concurrence entre organisations pour trouver de la clientèle, des phénomènes de saturation et des crises de surendettement dans certaines régions.
En dressant ce portrait de la microfinance, I. Guérin entend revenir sur trois visions, dominantes sinon généralisées de ce secteur. Il s’agit tout d’abord de la vision enchantée, largement médiatisée sous la forme d’innombrables success stories, d’un microcrédit capable d’endiguer à lui seul la pauvreté mondiale, d’émanciper les femmes, et de répandre la démocratie en même temps que les valeurs de l’économie de marché dans toutes les régions du monde. Incarnée par le Prix Nobel de la paix Muhammad Yunus, fondateur de la Grameen Bank au Bengladesh, cette vision est dangereuse car elle assigne à la microfinance des objectifs démesurés, et tend à discréditer d’autres solutions, notamment les programmes publics de lutte contre la pauvreté. Elle voudrait faire croire que le seul problème des populations pauvres est la difficulté d’accès au capital, et que chacun peut être considéré comme un entrepreneur en puissance, pour qui la prospérité est à portée de main. La deuxième vision erronée, est celle qui fait de la microfinance une « niche de marché », un secteur à exploiter pour les banques commerciales. Enfin, la troisième perspective rejetée par l’auteur, est celle de la microfinance « désincarnée », adoptée par les tenants de l’économie du développement, au premier rang desquels l’économiste du MIT Esther Duflo. Cette dernière se voit reprocher de produire principalement des résultats chiffrés à l’intention des décideurs politiques, et de fournir « une vision du monde d’une simplicité et d’une naïveté à la fois déconcertante et tragique » (p. 15).
Face à ces perspectives jugées caricaturales, le livre propose une analyse socio-économique globale, qui prenne en compte à la fois la diversité des contextes locaux et les nombreux obstacles structurels auxquels se heurtent les politiques de lutte contre la pauvreté. Il entend dépasser l’échelle d’analyse individuelle, privilégiée par les conceptions dominantes, étudier les « usages vécus » de la microfinance (p. 23), et tenir compte des ambiguïtés inhérentes à l’endettement dans les pays du Sud. Très critique vis-à-vis des évolutions récentes du secteur, en particulier de ses formes dominantes, des organisations les plus médiatisées et les plus reconnues, l’auteur prend cependant beaucoup de précautions pour ne pas rejeter en bloc le travail de toutes les institutions, et pour récuser l’idée que la microfinance relèverait d’un complot visant à priver les populations pauvres de toutes leurs ressources économiques, mais aussi sociales et culturelles.
Le cœur de l’ouvrage est consacré à l’analyse des effets produits par vingt ans de progrès de la microfinance. Malgré les dérives possibles, le microcrédit a-t-il tenu une partie de ses promesses ? Il semblerait bien que non. Tout d’abord, il n’a pas fait naître un tissu de petites entreprises performantes à même de créer des bassins d’emplois. La plupart des fonds du microcrédit sont en réalité dédiés à la consommation, ou à la stabilisation d’entreprises existantes. La manière dont ils sont employés a plutôt contribué à renforcer les inégalités et les hiérarchies établies – les usagers en mesure de bénéficier des fonds étant ceux qui disposent des ressources (économiques, sociales, culturelles) les plus importantes au sein des populations pauvres. La multiplication de l’offre a parfois conduit à des crises de surendettement, le microcrédit venant se superposer aux autres cercles de la dette plutôt que de s’y substituer. L’usurier n’a pas disparu, il trouve même parfois sa position renforcée. L’émancipation des femmes, présentée comme un des objectifs majeurs de la microfinance, semble aussi être restée lettre morte. Le ciblage des femmes par les organismes de microcrédit vise l’efficacité des remboursements plus que le bouleversement politique des rapports de genre, et encore une fois les bénéficiaires constituent une minorité relativement privilégiée. Qu’il s’agisse des femmes, de la question de l’endettement ou de celle de l’épargne, la microfinance actuelle a tendance à reproduire les logiques de domination et d’inégalités plutôt qu’à les subvertir.
Le livre prend soin de replacer la microfinance dans une perspective historique, la comparant aux autres formes d’endettement. Cette analyse fait apparaître le microcrédit actuel comme une forme de crédit aux pauvres bien adaptée à l’ère du capitalisme néolibéral et de la financiarisation. En misant sur l’endettement des personnes et leur esprit d’entreprise, on prétend substituer des solutions individuelles aux politiques publiques de régulation ou d’investissement. Il existe un lien très fort entre l’engouement pour la microfinance et les programmes de dérégulation et de désengagement de l’État, se plaçant parfaitement dans la lignée des « programmes d’ajustement structurels » mis en œuvre dans les pays du Sud depuis les années 1980 sous l’égide de la Banque mondiale et du FMI.
Le dernier chapitre repose sur l’idée que, sous couvert de neutralité, le microcrédit véhicule une vision politique à la fois du marché et des pauvres. I. Guérin intervient ainsi dans les débats sur les potentialités émancipatrices du marché, et son rapport à la démocratie. Si elle refuse de tomber dans une vision romantique des solidarités locales des sociétés traditionnelles, qui seraient menacées par les forces marchandes de la microfinance, elle affirme également que « la dimension émancipatrice du marché réclame de multiples conditions, à commencer par un État de droit » (p. 186). Elle dénonce également une vision des pauvres comme « consommateurs impulsifs et impatients » (p. 137), responsables de leur situation et qu’il faudrait discipliner, ou comme entrepreneurs nés dont l’énergie ne demanderait qu’à être « libérée ». L’accent mis dans le livre sur les formes de résistances au microcrédit, particulièrement vives ces dernières années, permet de récuser cette vision de la pauvreté, en mettant en évidence un décalage entre les attentes des populations et les solutions proposées.
En conclusion, l’ouvrage s’interroge sur les alternatives possibles à la microfinance dominante. L’auteur revendique l’héritage de Karl Polanyi, refuse les solutions qui passeraient uniquement par l’échange (le marché) ou par la redistribution (l’État), et plaide plutôt pour laisser une place à la sphère de la réciprocité. Elle invite à penser le microcrédit en termes « d’économie solidaire », et donne des exemples d’organismes qui auraient réussi à « ré-encastrer la microfinance » (p. 235), en ne cherchant pas à se substituer à l’État, en articulant services financiers et luttes politiques, et en s’adaptant explicitement à la demande des populations, plutôt que de chercher à imposer un modèle marchand universel, dont elle a montré qu’il contribuait à renforcer les problèmes qu’il était censé résoudre.
http://www.liens-socio.org/Economie
Lire l'article de liensocio :
http://lectures.revues.org/17926
Les luttes de classe pendant la Révolution française
Lire l'article de liensocio par Jonathan Louli
« Karl Kautsky est le plus grand intellectuel marxiste de sa génération » clame la préface de l’ouvrage (p. 3). Celui-ci, né en 1854, rencontre Marx et Engels dans les années 1880, avant de s’installer à Londres pour devenir le secrétaire du second. En 1889, à l’occasion du centenaire de la Révolution française, Kautsky publie une brochure sur le sujet, qui est aujourd’hui éditée par Demopolis.
Dans cet ouvrage, l’auteur étudie le contexte social et politique qui précède la Révolution française, cherchant à montrer que c’est la lutte des classes dans l’Ancien Régime et l’émergence du mode de production capitaliste qui expliquent les évènements de 1789. Pour cela, il étudie les principales forces sociales en présence, à savoir les classes sociales d’Ancien Régime et leurs recompositions, pour mettre en lumière les antagonismes qui les traversent, remontant parfois très loin dans le temps le fil des dynamiques sociales qui sont en jeu à l’époque.
La préface, très pédagogique, après avoir proposé un point biographique sur l’intellectuel marxiste, explicite deux éléments clés de sa pensée : l’émergence de la notion de « lutte des classes », et la méthode « dialectique » mise en place par Kautsky, inspirée de Hegel et Engels. La préface se consacre en outre largement à dresser une analogie entre la situation qui a précédé la Révolution française et la situation actuelle qui, suite à la crise financière de 2008, tend à exacerber les antagonismes sociaux. Comme à la fin du XVIIIe siècle, alors que les groupes dominants se déchirent, « l’entrée en scène, imprévisible, des classes populaires sera déterminante » (p. 19).
Dans son introduction, Kautsky expose son questionnement et son projet. Il suggère que l’écart entre les idéaux des artisans et partisans de la Révolution française, et le résultat qui est advenu en pratique, reste incompréhensible si l’on n’adopte pas une conception particulière de l’histoire : la « conception matérialiste ». Cette approche, que Kautsky considère comme déjà fort répandue à l’époque, consiste à étudier moins la « volonté des humains » que les « circonstances » et les contingences qui contrarient ou déterminent les actions individuelles. Pour Kautsky, ces « circonstances » consistent fondamentalement en une dynamique de lutte des classes. Aux yeux de l’intellectuel marxiste, l’enjeu « consiste moins aujourd’hui à défendre [cette conception matérialiste] qu’à l’empêcher de tomber dans la platitude » (p. 24). Il faut à tout prix éviter de réduire cette approche à une vision binaire et simpliste de l’histoire de la société, comme s’il n’y avait toujours que « deux masses solides et homogènes » (bourgeois et prolétaires) : « si c’était effectivement le cas, l’écriture de l’histoire serait une tâche assez facile » (p. 24). C’est donc à travers une forme critique et exigeante du matérialisme historique que Kautsky propose d’analyser les prémisses de la Révolution française.
5On peut diviser l’ouvrage en deux grandes parties : la première rassemble les quatre chapitres qui concernent les antagonismes propres aux groupes sociaux dominants (monarchie, aristocratie, clergé, administrations d’État). La seconde est constituée des quatre chapitres qui se centrent sur les divisions internes au Tiers-État (bourgeoisie, intellectuels, sans-culottes, paysans). L’ouvrage s’achève sur une ouverture concernant la contre-révolution européenne et esquisse quelques perspectives explicatives concernant l’avènement de l’empire napoléonien.
La première partie débute par un point sur l’évolution du pouvoir d’État depuis le XVIIe siècle. « La forme de l’État » a en effet, aux yeux de Kautsky, une influence déterminante sur « les formes de la lutte des classes » (p. 25). Il importe donc de constater, pour commencer, que la monarchie absolue a impliqué, aux XVIIe et XVIIIe siècles, un développement important de l’appareil d’État, à travers une bureaucratie et une armée royale en pleine expansion. Pour soutenir ce développement, la royauté a dû s’adjoindre d’une part le soutien symbolique des aristocrates, qui étaient ses principaux concurrents dans la course au pouvoir politique, et d’autre part le soutien financier des grands « bourgeois industrieux ». Cette situation engendre des difficultés et s’appuie sur un équilibre très précaire entre les groupes aristocratiques et bourgeois : pour Kautsky, il suffisait qu’un roi doté d’un « caractère faible » arrive au pouvoir pour que la situation dégénère : c’est ce qui s’est passé avec Louis XVI.
Depuis un moment, le clergé et la royauté réservent donc de nombreux postes très généreusement rémunérés aux grands aristocrates, dans l’Église, l’armée, l’administration de l’État, la cour… Une grande partie de la bourgeoisie et de la petite aristocratie féodale et rurale est indignée de l’avidité des grands nobles, entretenus par les finances publiques. Dans l’Armée ou l’Église, de nombreux sous-officiers et subalternes recrutés dans le Tiers-État se retourneront contre leurs supérieurs, et Kautsky de donner l’exemple hautement significatif, au début des États généraux de 1789, du moment où il a fallu décider si les votes se feraient par ordre ou par tête.
8Une aristocratie de fonctionnaires a progressivement vu le jour depuis le XVe siècle, et parmi eux, les juristes sont devenus des métiers stratégiques. Les Parlements se sont alors placés « à la pointe » de l’aristocratie dite de robe. Avec l’hérédité de certaines charges, les parlementaires deviennent à leur tour des privilégiés, adoptant donc des positions réactionnaires de défense de leurs privilèges. Cependant, observe Kautsky, en quelques occasions, les Parlements doivent, pour faire valoir une décision, s’appuyer sur l’opinion publique contre la royauté ou la noblesse, et sont ainsi amenés à soutenir certains mots d’ordre du Tiers-État. En effet, les diverses fractions des groupes sociaux dominants se livrent à des luttes intestines au cours desquelles il leur arrive d’enrôler le peuple pour des causes diverses. L’auteur rappelle alors l’exaspération des aristocrates face aux politiques de redressement mises en place par les ministres Turgot puis Calonne, ce dernier étant démis de ses fonctions en 1787. Au comble du mécontentement, les aristocrates exigent paradoxalement la convocation des États généraux : « aveuglés par leur colère, les privilégiés se retrouvèrent sur le terrain révolutionnaire » (p. 58). C’est à ce moment qu’entre en jeu le Tiers-État.
9Kautsky commence par constater à ce sujet que « le tiers état était aussi divisé que les deux autres ordres » (p. 61), l’auteur refusant en effet de considérer le prolétariat comme un « quatrième ordre ». Kautsky s’attèle donc dans un premier temps à présenter les scissions qui se déploient à l’intérieur de la bourgeoisie, ou « classe des capitalistes ». Celle-ci est fondamentalement divisée entre, d’un côté, ceux qui tirent profit du système des privilèges et de la dette publique contractée par l’Ancien Régime : haute finance, manufactures de luxe, etc. ; d’un autre côté, ceux qui cherchent à dépasser les restes du féodalisme, et aspirent à ce qu’on pourrait appeler une libéralisation de l’économie, encore entravée par les taxes et règlements féodaux : commerçants, entrepreneurs industriels…
En second lieu, Kautsky examine l’émergence et le rôle du groupe des « intellectuels ». Dans l’Ancien Régime, artistes et philosophes sont d’abord très dépendants du mécénat aristocratique, dont ils défendent les intérêts et divertissements. Avec la diffusion des livres et l’émergence du journalisme, les intellectuels s’émancipent de l’aristocratie et se rapprochent culturellement et matériellement de la classe bourgeoise. Ils veulent dépasser le système féodal de domination et assimilent la libéralisation de l’économie à une émancipation collective. Raison pour laquelle, selon Kautsky, on peut considérer que les intellectuels du XVIIIe siècle, et dans une large mesure les Lumières, défendaient les intérêts de la classe bourgeoise. Après la chute de l’aristocratie et de certains de ses satellites bourgeois, c’est donc « la classe des intellectuels bourgeois » (p. 79) qui reste seule capable de gouverner. Mais la bourgeoisie n’a pas fait la Révolution seule, bien que celle-ci soit son « œuvre » : c’est bien « le peuple » qui a pris les initiatives, et a mené les luttes concrètes. D’où l’intérêt d’observer de plus près comment se composaient ces classes populaires au moment de la Révolution.
Kautsky explique que, concernant les « sans-culottes » vivant dans les villes, les diverses composantes du groupe développent une rancœur croissante à l’égard des dominants. Pour tenter de calmer le mécontentement, la royauté a libéré certains quartiers des règlements corporatistes et féodaux pour laisser plus de liberté aux travailleurs. C’est précisément dans ces « faubourgs » que va se concentrer progressivement toute une masse populaire qui deviendra révolutionnaire en 1789, bien que Kautsky avertisse que ces groupes populaires ne doivent pas être assimilés au prolétariat moderne basé sur la conscience de classe. Quoiqu’il en soit, ce sont ces « sans-culottes » qui, en défendant la Révolution dans la rue, armes à la main, « ont donné le signal de la révolte des paysans dans tout le pays » (p. 88).
La paysannerie, en effet, accablée par les règlements, impôts et préséances de l’Ancien Régime, se joignait déjà massivement au prolétariat urbain pour tenter de trouver du travail. Depuis longtemps dans l’attente d’un évènement déclencheur qui annoncerait la fin de la domination féodale, les paysans se lèvent partout avec enthousiasme pour soutenir la Révolution – c’est-à-dire, souligne Kautsky, que la paysannerie, dans son écrasante majorité, se fait révolutionnaire moins par adhésion aux idéaux républicains que par opposition à l’ancien système qui la désavantageait largement. L’auteur met en outre en lumière la fonction sociale clé de l’armée révolutionnaire, qui fournit travail, gloire et revenus à de nombreux hommes autrement désœuvrés. Kautsky explique par-là le soutien de la paysannerie à Napoléon lorsque celui-ci fera figure de rempart face à la contre-révolution européenne.
Le dernier chapitre de l’ouvrage met d’abord l’accent sur les enjeux importants présentés par les partages successifs de la Pologne entre les grandes puissances voisines. Les rivalités entre les grandes monarchies européennes au sujet de la conquête de nouveaux territoires semblent dépassées lorsque la Révolution française fait l’unanimité comme ennemi commun. Heureusement, d’après Kautsky, la coalition monarchiste européenne s’avère indécrottablement cupide et a beaucoup de difficultés à s’unir efficacement, dès que des enjeux matériels apparaissent (partage des butins pillés et des territoires français et polonais notamment). L’armée révolutionnaire française a donc une marge de manœuvre importante, qu’elle utilisera pour écraser ses adversaires. Kautsky insiste, dans les dernières pages de son livre, sur le fait que c’est bien la décadence morale et intellectuelle de la noblesse européenne, ainsi que les luttes engagées entre les diverses classes, qui sont les moteurs de l’évolution sociale.
Au total, on a affaire à une analyse tenant d’un marxisme assez classique mais qui, au vu de l’impressionnante somme de connaissances déployées, peut paraître relativement sophistiquée. En prenant le contre-pied d’une histoire sensationnaliste basée sur quelques évènements ou quelques personnalités, Kautsky réinscrit la Révolution française dans une perspective de long terme, et donne une lecture plutôt originale de la période, car dépassionnée et détachée. Cet aspect froid et méthodique de l’analyse peut être salué comme un effort de scientificité, à une époque où les sciences sociales pouvaient encore revêtir de fortes teneurs spéculatives, morales ou partisanes. Preuve en est que sous certaines conditions épistémologiques, le marxisme peut rejoindre de fécondes intuitions scientifiques, comme en témoigne la rigueur empirique et la créativité sociologique et historienne de Kautsky.
http://lectures.revues.org/17926
Lire l'article d'Eddy Khaldi : "Le néo-cléralisme peut-il fonder la démocratie ?", Le blog de Eddy, Médiapart, 21 avril 2015
http://blogs.mediapart.fr/blog/eddy/210415/le-neo-clericalisme-peut-il-fonder-la-democratie
Le néo-cléralisme peut-il fonder la démocratie ?
Article d'Eddy Khaldi : "Le néo-cléralisme peut-il fonder la démocratie ?", Le blog de Eddy, Médiapart, 21 avril 2015
La France est une République laïque, elle respecte toutes les convictions et croyances. Et cependant, au regard du principe de séparation des Eglises et de l’Etat, la République doit-elle, avec l’argent public, financer les lieux privés de culte, s’impliquer dans la formation d’imams et « développer les établissements scolaires privés sous contrat » au risque d’alimenter, elle-même, la ségrégation sociale et idéologique ?[1] « Dans aucun des actes de la vie civile, politique ou sociale, la démocratie ne fait intervenir, légalement, la question religieuse. Elle respecte, elle assure l’entière et nécessaire liberté de toutes les consciences, de toutes les croyances, de tous les cultes, mais elle ne fait d’aucun dogme la règle et le fondement de la vie sociale. »[2] Déclarait le 30 juillet 1904, Jean Jaurès. Une politique néo-cléricale ne peut tenir lieu de projet social.
Le paradoxe de l’actuelle situation réside dans le fait que nos pouvoirs publics transgressent la loi de séparation[3]. Cette politique paradoxale est vigoureusement contestée, en ces termes, par un intellectuel musulman : « Celui qui veut moderniser d’abord les religions ou les rationaliser avant de les intégrer dans l’espace laïque de la France ne connaît pas l’histoire de la République française ni les circonstances réelles de la séparation de l’Eglise et de l’Etat. L’Etat s’est séparé définitivement des religions parce qu’il a jugé qu’elles n’étaient ni modernes ni rationnelles ou, du moins, il a voulu marquer sa très grande réserve quant à leur enseignement. Chercher des compatibilités entre cette laïcité juridique et l’islam est absurde. Est-il logique que nous demandions à une religion de se moderniser lorsque l’objectif est de nous séparer d’elle ? De plus, cette laïcité fait partie de la loi et la loi ne se négocie pas, elle s’exécute »[4].
Le rôle de l’État est d’assurer la sécurité et la liberté de culte et non de l’organiser. L’Islam en France doit rester l’affaire des musulmans. Ce n’est pas exclusivement la « liberté religieuse » que la laïcité garantit mais d’abord la liberté de conscience, laquelle permet le droit de choisir sa religion, n’en pas avoir ou d’en changer. Voire de militer contre toute religion.
Après le débat sur « l’identité nationale » lancé par le précédent président de la République, c’est l’illustration de la confusion et la stratégie de ceux qui enferment toute une partie de la population issue de l’immigration dans une appartenance présupposée à l’Islam, imposée comme marqueur identitaire. On assiste à une partition de la sphère publique éclatée en appartenances religieuses par ce marquage ostentatoire imposé. « Hérité de l’histoire, le modèle alsacien-mosellan », élargi à l’islam, « intéresse Paris », laisse par ailleurs entendre la presse[5].
Pourquoi taire que ces jeunes sont français, pour la plupart ? Ce ne sont pas des droits différents qu’ils revendiquent mais l’égalité, en actes, des droits sociaux et civiques. « Laïcité de l’enseignement, progrès social, ce sont deux formules indivisibles. Nous lutterons pour les deux »[6]
Dans cette politique construite sous la pression des religions, l’émergence de la question de l’Islam conduit à la tentation de consentir des assouplissements sous formes « d’accommodements raisonnables » remettant en cause, la teneur et l’esprit de nos principes constitutionnels et, notamment, la loi du 9 décembre 1905. Les religions plus anciennement établies en France sont en perte de vitesse et n’attendent que ces concessions faites à l’Islam pour entériner ou réformer leur rapport à l’Etat laïque, dans une reconnaissance institutionnelle qui préfigure un remariage.
N’est-ce pas, là, l’occasion inespérée, pour eux, de revenir à la situation antérieure à la loi de séparation des Eglises et de l’Etat pour convier l’Islam à ces épousailles entre politique et religion ? Une telle idée conduirait à rétablir un ordre social ancien élaboré autour de quelques « cultes reconnus » où le citoyen serait assigné à résidence dans « son » origine, et affecté implicitement à une religion pour lui être soumis. En quelque sorte, un retour à l’ordre moral tel que l’entendait Adolphe Thiers pour qui un curé valait cinquante gendarmes.
Derrière cette tentation, la discrétion des autres Eglises, et la catholique en particulier, peut trouver à s’expliquer par les profits escomptés dans les transgressions qui conduiront à de nouvelles concessions au communautarisme. Ces revendications sont, d’ores et déjà, exprimées : « C’est très bien de vouloir rassembler les religions, mais à condition de faire droit à ce qu’elles représentent réellement. »[7] Les responsables catholiques n’acceptent pas de passer par la voie des formes républicaines pour se faire entendre. Où sont donc la séparation et la neutralité de l’Etat ? Peut-on entendre par l’expression : « ce qu’elles représentent réellement », la fin de la non reconnaissance institutionnelle des religions et de la neutralité de la puissance publique ?
Il ne s’agit en aucun cas de nier les identités mais de revendiquer d’abord la liberté de conscience donc la liberté religieuse qu’elle implique. S’impose la nécessité de construire une culture publique et civique laïque, seule capable d’accueillir toutes les diversités.
On pouvait penser que les tragiques événements de ce début d’année 2015 allaient conduire à clarifier l’amalgame entre politique et religion. Il en va tout autrement. C’est le principe de laïcité, déjà dévoyé et contourné, qui est remis en cause dans ses fondements institutionnels. « Faut-il vraiment repenser la laïcité ? » interroge Le Bien Public de Côte d’Or, le 4 mars. Souvenons-nous de cet appel œcuménique du Cardinal Vilnet en 1987 : « L’heure semblerait venue de travailler avec d’autres, à redéfinir le cadre institutionnel de la laïcité », appel aussitôt repris à l’unisson par ses collègues cardinaux « Entre l’Eglise et l’Etat », spécifiant qu’ « on ne peut plus parler de séparation, mais de collaboration », affirmation portée en I988 par Decourtray aussitôt suivi par son confrère Lustiger : « Si l’Etat ne faisait pas l’effort de redéfinir les conditions de la séparation, dans l’état actuel des mœurs et de la société, il porterait gravement atteinte à un droit imprescriptible, au patrimoine spirituel qui est un bien de la nation. »
Certains s’emploient, aujourd’hui, à dénaturer la laïcité. Ainsi, l’opinion donne-t-elle à ne plus la percevoir qu’au travers de l’émergence de l’Islam, perception qui favorise l’impact du Front National et qui contribue à renforcer l’idée d’une laïcité discriminatoire.
La laïcité n’est en rien discrimination. On doit solder cette équivoque. Pour cela il convient de conjuguer de manière indissociable : laïcité, liberté, égalité et fraternité. C’est là que réside le défi pour les valeurs de la République.
La laïcité, fondement de la liberté individuelle, constitue le ciment d’une société qui doit permettre, par l’éducation, l’accès de chacune et chacun à la liberté de conscience. Laïcité seule capable d’intégrer les différences et de construire l’indispensable vivre ensemble dans la l’égalité des droits et la fraternité.
Eddy KHALDI
[1] Rapport sur la « Cohésion républicaine », que le Parti socialiste a présenté le 1er février : La création d’une instance de dialogue avec les représentants de l’islam de France ; Le renforcement de la formation, en France, des imams et des aumôniers musulmans ; Le développement de l’enseignement privé confessionnel musulman; L’incitation à l’édification de nouveaux lieux de culte.
[2] Jean Jaurès - L'Education Laïque - Discours de Castres -30 juillet 1904.
[3] Interview donnée au Monde le 26 février 2015 par Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur.
[4] Ghaleb Bencheikh est président de la Conférence mondiale pour la paix. Il est l’auteur de La Laïcité au regard du Coran, éd. Presses de Renaissance, 2005, et de Le Coran, éd. Eyrolles, 2010.
[5] Le Figaro, 3 mars 2015.
[6]Jean Jaurès – Pour la laïque - Discours 25 janvier 1910.
[7] Cardinal André Vingt-trois dans La Croix, 3 mars 2015.
http://blogs.mediapart.fr/blog/eddy/210415/le-neo-clericalisme-peut-il-fonder-la-democratie
Les Marranismes, lire l'article sur le site : fait religieux.com
http://fait-religieux.com/culture/livres/2014/10/11/croire-en-secret-l-experience-marrane
Les Marranismes, lire l'article sur le site : fait religieux.com
Après l'obligation faite aux juifs d'Espagne, le 31 mars 1492, et plus tard à ceux du Portugal, de se convertir au catholicisme, nombre d'entre eux, viscéralement attachés au monde ibérique, choisirent de mener une double vie, chrétienne socialement et, dans l'intimité, respecteuse de pratiques et des valeurs du judaïsme. Ainsi sont nés les marranes, ces « conversos » toujours contraints au secret et donc toujours suspects.L'alternative? Périr ou fuir vers le Maghreb ou l'Europe du Nord. Certains choisirent l'Amérique du Sud.
Jean-Philippe Schreiber, Jacques Ehrendfreund et Jacques Déom inaugurent ce livre constitué d'une série d'articles, par une tentative fort séduisante de transformer le marranisme en une expérience historique qui dépasse largement la cadre ibérique. A leurs yeux, le phénomène marrane, et ses conséquences humaines et sociales à l'échelle européenne, explique l'adhésion, dès le XVIIIe siècle, d'une partie du judaïsme aux Lumières et à la modernité. Les marranes, à partir de ce « nœud d'une pluralité culturelle où celui qui a été contraint de renier sa religion d'origine accepte d'entrer en dialogue avec la religion qui lui est imposée, et la conjugue de manière créative avec son appartenance première », auraient donc construit, « un modèle original caractéristique de recomposition du religieux de la société moderne ». Un modèle qui, selon Jacques Déom valorise le « for intérieur et de l'accomplissement personnel », et offre, peut-être, une forme de liberté. En tout cas, pour les initiateurs de ce livre, le phénomène marrane doit être étudié avec grande attention par la sociologie contemporaine tant il porte en lui la question identitaire et dévoile la « tension identité-changement ».
Le marrane: un homme masqué
Reste que cette « tension » produite par celui qui « passe de l'autre coté » ne saurait se réduire à une forme de fascination positive. N'oublions pas que « marrane » est, encore aujourd'hui, un terme offensant, marrano, toujours utilisé en Espagne : un porc.
La postface de l'ouvrage, signée de Maurice Kriegel, spécialiste du monde juif au Moyen-Âge sonne, à sa façon, comme un avertissement pour ceux qui semblent attirés par une certaine forme de « romantisme marrane » alliée à une fascination pour l'ancien monde judéo-espagnol. Il nous rappelle fermement que la société des hommes tranche toujours en défaveur de celui qui porte un masque. Elle se méfie des secrets et du dédoublement , situations vécues comme contraires aux principes d'honnêteté, d'honneur et de fidélité. Et ces jugements se retrouvent aussi bien dans le monde chrétien que dans le monde juif qui craint, sinon dénonce chez les « conversos », une infidélité au Dieu qu'ils se devaient de servir. Pour Maurice Kriegel, le marrane serait donc plutôt un homme dans l'impasse et la fermeture. Pis, un homme piégé. S'il ne se conve
Les réalités plurielles du marranisme
Coincés entre ces deux regards sur le phénomène marrane, douze autres historiens, sociologues et philosophes nous proposent une sorte de voyage qui nous mène au Brésil sur les chemins de l'incertitude, de l'irréligion, de l'illuminisme ou en Iran parmi la communauté des Mashadi, (de la cité de Mashad) convertie de force à l'islam en 1839 et qui, à New-York ou en Israël maintient encore aujourd'hui, à côté d'un judaïsme orthodoxe, une pratique familiale et communautaire fermée sur elle-même et transmise sans faille par les femmes.
Nous éloignant du judaïsme, Monique Weis, spécialiste des rapports du politique et du religieux en Europe occidentale, nous entraîne dans l'Angleterre des XVIe et XVIIe siècles avec la découverte des « Church Papists », ces fidèles de Rome qui, sous la pression politique de la royauté et du clergé anglican, choisissent une forme de double vie et que l'auteur n'hésite pas à désigner sous le terme de « marranes catholiques ».
Enfin on ne peut échapper aux versions protestantes du marranisme que Patrick Cabanel, historien du monde réformé, analyse avec finesse et perplexité, insistant certes sur ses différentes variantes, mais également sur l'opposition de Calvin à cette pratique du compromis. Et il n'oublie d'évoquer ses échecs au point de se demander si, au delà du discours imaginaire, le phénomène marrane a bien existé au sein du protestantisme européen.
Le marrane imaginaire, un personnage contemporain
Au fil des pages et des articles, nous passons d'un siècle à l'autre, d'un pays à l'autre. Nous sommes aussi bien au Royaume d'Orange qu'en Transylvanie avec le « semi-marranisme des sabbatariens ». Une traversée dans le temps et l'espace complétée par une forme de rencontre avec des personnalités contemporaines qui ont peut-être pour point commun d'avoir tout fait pour échapper à toute grégarité fusionnelle et pour n'avoir jamais céder à l'illusion de l'enracinement.
A ce titre, qu'ils se nomment Jean-Marie (Aron) Lustiger, Marcel Proust, Jacques Derrida ou André Suarès, grâce aux réflexions de discrets intellectuels comme Frédéric Gugelot, Perrine Simon-Nahum, Martine Leibovici et Norman Simms, ils prennent place dans cette réflexion collective certes un peu éclatée mais néanmoins passionnante dans laquelle le phénomène marrane apparaît tour à tour, ou à la fois, comme une ivresse silencieuse, une aspiration à se fondre ou même l'expression d'une méfiance envers toute forme de référence communautaire.
Mais n'est-ce pas tout simplement, la condition même de la vie juive ?
http://fait-religieux.com/culture/livres/2014/10/11/croire-en-secret-l-experience-marrane
Lire l'article paru dans Cerises
http://www.cerisesenligne.fr/file/archive/cerises-230.pdf
Abécédaire Foucault
Lire l'article paru dans Cerises
http://www.cerisesenligne.fr/file/archive/cerises-230.pdf
Lire l'article de Vincent Duclert dans Libération
Le jardin de Gezi, échappée belle de Taksim - Libération
Occupy Gezi
Lire l'article de Vincent Duclert dans Libération, 25/08/2014
PLACES AU PEUPLE - De Tahrir en 2011 à Tiananmen en 1989 en passant par l’Hôtel de Ville au temps de la Commune, Libération raconte, durant trois semaines, ces lieux devenus symboles, où les citoyens ont défié les autorités au nom de la démocratie et des libertés individuelles. Aujourd’hui : la place Taksim à Istanbul
Posée au sommet d’une des nombreuses collines d’Istanbul, Taksim surplombe les eaux éclatantes du Bosphore et la rive asiatique au loin, ouvrant à l’opposé sur les larges avenues des premiers âges de la République. Au Sud, vers Beyoglu et Péra, elles conduisent à la vieille ville européenne où s’alignent les façades altières du XIXe siècle et les anciennes ambassades près de la Sublime Porte, se liant au-delà du vaste boulevard de Talabasi aux destins des quartiers minoritaires, tant chrétiens syriaques que musulmans alévis. Connue de toute la ville, des confins du pays et du monde entier, la place rayonne en dépit de l’intense trafic de voitures, de véhicules improbables et de piétons en tous sens qui paraissent la submerger.
Au milieu, débouche le métro, qui déverse son flot de voyageurs débarquant tout juste des ferries de Kabatas. En bordure, s’élèvent des immeubles, des terrasses, la tour de l’hôtel Marmara et la grande façade du centre culturel Atatürk, promis à la destruction. Au débouché de la mythique Grande-Rue de Péra, devenue la rue de l’Indépendance, se dresse le monument de la République dédié aux héros célèbres (Mustafa Kemal) et anonymes de la fondation de la Turquie moderne. Au loin, on aperçoit les murs de l’ancienne citerne, dont la présence rappelle le nom arabe originel de Taksim, «division» des eaux douces entre les versants de la colline qui commence sur la Corne d’or pour aller mourir au pied du palais de Dolmabahçe. Et puis, sur le long côté de la place qui regarde vers l’Ouest et le couchant, se déploie, tel un rivage, une esplanade ombragée d’arbres, à laquelle on accède par une volée de marches blanches. C’est le jardin de Gezi, là où les gens d’Istanbul aiment se retrouver, se promener, comme son nom l’indique, boire un thé entre amis dans le soir lumineux qui tombe sur la colline, rencontrer la personne promise sur un banc, dormir sur l’herbe une fin d’après-midi d’été, marcher dans la neige l’hiver, rejoindre une humanité mélancolique qui songe à tous les jardins disparus, et comprendre qu’un lieu précieux préserve toutes les vies de la ville. Le jardin de Gezi donne à Taksim sa part vivante, une échappée belle à tous les sens du terme. Il ramène à la surface du temps ces moments fugaces dont on découvre bien plus tard qu’ils ont dessiné la vérité des existences.
Ce sentiment de vivre à travers une place et son jardin évoque un esprit de liberté plus dangereux encore, aux yeux du pouvoir, que les défilés des mouvements de gauche. Eux aussi avaient fait de Taksim un lieu de rassemblement, avant d’en être refoulés. La place est restée un lieu du souvenir, en mémoire des dizaines d’Istanbullu abattus par des militants d’extrême droite qui s’étaient infiltrés dans la police et avaient tiré sur la foule depuis l’hôtel Marmara, le 1er mai 1977.
Cette revendication de la ville par ceux qui y vivent ne cesse d’inquiéter l’omniprésent Premier ministre, Recep Tayyip Erdogan (élu depuis le 10 août président de la République), ancien maire d’Istanbul au cœur d’une logique d’éradication du passé et du présent qui contestent son ambition, ceux de la diversité sociale, de la tradition laïque et des résistances culturelles. Son équipe à la municipalité s’est déjà attaquée à Beyoglu. Des cinémas ont été détruits, des librairies, fermées, et les opérations immobilières se sont multipliées pour normaliser un quartier de tout temps dissident, ne serait-ce que par sa composition multiethnique et les actes de résistance des habitants au quotidien.
La transformation de Taksim était un tout autre enjeu. Il était dit que la place allait être rendue aux piétons alors qu’ils n’en avaient jamais été exclus. Mais, en évacuant la circulation dans des tunnels, le contrôle de Taksim devenait bien plus efficace, particulièrement en cas de manifestations interdites. Quant au jardin de Gezi, il serait rayé de la carte afin de permettre la reconstitution d’une ancienne caserne de l’époque ottomane et une succession de galeries marchandes du plus bel effet. Privatisation de l’espace public, marchandisation des lieux et surexposition policière vont ensemble dans la Turquie d’Erdogan.
Dans les derniers jours de mai 2013, des militants associatifs, des habitants des quartiers environnants et quelques élus de gauche surveillent les chantiers de Taksim. Quand les pelles mécaniques entrent en action contre les arbres du jardin, ils barrent la route aux engins et appellent leurs amis sur les réseaux sociaux. Ceux-ci accourent et transforment le Gezi en une ébauche de commune libre. Le 29 mai, le site Occupy Gezi est créé sur la Toile. Dans le jardin, une fête populaire en continu succède à la promenade. Elle attire aussi bien les milieux dissidents d’Istanbul que les habitants du quartier et, bientôt, tous ceux qui imaginent d’autres futurs que la promesse de l’AKP, le parti du Premier ministre : un modèle islamo-conservateur pour ses électeurs et l’arbitraire policier pour les autres.
Le 31 mai, la police investit le jardin pour mettre fin à son occupation, à grands coups de grenades lacrymogènes. La violence de l’intervention, révélée par des images postées immédiatement sur Occupy Gezi, est telle qu’un large mouvement de solidarité profite aux manifestants. Ils sont rejoints par des groupes actifs d’urbanistes, d’architectes, de médecins, de riverains, d’étudiants, de professeurs, de minorités sexuelles, de supporteurs de football. Avec les militants plus aguerris, qu’ils appartiennent à des organisations kémalistes, kurdes, libérales, de gauche, d’extrême gauche, ils inventent des formes de résistance inédites en Turquie.
Alors que la violence révolutionnaire répondait généralement à la répression du pouvoir, au Gezi, la dérision vis-à-vis de «Tayyip le chimique» et la protestation autant civique que pacifique ripostent aux charges de la police. Cette dernière est désarçonnée dans ses pratiques habituelles d’extrême violence, d’autant que les médias internationaux couvrent très rapidement l’événement, au grand dam des autorités qui menacent les journalistes. Les réseaux d’information nationaux occultent l’événement en diffusant tout au long de la soirée des documentaires animaliers. Alors, le lendemain, les occupants du Gezi s’habillent en pingouins. Une mascotte est née. Son dessin va bientôt orner les murs de la ville.
Devant un mouvement de plus en plus populaire, où les marques de solidarité ne cessent d’affluer, où le Gezi s’organise en commune libre, avec sa cuisine jamais à court de ravitaillement, sa bibliothèque, ses forums, ses équipes sur le Net ou dans le jardin pour lui redonner vie après l’intervention policière du 31 mai, le pouvoir paraît hésiter. Les manifestants en profitent pour occuper tout Taksim. Pour quelques jours, la place de tous les pouvoirs et de toutes les mémoires est offerte à une vie civile jusque-là réprimée dans ses moindres aspects, où la pression sociale étouffe les initiatives individuelles. «Solidarité Taksim», la plateforme de convergence des manifestants, prend corps. L’art submerge la place. La danse, la musique, la peinture dessinent un autre Istanbul. Sur la façade du centre culturel flottent les bannières de la contestation. Les mères de famille viennent soutenir leurs enfants, qu’Erdogan traite de «voyous», dénonçant un complot venu de l’«étranger» (juif de préférence), promettant des mesures radicales dans le cas où l’occupation se poursuivrait.
Alors que la peur domine les sociétés gouvernées en Turquie, celle-ci a fait place, entre ville et jardin, à une grande fierté, celle d’assumer son destin sans l’autorité tutélaire d’un sultan, d’un fondateur, d’un Premier ministre. Pour les occupants de Gezi-Taksim, un tel mouvement, dans sa modernité même, rejoint toute une part étouffée de la Turquie des écrivains, des poètes, des artistes, toute une tradition de la dissidence que l’Europe ignore souvent, se contentant des clichés habituels sur le pays. La vie continue dans la commune libre d’Istanbul. Dans les plis du Gezi se réparent les mémoires, s’entremêlent les identités multiples. D’Asie, des banlieues sans fin d’Istanbul viennent toujours plus nombreux ceux qui veulent découvrir une ville rêvée. On compte les manifestants par centaines de milliers, dans tout le pays. D’autres parcs ont suivi l’exemple de Gezi.
Le samedi 15 juin 2013 est une journée splendide. Les familles sont venues plus nombreuses que jamais au jardin. En fin de soirée, la police donne l’assaut. La violence sera extrême. L’atmosphère est saturée par les gaz, les manifestants sont battus sur place avant d’être arrêtés, leur traque se poursuit dans tous les quartiers alentour, des médecins sont arrêtés, des hôpitaux investis. La police s’acharne sur le jardin protestataire.
Le lendemain, il ne reste plus rien de visible d’un mouvement civique sans précédent en Turquie, et largement inédit en Europe de par cette faculté à défier les pouvoirs d’Etat les plus puissants par l’expérience sociale la plus familière. Recep Tayyip Erdogan se persuade de sa victoire et la célèbre avec ses partisans. Mais quelque chose d’invisible a changé en Turquie, la preuve d’une maturité politique a été faite. Cette conscience démocratique demeure encore minoritaire, comme beaucoup des valeurs et des richesses de la société turque. Mais elle est bien réelle dans les imaginaires. Pour la faire vivre, il suffit de commencer à l’écrire.
Auteur de Occupy Gezi. Un récit de résistance à Istanbul, éditions Demopolis (avec une œuvre originale du peintre Orhan Taylan), mai 2014.
Vincent DUCLERT Historien, professeur à l’Ecole des hautes études en sciences sociales
Le jardin de Gezi, échappée belle de Taksim - Libération
"L'islam sous le regard de Maxime Rodinson", aritcle de Baptiste Eychart paru dans Lettres françaises, juillet 2014.
http://www.les-lettres-francaises.fr/wp-content/uploads/2014/07/LF-117-web.pdf
Islam et capitalisme
"L'islam sous le regard de Maxime Rodinson", aritcle de Baptiste Eychart paru dans Lettres françaises, juillet 2014.
http://www.les-lettres-francaises.fr/wp-content/uploads/2014/07/LF-117-web.pdf
Islam et capitalisme de Maxime Rodinson
Lire l'article paru dans Politis n°1305 juin 2014, par Denis Shieffer.
"L'islam entre adaptation et résistance"
L'islam offre t'-il le cadre d'une résitance au capitalisme ? Sen accomode t'-il ? Façonne t'-il une forme particulière de capitalisme ? Voilà, entre autres, les questions auxquelles Maxime Rodinson répond dans un ouvrage majeur paru au Seuil en 1966. Le grand sociologue arabisant, disparu en 2004, aborde le sujet des rapports entre islam et capitalisme armé de son immense savoir et d'une solide grille de lecture marxiste qui le prémunit contre les essentialistes de toute sorte. Sa connaissance du Coran luo permet notamment d'en proposer une lecture rationnelle et de montrer que le livre sacré de l'islam entretient un rapport étroit avec la Raison. Dans sa préface, Alain Gresh insiste sur cet aspect qui n'est pas indifférent au moment où l'islam est regardé comme la religion religion de tous les fanatismes. Mais revenons sur nos trois question. Oui, l'islam peut représenter un idéal de résistance aux excès du capitalisme, mais sans toutefois aller jusqu'à remettre en cause l'un des fondements du système, la propriété privée. Les lectures les plus mystiques ont même pu voir dans la dénonciation de "la vanité, la fragilité, la duperie des choses de ce monde" (nous citons Rodinson) une invitation à la critique du capitalisme.
Une résistance qui est peut-être un rejet des influences occidentales car, comme le rappelle Rodinson, l'introduction du capitalisme dnas les sociétés musulmanes est toujours d'origine exogène. C'est un apport extérieur auquel l'islam a été impuissant à résister, y compris face aux traits les plus inhumains du capitalisme comme le travail des enfants au début du XXe siècle, en Egypte. Des traits que les occidentaux ont eu tôt fait d'attribuer à l'islam, oubliant que le capitalisme en pays musulmans a été marqué par une autre réalité historique : le colonnialisme. Celui-ci a eu une double influence. L'économie a d'abord été placée entre les mains d'intérêts étrangers. Puis, lorsuqe les jeunes nations indépendantes ont voulu s'émanciper, elles ont procédé par nationnalisations, donnant naisssance à un capitalisme d'Etat caractéristique de plusieurs pays arabes. Rodinson illustre son propos par des pagessur le capitalisme en Egypte, de l'influence de l'impérialisme britannique à la révolution nationnaliste de Nasser, en 1952. Il n'y a donc évidemment pas de "capitalisme musulman". Aujourd'hui, on voir aussi bien des frères musulmans à l'aise avec le néolibéralisme, que des islamistes, qui selon le mot de François Burgat, reformulent "dans un lexique endogène la vielle dynamique nationnaliste ou anti-impérialiste".
La lecture matérialiste des rapport entre islam et caiptalisme que nous proposait Rodinson, il y a à peu prêt cinquante ans, nous aide à comprendre le monde actuel.
Denis Shieffert
Les islamistes tunisiens : entre l'Etat et la mosquée
Lire l'article paru dans Les cahiers de l'islam
5 avril 2014, par Alexandre El Bakir
L'ouvrage Les islamistes tunisiens. Entre l'Etat et la mosquée, publié par Séverine Labat en 2014 aux éditions Demopolis, est un livre complet et riche, qui a pour ambition d'analyser la situation de la Tunisie contemporaine à l'aune de la place du mouvement islamiste Ennahda sur la scène politique et au sein de la société tunisienne.
Il s'agit d'un ouvrage on ne peut plus d'actualité, après l'adoption de la nouvelle constitution tunisienne le 7 février 2014, en présence notamment du Président de la République Française François Hollande, constitution résolument moderniste et progressiste.
Compréhension des événements successifs et interrogations sur l'islamisme tunisien
L'auteur choisit de citer en exergue la phrase suivante d'Antonio Gramsci : "le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur, surgissent les monstres". En ayant fait le choix de mentionner cette citation au début de son ouvrage, Séverine Labat montre bien l'angle qui est le sien pour interroger la situation de la Tunisie d'aujourd'hui et la place qu'y occupent les islamistes.
Elle découpe son ouvrage en 10 chapitres clairs, vivants et compréhensibles pour le néophyte autant qu'exigeant pour le spécialiste. Sans rentrer dans le détail des arguments développés dans le livre, on peut en résumer ainsi les conclusions principales.
Quel est le véritable visage de l'islamisme tunisien ?
La chercheuse au CNRS, docteur en sciences politiques, présente d'abord la cacophonie postdictatoriale qui a suivi le départ de Ben Ali du pouvoir en janvier 2011. Elle montre bien comment l'immédiat après Ben Ali voit la primauté des questions politiques sur les enjeux socio-économiques, dans le contexte d'une transition marquée par une certaine perpétuation de l'ancien régime et un chaos palpable. Dans ce cadre, la victoire des islamistes d'Ennahda aux élections législatives marque le premier jalon d'une polarisation de la société et du champ politique tunisien.
Le retour du leader du mouvement islamiste, Ghannouchi, réprimé et en exil sous Ben Ali, témoigne à la fois de l'organisation des frères musulmans et des divisions qui existent en Tunisie, notamment mais pas seulement entre la gauche laïque et les islamistes. Ghannouchi, tenant d'une idéologie proche du wahhabisme saoudien, tente d'instaurer en Tunisie des règles étrangères à sa tradition d'ouverture et de modernité entamée sous l'ère Bourguiba.
À ce titre, Séverine Labat compare la notion "d'islamisme modéré" au "règne de l'oxymore". Elle pointe les quelques points communs et les nombreuses différences avec l'AKP turc d'Erdogan et présente les arguments qui étayent bien en quoi l'Algérie et sa décennie 1990 constituent un contre-modèle que refusent l'immense majorité des Tunisiens. Son analyse apparaît particulièrement aiguisée quand elle démontre que l'islamisme est un facteur de dilution du lien national, voulant entraîner le pays dans une internationale islamiste en rupture avec l'histoire de la Tunisie depuis son indépendance en 1956. Elle explique aussi comment la relation ambivalente entre Ennahda et les salafistes, entre connivence et confrontations, constitue une ligne de fracture au sein du pays, autour de la compétition pour le contrôle du champ religieux et la délégitimation des autres forces politiques, syndicales et sociales du pays au profit d'une confusion entre religion et utilisation de l'islam à des fins politiques.
Le refus de la violence ou l'impossibilité de la concrétisation du projet islamiste
Par la suite, l'auteur démontre en quoi l'usage de la violence et du terrorisme (attaque de l'ambassade des Etats-Unis à Tunis, assassinats de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, controverses violentes entre féministes et islamistes...) témoigne du refus majoritaire des Tunisiens de l'inscription dans la durée de leur pays dans un cycle d'affrontements sanglants et de menaces quotidiennes sur la sécurité des biens et des personnes.
Face aux impasses de l'islamisme, l'incapacité à assurer un dynamisme de l'économie, face à l'éclatement des partis démocrates, à une reconfiguration politique de l'opposition à Ennahda pleine d'interrogations (Moncef Marzouki, Mustapha Ben Jaafar...), la Tunisie se situe à la croisée des chemins, oscillant entre interrogations sur elle-même et influences différenciées, parfois contradictoires, de ses partenaires que sont l'Union Européenne, au premier rang la France, les Etats-Unis et les autres pays du Monde Arabe.
À cet égard, il faut rappeler que l'Union Européenne occupe une place essentielle dans la vie socio-économique du pays : 78% des exportations de Tunisie, 65% des importations tunisiennes en proviennent, elle génère 85% de ses revenus du tourisme et elle assure 75% des investissements étrangers dans le pays. Cela impose de repenser les enjeux de l'avènement d'un nouvel espace méditerranéen. À titre d'exemple, la Tunisie pourrait devenir, à l'instar du Maroc, seul pays de la rive sud dans cette situation, un pays central pour le partenariat privilégié avec l'Europe, si elle obtient le statut avancé qui est celui du Maroc et qui permet d'intensifier la coopération politique, économique, sociale et culturelle entre les deux entités.
Un livre pédagogique qui ancre pleinement la situation tunisienne dans son contexte
Sans nul doute, l'un des apports de ce livre est également de pouvoir situer la trajectoire du pays par rapport aux autres Etats de la Région. Sans conteste, la Tunisie est aujourd'hui avec le Maroc le pays le plus démocratique du Monde Arabe, au sein duquel les libertés publiques sont perfectibles mais demeurent les plus développées. Coincé entre une kleptocratie pétrolière reposant sur l'armée à l'ouest et un Etat en voie de décomposition dans la Lybie de l'après Kaddafi, la Tunisie représente un espoir pour les autres pays de la région (Egypte, Liban, Syrie...), celui d'un passage progressif d'une dictature à la démocratie.
Il est bien entendu trop tôt pour savoir si ce constat optimiste se vérifiera dans l'avenir. On peut néanmoins avec ce livre saluer l'intérêt de la démarche tunisienne et l'apport au monde dont ce pays témoigne, quand la volonté d'un peuple, majoritairement musulman en l'occurrence, parvient, tôt ou tard, à triompher de l'autoritarisme et de l'obscurantisme.
Lire l'article sur Entre les lignes entre les mots publié le 14 avril 2014
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/?s=rodinson
Islam et capitalisme de Maxime Rodinson
Lire l'article sur Entre les lignes entre les mots publié le 14 avril 2014
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/?s=rodinson
Dans sa préface Alain Gresh souligne l’actualité de ce livre paru en 1966, en particulier sur les rapports « entre islam, développement économique et capitalisme dans le monde musulman »
Une remarque : le préfacier, après l’auteur, utilise des formules très respectueuses envers les croyant-e-s et leurs relations aux textes. Cela n’enlève rien au caractère matérialiste de leurs analyses.
Le préfacier indique, que contrairement à Ernest Renan ou Max Weber, Maxime Rodinson montre que le Coran « ce texte sacré par excellence puisqu’il est le Verbe de Dieu accorde une bien plus grande place à la raison que les livres sacrés du judaïsme et du christianisme ».
Je ne me prononcerai pas sur les dimensions religieuses, hors de mes compétences et centres d’intérêt. Les relations « avec la rationalité » ont quelque chose à voir avec l’environnement socio-économique, la période d’écriture des textes et les espérances qu’ils contiennent. Ce qui ne peut être abordé sans en montrer aussi les contradictions.
Alain Gresh indique aussi que « l’idée de prédestination en islam (comme d’ailleurs dans les autres religions) ne contredit pas l’appel à l’action ». Une invitation à penser les effets des religions et des croyances en regard des conditions matérielles et idéelles dans lesquelles, elles se manifestent. « Nul « fatalisme » donc, nulle « paresse » spécifique aux musulmans, pas plus d’ailleurs qu’aux anciens peuples colonisés ». Cette paresse supposée est une des manifestations du racisme consubstantiel au colonialisme. Le préfacier parle aussi de « la tradition », de la variété des textes, d’idéologie post-coranique, des liens entre expressions religieuses et vie sociale, des comportements, des interprétations, des théologiens. Il cite Olivier Roy « le Coran dit ce que les musulmans disent qu’il dit », cette formule pouvant s’appliquer à toutes les religions.
Alain Gresh rappelle que Maxime Rodinson revendique « une filiation marxiste ». J’indique que cette filiation n’a pas toujours été dégagée des lectures mécaniques, évolutionnistes ou politiquement douteuses du stalinisme, comme l’auteur le précisera lui-même dans son texte. Quoiqu’il en soit, « ce sont les conditions matérielles dans lesquelles vivent et produisent les êtres humains qui déterminent la manière dont ils pensent (et ils agissent) ». Encore ne faut-il pas avoir une vision réductrice ou économiste des conditions matérielles et ne pas oublier que les « ils » sont aussi des « elles ».
Le préfacier souligne aussi les rapports entre fidélité à la religion et facteurs d’identification nationalitaire, et indique que « la profonde imprégnation religieuse n’était pas un obstacle aux mobilisations politiques, à l’aspiration à la démocratie et à la justice sociale ». Les moteurs des changements sont toujours plus à chercher dans les réalités socio-politiques. Sur les mouvements actuels, voir par exemple, Gilbert Achcar : Le peuple veut. Un exploration radicale du soulèvement arabe, Sindbad – Actes sud 2013, Le soulèvement arabe n’en est encore qu’à ses débuts .
Se tourner vers les traditions, religieuses ou non, même largement (ré)inventées, est souvent un premier acte de refus, de rébellion contre l’ordre dominant impérialiste. Un moment souvent nécessaire mais en-soi insuffisant.
Pour terminer, Alain Gresh reprend une citation de Maxime Rodinson « avec ou sans l’islam, avec ou sans tendance progressiste de l’islam, l’avenir du monde musulman est à longue échéance un avenir de luttes. Sur terre, les luttes se déclenchent et se déroulent pour des buts terrestres, mais sous l’étendard des idées ».
"Le monde musulman, Marx et le socialisme", par Alain Gresh, Le Monde diplomatique.
Islam et capitalisme de Maxime Rodinson
"Le monde musulman, Marx et le socialisme", par Alain Gresh.
Article paru dans Le Monde diplomatique N° 721 d'Avril 2014.
Lire l'article sur le site de nonfiction.fr , 19 février 2014, par Alexandre El Bakir
Quel avenir pour la Tunisie ?
http://www.nonfiction.fr/article-6929-quel_avenir_pour_la_tunisie_.htmLes islamistes tunisiens : entre l'Etat et la mosquée
Lire l'article sur le site de nonfiction.fr , 19 février 2014, par Alexandre El Bakir
Quel avenir pour la Tunisie ?
L'ouvrage Les islamistes tunisiens. Entre l'Etat de la mosquée, publié par Séverine Labat en 2014 aux éditions Demopolis, est un livre complet et riche, qui a pour ambition d'analyser la situation de la Tunisie contemporaine à l'aune de la place du mouvement islamiste Ennahda sur la scène politique et au sein de la société tunisienne.
Il s'agit d'un ouvrage on ne peut plus d'actualité, après l'adoption de la nouvelle constitution tunisienne le 7 février 2014, en présence notamment du Président de la République Française François Hollande, constitution résolument moderniste et progressiste.
Compréhension des événements successifs et interrogations sur l'islamisme tunisien
L'auteur choisit de citer en exergue la phrase suivante d'Antonio Gramsci : "le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur, surgissent les monstres". En ayant fait le choix de mentionner cette citation au début de son ouvrage, Séverine Labat montre bien l'angle qui est le sien pour interroger la situation de la Tunisie d'aujourd'hui et la place qu'y occupent les islamistes.
Elle découpe son ouvrage en 10 chapitres clairs, vivants et compréhensibles pour le néophyte autant qu'exigeant pour le spécialiste. Sans rentrer dans le détail des arguments développés dans le livre, on peut en résumer ainsi les conclusions principales.
Quel est le véritable visage de l'islamisme tunisien ?
La chercheuse au CNRS, docteur en sciences politiques, présente d'abord la cacophonie postdictatoriale qui a suivi le départ de Ben Ali du pouvoir en janvier 2011. Elle montre bien comment l'immédiat après Ben Ali voit la primauté des questions politiques sur les enjeux socio-économiques, dans le contexte d'une transition marquée par une certaine perpétuation de l'ancien régime et un chaos palpable. Dans ce cadre, la victoire des islamistes d'Ennahda aux élections législatives marque le premier jalon d'une polarisation de la société et du champ politique tunisien.
Le retour du leader du mouvement islamiste, Ghannouchi, réprimé et en exil sous Ben Ali, témoigne à la fois de l'organisation des frères musulmans et des divisions qui existent en Tunisie, notamment mais pas seulement entre la gauche laïque et les islamistes. Ghannouchi, tenant d'une idéologie proche du wahhabisme saoudien, tente d'instaurer en Tunisie des règles étrangères à sa tradition d'ouverture et de modernité entamée sous l'ère Bourguiba.
À ce titre, Séverine Labat compare la notion "d'islamisme modéré" au "règne de l'oxymore". Elle pointe les quelques points communs et les nombreuses différences avec l'AKP turc d'Erdogan et présente les arguments qui étayent bien en quoi l'Algérie et sa décennie 1990 constituent un contre-modèle que refusent l'immense majorité des Tunisiens. Son analyse apparaît particulièrement aiguisée quand elle démontre que l'islamisme est un facteur de dilution du lien national, voulant entraîner le pays dans une internationale islamiste en rupture avec l'histoire de la Tunisie depuis son indépendance en 1956. Elle explique aussi comment la relation ambivalente entre Ennahda et les salafistes, entre connivence et confrontations, constitue une ligne de fracture au sein du pays, autour de la compétition pour le contrôle du champ religieux et la délégitimation des autres forces politiques, syndicales et sociales du pays au profit d'une confusion entre religion et utilisation de l'islam à des fins politiques.
Le refus de la violence ou l'impossibilité de la concrétisation du projet islamiste
Par la suite, l'auteur démontre en quoi l'usage de la violence et du terrorisme (attaque de l'ambassade des Etats-Unis à Tunis, assassinats de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, controverses violentes entre féministes et islamistes...) témoigne du refus majoritaire des Tunisiens de l'inscription dans la durée de leur pays dans un cycle d'affrontements sanglants et de menaces quotidiennes sur la sécurité des biens et des personnes.
Face aux impasses de l'islamisme, l'incapacité à assurer un dynamisme de l'économie, face à l'éclatement des partis démocrates, à une reconfiguration politique de l'opposition à Ennahda pleine d'interrogations (Moncef Marzouki, Mustapha Ben Jaafar...), la Tunisie se situe à la croisée des chemins, oscillant entre interrogations sur elle-même et influences différenciées, parfois contradictoires, de ses partenaires que sont l'Union Européenne, au premier rang la France, les Etats-Unis et les autres pays du Monde Arabe.
À cet égard, il faut rappeler que l'Union Européenne occupe une place essentielle dans la vie socio-économique du pays : 78% des exportations de Tunisie, 65% des importations tunisiennes en proviennent, elle génère 85% de ses revenus du tourisme et elle assure 75% des investissements étrangers dans le pays. Cela impose de repenser les enjeux de l'avènement d'un nouvel espace méditerranéen. À titre d'exemple, la Tunisie pourrait devenir, à l'instar du Maroc, seul pays de la rive sud dans cette situation, un pays central pour le partenariat privilégié avec l'Europe, si elle obtient le statut avancé qui est celui du Maroc et qui permet d'intensifier la coopération politique, économique, sociale et culturelle entre les deux entités.
Un livre pédagogique qui ancre pleinement la situation tunisienne dans son contexte
Sans nul doute, l'un des apports de ce livre est également de pouvoir situer la trajectoire du pays par rapport aux autres Etats de la Région. Sans conteste, la Tunisie est aujourd'hui avec le Maroc le pays le plus démocratique du Monde Arabe, au sein duquel les libertés publiques sont perfectibles mais demeurent les plus développées. Coincé entre une kleptocratie pétrolière reposant sur l'armée à l'ouest et un Etat en voie de décomposition dans la Lybie de l'après Kaddafi, la Tunisie représente un espoir pour les autres pays de la région (Egypte, Liban, Syrie...), celui d'un passage progressif d'une dictature à la démocratie.
Il est bien entendu trop tôt pour savoir si ce constat optimiste se vérifiera dans l'avenir. On peut néanmoins avec ce livre saluer l'intérêt de la démarche tunisienne et l'apport au monde dont ce pays témoigne, quand la volonté d'un peuple, majoritairement musulman en l'occurrence, parvient, tôt ou tard, à triompher de l'autoritarisme et de l'obscurantisme.
Lire l'article sur Slate.fr, le 19/02/2014, par Alexandra El Bakir
http://www.slate.fr/tribune/83477/avenir-tunisie
Les islamistes tunisiens : entre l'Etat et la mosquée
Lire l'article sur Slate.fr, le 19/02/2014, par Alexandra El Bakir
L'ouvrage Les islamistes tunisiens. Entre l'Etat de la mosquée, publié par Séverine Labat en 2014 aux éditions Demopolis, est un livre complet et riche, qui a pour ambition d'analyser la situation de la Tunisie contemporaine à l'aune de la place du mouvement islamiste Ennahda sur la scène politique et au sein de la société tunisienne.
Il s'agit d'un ouvrage on ne peut plus d'actualité, après l'adoption de la nouvelle constitution tunisienne le 7 février 2014, en présence notamment du Président de la République Française François Hollande, constitution résolument moderniste et progressiste.
L'auteur choisit de citer en exergue la phrase suivante d'Antonio Gramsci: «le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur, surgissent les monstres». En ayant fait le choix de mentionner cette citation au début de son ouvrage, Séverine Labat montre bien l'angle qui est le sien pour interroger la situation de la Tunisie d'aujourd'hui et la place qu'y occupent les islamistes.
Elle découpe son ouvrage en 10 chapitres clairs, vivants et compréhensibles pour le néophyte autant qu'exigeant pour le spécialiste. Sans rentrer dans le détail des arguments développés dans le livre, on peut en résumer ainsi les conclusions principales.
La chercheuse au CNRS, docteur en sciences politiques, présente d'abord la cacophonie postdictatoriale qui a suivi le départ de Ben Ali du pouvoir en janvier 2011. Elle montre bien comment l'immédiat après Ben Ali voit la primauté des questions politiques sur les enjeux socio-économiques, dans le contexte d'une transition marquée par une certaine perpétuation de l'ancien régime et un chaos palpable. Dans ce cadre, la victoire des islamistes d'Ennahda aux élections législatives marque le premier jalon d'une polarisation de la société et du champ politique tunisien.
Le retour du leader du mouvement islamiste, Ghannouchi, réprimé et en exil sous Ben Ali, témoigne à la fois de l'organisation des frères musulmans et des divisions qui existent en Tunisie, notamment mais pas seulement entre la gauche laïque et les islamistes. Ghannouchi, tenant d'une idéologie proche du wahhabisme saoudien, tente d'instaurer en Tunisie des règles étrangères à sa tradition d'ouverture et de modernité entamée sous l'ère Bourguiba.
À ce titre, Séverine Labat compare la notion «d'islamisme modéré» au «règne de l'oxymore». Elle pointe les quelques points communs et les nombreuses différences avec l'AKP turc d'Erdogan et présente les arguments qui étayent bien en quoi l'Algérie et sa décennie 1990 constituent un contre-modèle que refusent l'immense majorité des Tunisiens. Son analyse apparaît particulièrement aiguisée quand elle démontre que l'islamisme est un facteur de dilution du lien national, voulant entraîner le pays dans une internationale islamiste en rupture avec l'histoire de la Tunisie depuis son indépendance en 1956. Elle explique aussi comment la relation ambivalente entre Ennahda et les salafistes, entre connivence et confrontations, constitue une ligne de fracture au sein du pays, autour de la compétition pour le contrôle du champ religieux et la délégitimation des autres forces politiques, syndicales et sociales du pays au profit d'une confusion entre religion et utilisation de l'islam à des fins politiques.
Par la suite, l'auteur démontre en quoi l'usage de la violence et du terrorisme (attaque de l'ambassade des Etats-Unis à Tunis, assassinats de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, controverses violentes entre féministes et islamistes...) témoigne du refus majoritaire des Tunisiens de l'inscription dans la durée de leur pays dans un cycle d'affrontements sanglants et de menaces quotidiennes sur la sécurité des biens et des personnes.
Face aux impasses de l'islamisme, l'incapacité à assurer un dynamisme de l'économie, face à l'éclatement des partis démocrates, à une reconfiguration politique de l'opposition à Ennahda pleine d'interrogations (Moncef Marzouki, Mustapha Ben Jaafar...), la Tunisie se situe à la croisée des chemins, oscillant entre interrogations sur elle-même et influences différenciées, parfois contradictoires, de ses partenaires que sont l'Union Européenne, au premier rang la France, les Etats-Unis et les autres pays du Monde Arabe.
À cet égard, il faut rappeler que l'Union Européenne occupe une place essentielle dans la vie socio-économique du pays: 78% des exportations de Tunisie, 65% des importations tunisiennes en proviennent, elle génère 85% de ses revenus du tourisme et elle assure 75% des investissements étrangers dans le pays. Cela impose de repenser les enjeux de l'avènement d'un nouvel espace méditerranéen. À titre d'exemple, la Tunisie pourrait devenir, à l'instar du Maroc, seul pays de la rive sud dans cette situation, un pays central pour le partenariat privilégié avec l'Europe, si elle obtient le statut avancé qui est celui du Maroc et qui permet d'intensifier la coopération politique, économique, sociale et culturelle entre les deux entités.
Sans nul doute, l'un des apports de ce livre est également de pouvoir situer la trajectoire du pays par rapport aux autres Etats de la Région. Sans conteste, la Tunisie est aujourd'hui avec le Maroc le pays le plus démocratique du Monde Arabe, au sein duquel les libertés publiques sont perfectibles mais demeurent les plus développées. Coincé entre une kleptocratie pétrolière reposant sur l'armée à l'ouest et un Etat en voie de décomposition dans la Lybie de l'après Kaddafi, la Tunisie représente un espoir pour les autres pays de la région (Egypte, Liban, Syrie...), celui d'un passage progressif d'une dictature à la démocratie.
Il est bien entendu trop tôt pour savoir si ce constat optimiste se vérifiera dans l'avenir. On peut néanmoins avec ce livre saluer l'intérêt de la démarche tunisienne et l'apport au monde dont ce pays témoigne, quand la volonté d'un peuple, majoritairement musulman en l'occurrence, parvient, tôt ou tard, à triompher de l'autoritarisme et de l'obscurantisme.
http://www.slate.fr/tribune/83477/avenir-tunisie
Lire l'article "Entre islamisme et laïcité, la Tunisie au milieu du gué", paru dans Politis n°1286.
http://www.politis.fr/Entre-islamisme-et-laicite-la,25229.html
Les islamistes tunisiens : entre l'Etat et la mosquée
Lire l'article "Entre islamisme et laïcité, la Tunisie au milieu du gué", paru dans Politis n°1286
Séverine Labat analyse l’évolution de la vie politique tunisienne depuis 2011.
Les islamistes tunisiens : entre l'Etat et la mosquée
Lire l'article de Mireille Duteil sur lepoint.fr, publié le 05/01/2014
Les premiers articles fraîchement adoptés de la nouvelle Constitution tunisienne font de la religion une question individuelle.
Une révolution qui ne dit pas son nom se joue en Tunisie. Avec un an et trois mois de retard, l'Assemblée nationale, où les députés du parti islamiste Ennahda sont majoritaires, a commencé à adopter, le 4 janvier, les premiers articles de la nouvelle Constitution, dont celui garantissant "la liberté de conscience". La Constitution tunisienne est ainsi la première du monde arabe à reconnaître la liberté de conscience dans un de ses articles. Concrètement, les Tunisiens pourront se déclarer "a-religieux" et, mieux encore, ils pourront décider de changer de religion. Chose impensable - officiellement - pour un musulman puisqu'il risque d'être considéré comme apostat et, à ce titre, menacé de mort par des islamistes radicaux. Et si la majorité des pays arabes - à l'exception des pays du Golfe et du Maroc, où le statut de commandeur des croyants du roi implique que les Marocains, sauf s'ils sont juifs, sont ipso facto musulmans - ont tous des citoyens à la fois arabes et chrétiens de naissance, les conversions ne sont officiellement pas possibles.
La société tunisienne est, comme dans la quasi-totalité des pays arabes et musulmans, divisée entre "un pôle moderne et séculier et un pôle conservateur et religieux", selon les termes de Séverine Labat, chercheur au CRNS*, et ce grand pas vers la liberté et la modernité ne s'est pas fait sans mal. Il explique le retard pris dans l'adoption de la nouvelle Constitution de l'après-Printemps arabe. Vendredi et samedi, les débats sur le préambule de la nouvelle loi fondamentale ont été plus houleux, obligeant à plusieurs interruptions de séance.
Pas de référence à la chariaNon seulement les députés ont adopté l'article sur la "liberté de conscience", mais, en plus, le parti islamiste Ennahda, au pouvoir depuis octobre 2011 et très contesté par l'opposition moderniste et séculière, a accepté, dès le printemps 2012, de ne pas introduire de référence à la charia (la loi islamique) dans la nouvelle Constitution. Il avait donné son accord à la reprise des deux premiers articles de la Constitution de 1959 : l'article 1 qui précise que "La Tunisie est un État libre, indépendant et souverain. L'islam est sa religion, l'arabe sa langue et la République son régime." Les députés ont tous voté (à trois exceptions près) en faveur de cet article qui précise "qu'il ne peut être amendé " ; et l'article 2, non amendable aussi, qui prévoit l'instauration d'"un État à caractère civil, basé sur la citoyenneté, la volonté du peuple et la primauté du droit".
Les amendements proposant l'islam comme "source principale de la législation" ont donc été rejetés par l'Assemblée. Un renoncement mal vécu par l'aile dure du parti islamiste. Mais au fil des mois et de la contestation grossissante contre Ennahda, celui-ci n'avait plus guère de choix.
L'État, "gardien de la religion"Par contre, le compromis passé entre Ennahda et l'opposition fait de l'islam "la religion du pays". C'était déjà le cas dans la Constitution adoptée sous Bourguiba en 1959, au lendemain de l'indépendance. L'État devient par ailleurs le "protecteur du sacré" et le "gardien de la religion" (article 6). Ces formulations vagues peuvent-elles être interprétées pour tenter de remettre en question la liberté de conscience ? Certains s'y essaieront probablement.
Il reste encore aux députés tunisiens à voter, avant le 14 janvier prochain, 132 autres articles de la Constitution ainsi qu'une loi électorale pour organiser des élections législatives et mettre fin à la période de transition qui a commencé avec le départ de Ben Ali, l'ancien président, le 14 janvier 2011. Dans l'immédiat, un consensus semble avoir été trouvé pour que la nouvelle loi fondamentale soit adoptée à la majorité des deux tiers des élus et ainsi éviter l'organisation d'un référendum.
* Les islamistes tunisiens, entre l'État et la mosquée, éditions Demopolis, Paris
Lire l'article de Marie Verdier dans La Croix
Les islamistes tunisiens : entre l'Etat et la mosquée
Lire l'article de Marie Verdier dans La Croix
Le premier ministre Ali Larayedh a présenté hier la démission de son gouvernement et cédé sa place au ministre sortant de l’industrie Mehdi Jomaâ.
Le premier ministre tunisien Ali Larayedh, issu du parti islamiste Ennahda, a présenté hier la démission de son gouvernement et a cédé sa place au ministre sortant de l’industrie Mehdi Jomaâ, un indépendant.
« Les Tunisiens attendaient cela depuis des mois. Son principe était acquis depuis l’été dernier », rappelle Mokhtar Trifi, président d’honneur de la Ligue tunisienne des droits de l’homme. L’assassinat du député d’opposition Mohamed Brahmi, le 25 juillet, avait suscité des manifestations monstres contre le gouvernement, accusé de complaisance avec les mouvements salafistes extrémistes et d’incompétence pour sortir le pays de la crise économique et sociale.
« Chacun a ainsi sauvé la face »« Ennahda a réussi à imposer son agenda. Le parti a joué les prolongations, attendant un essoufflement du front anti-Ennahda pour reprendre en partie la main avant de renoncer au gouvernement », estime Séverine Labat, politologue au CNRS, auteur de Les islamistes tunisiens, entre l’État et la mosquée (Demopolis, janvier 2014, 265 p., 23 €). « Chacun a ainsi sauvé la face : Ennahda n’a pas eu l’air de céder et cette démission est une victoire pour ceux qui la réclamaient. »
« Il ne faut pas minimiser l’intervention des puissances occidentales qui ont pesé pour le compromis politique, voulant éviter un scénario à l’égyptienne qui aurait éjecté Ennahda du pouvoir », ajoute-t-elle.
Islamo-compatibleLe futur chef de gouvernement, Mehdi Jomaâ, est ainsi islamo-compatible, puisqu’il est le ministre de l’industrie sortant du gouvernement « nahdaoui » (« d’Ennahda »). « Cette évolution renforce l’image d’un parti islamiste modéré, acceptant de partager le pouvoir, notamment auprès des pays occidentaux », estime Kamel Jendoubi, président de l’ancienne instance supérieure indépendante des élections (Isie), qui avait eu la charge de l’organisation des premières élections post Ben Ali du 23 octobre 2011.
L’élection mercredi par les députés des neuf membres d’une nouvelle instance électorale était une exigence d’Ennahda pour formaliser son retrait. « C’est l’étape la plus importante de la période de transition » démocratique, a fait valoir Mustapha Ben Jaâfar, président de l’Assemblée nationale constituante (ANC). « Ennahda a une stratégie de conquête du pouvoir à long terme. Les futures élections constituent pour elle le véritable enjeu, l’adoption de la constitution est passée au second plan », estime Séverine Labat.
La tenue d’élections en ligne de mirePour Kamel Jendoubi, il est peu probable que ces élections puissent avoir lieu en 2014. « Il a été fait table rase de la première Isie pour créer de toutes pièces une administration électorale. Ce sera très long et la Tunisie n’a toujours pas de code électoral sans lequel il est impossible de fixer une date pour des élections. »
Mais à ses yeux, Ennahda à le temps : « le retrait du gouvernement n’est pas le retrait du pouvoir ».
Une transition longueSelon lui, « les islamistes veulent une période de transition longue. Ils ont proposé un délai de trois ans avant que ne s’applique la future constitution. Car tant que l’actuelle “petite constitution” de la période transitoire est à l’œuvre, l’assemblée constituante dans laquelle ils ont la majorité avec leurs alliés continue à légiférer, les forces politiques restent inchangées, ils vont continuer à “tenir” le gouvernement. Et ils peuvent s’appuyer sur les milliers de nominations, souvent partisanes, qu’ils ont effectuées dans les administrations du pays. »
Une situation sociale explosiveCe retrait du gouvernement est même « bien joué, vu la situation sociale explosive dans le pays », estime Mokhtar Trifi. Ces derniers jours, les manifestations se sont multipliées, les heurts entre manifestants et forces de l’ordre ont secoué la Tunisie de l’intérieur, notamment la région déshéritée de Kasserine. Nombre de bâtiments officiels et de bureaux d’Ennahda ont été incendiés. Plusieurs professions se sont mises en grève, des magistrats aux médecins en passant par les boulangers et les grands axes routiers du pays ont été bloqués.
Exaspération fiscaleLa loi de finances 2014 qui augmente de nombreuses taxes a mis le feu aux poudres. Ennahda a exprimé sa « compréhension face à ces mouvements de protestations » et a appelé à « réviser » ces nouvelles taxes. « Mais c’est le parti qui gouverne qui a adopté cette loi de finances ! », s’exclame Mokhtar Trifi.
À moins qu’il n’ait déjà symboliquement passé le relais à un gouvernement chargé d’appliquer une politique d’austérité. « Le FMI a accordé récemment un prêt de 2,6 milliards de dollars, or celui-ci était conditionné à la mise en œuvre d’un plan d’ajustement structurel qui sera destructeur d’emploi et douloureux socialement », ajoute Séverine Labat.
« Ce budget d’austérité est le résultat de la mauvaise gestion des deux gouvernements nahdaouis, et de l’absence de soutien financier au printemps arabe qu’avaient pourtant promis les pays occidentaux », poursuit-elle. Cette démission n’arrive pas à un si mauvais moment pour Ennahda.
__________________________________________________________________________________________
La Constitution introduit la parité hommes-femmes en politique
Les députés ont adopté, le 9 janvier 2014, à une courte majorité (7 voix de plus que les 109 requises) un amendement à l’article 45 de la Constitution en cours d’adoption, qui dispose que « l’État œuvre à la réalisation de la parité des hommes et des femmes dans les assemblées élues ». Selon ce même article, l’État « garantit les droits acquis des femmes et travaille à les soutenir et les développer » ; il « garantit l’égalité des chances entre les femmes et les hommes » et « prend les mesures nécessaires pour éliminer les violences faites aux femmes ».
L’Assemblée constituante devait encore examiner une centaine d’articles de la Loi fondamentale. Elle escomptait, selon le dernier calendrier du dialogue national pour sortir la Tunisie de la crise, adopter la Constitution pour le troisième anniversaire de la fuite du président Ben Ali, le 14 janvier. Elle avait originellement un an pour adopter une Constitution après son élection du 23 octobre 2011.
MARIE VERDIERLe livre de Patrick Saurin recensé dans la revue Nature et Progrès n°95.
http://www.natureetprogres.org/
Les prêts toxiques : une affaire d'Etat
Recension dans la revue Nature et Progrès n°95.
http://www.natureetprogres.org/
Lire l'article de la revue Santé conjuguée - octobre 2013 - n°66
"Sexisme, racisme et inégalités"
L'égalité c'est la santé
Lire l'article de la revue Santé conjuguée - octobre 2013 - n°66
"Sexisme, racisme et inégalités"
Lire l'article du Mag du Golfe : Où va le Qatar ? par Olivier Da Lage
http://www.calameo.com/read/001668510d681d682244e?authid=nVj4ftFUqJtL
Qatar : les nouveaux maîtres du jeu
Lire l'article du Mag du Golfe : Où va le Qatar ? par Olivier Da Lage
http://www.calameo.com/read/001668510d681d682244e?authid=nVj4ftFUqJtL
Lire l'article paru dans L'Humanité Dimanche (n° 364)
Que faire contre les prêts toxiques des collectivités locales ?
Les Prêts toxiques, une affaire d'Etat
Que Faire ?
Si les autorités de contrôle se montrent incapable de réagir à l’étranglement des finances locales par les emprunts toxiques, les collectivités, elles, peuvent le faire. Voici plusieurs pistes.
CONTRE LES PRÊTS TOXIQUES DES COLLECTIVITÉS LOCALES
Il faut attaquer les banques en justices avant le 19 juin 2013
PATRICK SAURIN, membre de SUD BPCE, du CADTM et du Collectif pour un Audit Citoyen
Qu’entend-on par prêts toxiques ?
Les prêts toxiques, que les banques désignent pudiquement sous l’appellation de « prêts structurés », recouvrent toute une variété d’emprunts proposés aux collectivités, aux hôpitaux et aux organismes de logement social qui ont amené ces acteurs publics à spéculer, alors que cette activité leur est pourtant interdite par les textes. La particularité de ces prêts est de faire supporter par les seuls emprunteurs un risque très important car l’évolution du taux d’intérêt, imprévisible et le plus souvent sans plafond, est déterminée par un mécanisme peu compréhensible tel que le taux de change des monnaies ou les écarts entre les taux courts et les taux longs. La banque prêteuse ne perd jamais : si les taux sont à la hausse, l’emprunteur voit ses échéances augmenter en conséquence, si les taux baissent (c’est rarement le cas), la banque prêteuse ne supporte aucune perte car elle a bien pris soin de s’assurer contre ce risque auprès d’une autre banque appelée banque de contrepartie. Pour attirer le client, la recette est simple : les premières années on lui propose un taux bonifié, inférieur au taux du moment. L’évolution n’intervient qu’au terme de cette première période de 3 à 5 ans, comme on le vérifiera avec la crise financière de 2007-2008 qui fera exploser les taux des prêts parvenus en deuxième période de vie.
Pourquoi les banques ont-elles proposé ce type d’emprunt ?
La raison est bassement triviale : avec ce type de produits, les banques ont multiplié leurs marges par 2, 3, voire plus. Au début de leur commercialisation, à partir de 1995, les emprunts structurés étaient proposés aux acteurs publics locaux pour financer leurs nouveaux investissements, mais très vite, dans le courant des années 2000, Dexia et les autres banques vont conseiller à leurs clients de réaménager l’intégralité de leurs encours de dette. Ainsi, en 2008, la dette du Conseil général de Seine-Saint-Denis était constituée à 97 % de prêts toxiques.
Peut-on évaluer le risque que représentent les prêts toxiques ?
La commission d’enquête parlementaire qui travaillé sur cette question durant le second semestre 2011 a publié dans son rapport ces chiffres ahurissants : fin 2011, il y avait en France 32,1 milliards d’euros d’emprunts structurés, répartis en 10 688 contrats. Le rapport précise : « L’encours total des emprunts structurés à risque est évalué à 18,828 milliards d’euros pour l’ensemble des acteurs publics locaux, dont 15,787 milliards d’euros présentent même un fort risque. » Ce même rapport estime à 730 millions d’euros le surcoût annuel occasionné par ces prêts, auquel s’ajoutent 252 millions d’euros de surcoût résultant de swaps dangereux. Un milliard d’euros de surcoût annuel représente 40 000 emplois, soit une entreprise de 400 personnes par département !
Pourquoi les acteurs publics ne résilient-ils pas ces contrats ?
Tout simplement parce que cela n’est pas possible ou leur coûterait trop cher. En effet, les banques ont pris soin de verrouiller leurs contrats avec des clauses de transformation ou de sortie prévoyant des soultes (ou indemnités de remboursement anticipé) d’un montant considérable. Il est fréquent que pour transformer un prêt toxique en un prêt classique à taux fixe ou à taux révisable, la banque exige en contrepartie une indemnité dont le montant peut être supérieur au montant du prêt. À ce jour, la plupart des négociations amiables engagées par les collectivités locales avec les banques ont échoué car ces dernières, en position de force, ne veulent rien céder.
Pourquoi les pouvoirs publics n’ont-ils pas réagi ?
Le rapport de la commission d’enquête parlementaire de 2011 a mis en évidence une conjonction de manquements et de loupés de la part des autorités de contrôle. De la préfecture, en charge du contrôle de légalité, à la chambre régionales des comptes, en passant par les trésoreries, la Délégation générale des collectivités locales et les ministères, toutes les instances publiques ont failli dans leurs missions respectives. À ce jour, l’exécutif et le législatif n’ont toujours pas proposé de solution digne de ce nom pour dénouer cette situation.
Quelles solutions les acteurs publics locaux ont-ils à leur disposition ?
Pour les collectivités territoriales, les hôpitaux publics et les organismes de logement social contaminés par les prêts toxiques la solution passe par la suspension du paiement des intérêts des emprunts incriminés, l’action en justice contre les banques et l’appel à la population (en particulier les membres des Collectifs locaux pour un audit citoyen) pour les appuyer dans leur combat. Déjà engagé par plus d’une centaine de collectivités, un tel combat peut être gagné. Pour preuve, trois décisions récentes sont venues donner un signal encourageant aux acteurs publics locaux qui ont choisi de s’engager dans cette voie.
Tout d’abord, le 31 mai 2012, la chambre régionale des comptes d’Auvergne Rhône-Alpes a considéré que les dépenses relatives au paiement des intérêts des prêts toxiques de la commune de Sassenage ne présentaient pas un caractère obligatoire dans la mesure où elles étaient susceptibles d’être sérieusement contestées dans leur principe et dans leur montant.
Ensuite, le 24 novembre 2011, le tribunal de grande instance de Paris a donné raison à la commune de Saint-Étienne qui avait interrompu le paiement des intérêts à Royal Bank of Scotland, une décision confirmée par la Cour d’appel de Paris le 4 juillet 2012. Le 11 novembre 2012, RBS a conclu un accord amiable avec la ville en acceptant de prendre à sa charge 50 % de la soulte pour dénouer deux contrats de swap contestés.
Enfin, dernièrement, le 8 février 2013, dans une affaire opposant le conseil général de Seine-Saint-Denis à Dexia, le tribunal de grande instance de Nanterre a décidé la nullité de la clause d’intérêt de trois contrats pour défaut de mention du taux effectif global (TEG) dans le fax de confirmation des prêts.
Du point de vue du droit, il existe une multitude de pistes susceptibles d’être utilisées contre les banques (le dol ou tromperie, le défaut de conseil, le défaut de TEG, le caractère spéculatif des opérations, etc.) pour faire reconnaître les prêts toxiques illégaux ou illégitimes.
Que doivent réclamer les acteurs publics locaux contaminés par les prêts toxiques ?
Ils doivent demander aux banques qu’elles substituent aux prêts toxiques qu’elles leur ont commercialisés des emprunts non risqués (à taux fixe ou à taux révisable classiques), sans soulte, sans allongement de durée, sans clause léonine ou abusive. Parce qu’elles ont été à l’origine de ce type d’emprunts les banques doivent supporter la totalité des surcoûts qu’ils ont générés pour les emprunteurs.
Ils doivent également exiger des pouvoirs publics une profonde réforme du financement des acteurs publics locaux pour que soient mis à disposition de ces derniers des emprunts non risqués à taux préférentiels ou à taux nul. Les pouvoirs publics devront également prendre toute les mesures utiles afin d’obliger les banques à substituer aux prêts toxiques qu’elles ont commercialisés des emprunts non risqués dans les conditions énoncées précédemment.
Pourquoi les acteurs publics ont-ils intérêt à engager leur action en justice avant le 19 juin 2013 ?
Il importe que les acteurs publics locaux engagent leur action en justice au plus tôt, car les emprunteurs qui ont signé leurs contrats de prêt avant juin 2008 ont jusqu’au 19 juin 2013 pour engager une action en responsabilité contractuelle. En effet, la loi N° 2008-561 du 17 juin 2008 (votée le 17 juin, publiée au Journal officiel le 18 et applicable le 19) portant réforme de la prescription en matière civile a modifié l’article 2224 du Code civil qui dispose : « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ». Une action après le 19 juin 2013 sera toujours possible, mais cela sera plus compliqué pour l’emprunteur qui devra apporter la preuve des raisons objectives qui l’ont empêché de s’apercevoir du caractère erroné du contrat avant cette date.
Si l’on demande aux banques de supporter la totalité des surcoûts, les contribuables ne devront-ils pas être appelés à payer pour Dexia in fine ?
Dans la mesure où près de 10 milliards d’encours de prêts toxiques de Dexia Municipal Agency (DEXMA) ont été repris par la Société de Financement Local (SFIL détenue à 75% par l'Etat, à 20% par la CDC et à 5% par la Banque postale), c’est l’État français qui désormais porte le risque. Mais je pense qu’il existe une piste de droit pour éviter que les contribuables, à travers l’État, ne soient appelés à payer les surcoûts. Je préconise que les banques de contrepartie des banques qui ont consenti des emprunts toxiques soient appelées solidairement avec ces banques prêteuses à supporter l’intégralité des surcoûts consécutifs aux montages financiers auxquelles elles ont participé. En effet, le prêt structuré ne peut être considéré isolément mais doit être examiné dans le cadre d’un ensemble associant l’emprunteur, le prêteur et la banque de contrepartie. Dans la mesure où les prêts structurés sont considérés comme illégaux ou illégitimes, la banque de contrepartie doit être elle aussi tenue co-responsable du montage délictueux auquel elle a participé. Accepter d’exonérer des banques de contrepartie de ce type de responsabilité reviendrait à considérer légales et légitimes les contre-garanties qu’elles pourraient apporter à des trafiquants de drogue, à des délinquants se livrant au trafic d’êtres humains ou à des malfaiteurs ayant des activités de blanchiment d’argent. Les banques ont obligation de se renseigner sur la moralité de leurs clients et sur la licéité des opérations effectuées par ces derniers. En l’espèce, il est incontestable que les banques de contrepartie ont failli à cette obligation. Dans notre cas de figure, cela permettrait de faire supporter les surcoûts des prêts toxiques de DEXMA, non plus à la SFIL (et à travers elle à l’État et aux contribuables), mais aux banques de contrepartie intervenantes dans ces emprunts toxiques. Ces banques de contrepartie, parmi lesquelles on compte notamment Goldman Sachs, Morgan Stanley, Royal Bank of Scotland, HSBC, Dexia Bank Belgium, Deutsche Bank, etc.) portent une lourde responsabilité dans la crise financière qui a débuté en 2007 et ont tout à fait les moyens financiers de supporter les surcoûts.
POURSUIVRE LE DÉBAT « Les prêts toxiques, une affaire d’État. Comment les banques financent les collectivités locales », Patrick Saurin, Éditions Demopolis, 15 euros.
Des milliers de collectivités locales, d’hôpitaux, d’offices d’HLM sont en graves difficultés financières du fait des agissements irresponsables de Dexia et de bien d’autres banques. L’État a sa part de responsabilité. Il a jeté les acteurs publics locaux dans les griffes des banques en changeant les règles régissant leurs modes de financement. Et le contrôle public – des préfectures aux ministères en passant par les chambres régionales des comptes – a failli. À l’issue d’une minutieuse enquête, Patrick Saurin décortique ce fiasco et ses responsabilités. Il propose aussi des solutions pour en sortir, fait le point des actions en justice, donne la marche à suivre pour des audits citoyens des dettes des collectivités locales ou des hôpitaux, il explique concrètement comment pourraient se passer annulation des dettes illégales et illégitimes, et socialisation du système bancaire. Patrick saurin a été pendant dix ans, chargé de clientèle auprès des collectivités locales au sein des Caisses d’épargne. Il est membre de l’exécutif national de SUD BPCE, du Collectif pour un audit citoyen et du Comité pour l’annulation de la dette du Tiers-Monde (CADTM).
Lire l'article paru dans TEAN,du 30 mai au 5 juin 2013.
Les Prêts toxiques, une affaire d'Etat
Lire l'article paru dans TEAN,du 30 mai au 5 juin 2013.
COLLECTIVITÉS LOCALES
Des finances toxiques
Après la date limite du 19 juin 2013, il sera plus difficile pour les acteurs publics locaux (collectivités locales, hôpitaux publics, offices de HLM,…) d’engager des actions en justice contre les banques leur ayant fait signer des contrats d’emprunts toxiques.
De quoi s’agit-il ? D’« escroqueries en bande organisée » selon l’expression employée par des élus locaux lors de l’audition en juin 2011 par la commission de l’assemblée nationale à propos des prêts toxiques proposés, si ce n’est imposés, par les banques aux acteurs publics locaux depuis le milieu des années 90 et l’explosion du capitalisme financiarisé.
Pour en savoir plus, pour en comprendre les mécanismes pervers, et pour proposer des solutions, notamment lors de la campagne des élections municipales du printemps 2014, il faut lire d’urgence le livre de Patrick Saurin : « Les prêts toxiques, une affaire d’État, comment les banques financent les collectivités locales »[1].
Des taux qui explosent
Le baratin des banques aux responsables financiers des collectivités locales était le suivant : vous avez souscrit jusqu’à ce jour des emprunts à taux fixe ou à taux révisable classiques, mais on va vous faire profiter des nouveaux instruments financiers, les emprunts « structurés ». Il s’agit d’emprunts dont les taux évoluent en fonction d’indices spéculatifs dont les éventuelles conséquences sont soigneusement occultées…
Pour décider l’emprunteur, les banques proposent une première période de 3 à 5 ans avec un taux bonifié mais dont la contrepartie est un risque très important pour la période qui suit, souvent supérieure à 20 ans. Deux exemples précis sont donnés en annexe du livre. La ville de Nice a souscrit un emprunt à 15 ans au taux initial de 3,99 %, transformé en emprunt structuré indexé sur le taux de change du franc suisse, ce qui donne en août 2012 un taux de 15,5 %. La ville de St Germain en Laye a converti un emprunt à 30 ans à 5,1 % en emprunt structuré également indexé sur le taux de change du franc suisse (mais avec une formule plus avantageuse pour la banque) qui aboutit à un taux de 38,39 % !
La malhonnêteté apparaît même clairement chez Dexia qui intitule TOFIX un type de prêt à taux variable… Et quand les collectivités s’aperçoivent de leur erreur et veulent sortir de ces emprunts structurés elles se retrouvent bloquées par des pénalités de sortie parfois supérieures au capital restant dû.
Les banques en profitent
Se pose alors la question de la responsabilité des différents acteurs, abordée dans le chapitre 3, dont les titres des six paragraphes disent le contenu. Les élus : entre crédulité, incompétence et turpitude. Le trésorier-payeur général : démuni. Le préfet : pas informé. La chambre régionale des comptes : en difficulté. L’état et ses services : aux abonnés absents. Les banques : à la manœuvre.
Surtout les banques. Et pas seulement Dexia, en principe LA banque des collectivités locales, et le précurseur dans ces emprunts structurés, mais aussi toutes les autres : le Crédit Agricole, le Crédit Lyonnais, les caisses d‘épargne, et même des banques étrangères : JP Morgan ou Royal Bank of Scotland.
Et pour s’en prendre aux banques, on ne peut pas compter sur le gouvernement comme on vient de le voir avec la récente loi de séparation des activités bancaires qui n'isole que 1 % d'activités spéculatives, ou avec le récent rapport de l'Inspection Générale des Finances sur les emprunts toxiques qui exonèrent largement les banques de leur responsabilité.
Alors que faire ?
Dans l'immédiat, les citoyenNEs peuvent demander aux éluEs et responsables qu’ils fassent toute la lumière sur la situation de la collectivité publique dont ils ont la responsabilité. En cas de refus de leur part, ils peuvent saisir la CADA (Commission d'Accès aux Documents administratifs) en fonction d’une disposition qui autorise à tout citoyen l'accès aux documents financiers des collectivités. Ils peuvent également agir collectivement et participer au CAC (Collectif pour un Audit Citoyen de la dette publique), en utilisant deux annexes pratiques détaillées du livre : Comment auditer sa collectivité ? Comment auditer son hôpital public ? Quelques actions en justice ont déjà abouti à des décisions favorables aux collectivités.
Aujourd’hui, on peut faire ce constat sans appel : toutes les banques ont commercialisé des emprunts toxiques, se sont livré à la spéculation, et ont favorisé la fraude fiscale notamment à travers les paradis fiscaux. Pour mettre un terme à ces pratiques, il faut revendiquer dès maintenant la socialisation de l'ensemble du secteur financier.
Jacques Cherbourg
[1] Éditions Demopolis, mai 2013, 268 pages, 15€ . P Saurin est membre de l’exécutif national de SUD BPCE, du CADTM et du CAC (Collectif pour un Audit Citoyen de la dette publique).
Qatar : les nouveaux maîtres du jeu
Lire la note de lecture Politique Internationale n°139 printemps 2013, par Robert Dalai.
Qatar : les nouveaux maîtres du jeu
L'histoire du Qatar de ces vingt dernières années ressemble à la fable de La Fontaine sur la grenouille ayant voulu se faire aussi grosse que le bceuf... à ceci près que le Qatar, lui, a réussi. La stratégie qui a permis au minuscule émirat de devenir le < maître du jeu > sur la scène internationale est décortiquée par les auteurs de ce livre : olivier Da Lage, le coordinateur, rédacteur en chef à RFI, est un grand connaisseur de la péninsule arabique ; Mohamed El Oifi est un politologue spéclaliste des médias et des opinions publiques dans le monde arabe ; Renaud Lècadie s'occupe des affaires politico-financières à Libération ; Michel Ruimy, économiste de banque, enseigne l'économie et la finance ; Jean-Pierre Séréni, ancien directeur du Nouvel Écononiste et ancien rédacteur en chef de L'Express, est un expert du secteur de l'énergie ; Willy Le Devin, journaliste indépendant, travaille sur les religions et l'immigration. Pris par le ballet des grandes puissances, on oublie parfois que les petits États ont, eux aussi, une politique étrangère. Ils deviennent souvent - les satellites d'un État plus fort qui assure leur protection. Entouré de voisins puissants et plus ou moins hostiles - Arabie saoudite, Irak, Iran -, le petit Qatar s'est donné les moyens d'adopter une autre voie pour garantir sa survie. Une stratégie mûrement élaborée depuis 1995, année où Hamad Ben Khalifa Al-Thani s'est emparé du pouvoir en renversant son père, vieille tradition familiale...
Le nouveau cheikh transforme rapidement toutes les faiblesses de son émirat en autant d'atouts. L'insolence médiatisée de Doha au sein de la Ligue arabe lui permet de gagner en notoriété : on laisse le petitjouer dans la cour des grands sans s'apercevoir
qu'il occupe une place toujours plus importante. L'appui des Etats-Unis lui offre une marge de manæuvre indispensable. L'introduction d'institutions démocratiques élues - avec la participation de femmes, comme électrices mais aussi comme candidates - marque la différence avec ses voisins et lui pennet de devancer les éventuelles
contestations intérieures... Mais il y a plus. Le Qatar possède plusieurs vrais atouts. Malgré la façade démocratique - qui a montré ses limites avec la condamnation récente du poète Mohamed Al Ajami -, l'essentiel du pouvoir est détenu par quatre personnes : le cheikh, sa deuxième femme, le deuxième fils de celle-ci et Lrn cousin qui occupe la fonction de premier ministre. Ce processus de prise de décision extrêmement court facilite la dynamique politique. En outre, ces dernières années le Qatar a sauté à pieds joints dans les failles qu'a provoquées I'effacement des anciens leaders traditionnels du monde arabe : Irak, Egypte, Libye, Syrie, Algérie, Maroc et, dans une moindre mesure, Arabie saoudite, dont les leaders âgés et conservateurs sont dépassés par le dynamisme de leur petit voisin. Son rôle militaire dans le renversement de Kadhafi a été particulièrement
important, de même que son aide aux insurgés syriens. L'émirat compte près de 2 millions d'habitants (dont seulement 200 000 citoyens, les autres étant des travailleurs immigrés), mais ses revenus - plus de cent milliards de dollars par an, tirés de l'exportation du gaz et du pétrole - le placent au premier rang mondial des investisseurs. De ce point de vue, le Qatar est sur tous les fronts : hydrocarbures (3 7o de Total), sport (acquisition du Paris Saint-Germain), automobile (18 o/o de Volkswagen), immobilier et BTP (participations dans Vinci et Veolia), banque (Barclays et Crédit suisse), éducation (HEC a ouvert une hliale à Doha), art (premier acheteur mondial)... liste non exhaustive !Témoins de lapuissance financière de l'émirat, ces investissements sont autant d'atouts politiques et d'influence. Doha a recours à tout vent à la diplomatie du < carnet de chèques >. Les résistances sont rares : le Qatar a même réussi à rejoindre I'Organisation internationale de la francophonie alors que seuls quelques princes formés dans les hautes écoles françaises et quelques militaires diplômés de Saint-Cyr parlent notre langue...
Lancée et 1996,la chaîne Al-Jazeera, hautement professionnelle et dotée de journalistes de grand talent, est devenue le principal vecteur de I'influence du Qatar au niveau international, spécialement vers I'opinion arabe pendant les révolutions de 2011-2012 - si bien qu'Olivier Da Lage parle à cet égard de < panarabisme médiatique>. Les contradictions ne sont que de fàçade : Al-Jazeera difuse les communiqués d'Al-Qaïda et critique la politique américaine, mais le pays reste un bastion allié de Washington, tout en conservant des relations sereines avec Téhéran. Les dirigeants israéliens fulminent contre ce média panarabe... mais le Qatar a longtemps entretenu des relations quasi diplomatiques avec Tel-Aviv, tout en hébergeant des dirigeants du Hamas. Il n'y a là aucun paradoxe : cette << confusion > rend le Qatar célèbre et indispensable. Et les intérêts de l'émirat ne sont jamais perdus de vue. Beaucoup redoutent cet ami déclaré des Frères musulmans qui appuie les salafistes du Nord-Mali tout en finançant des projets économiques dans les banlieues françaises... Mais ce n'est pas pour soutenir les radicaux que Doha veut investir dans les quartiers populaires de France ; cette décision répond, indéniablement, à une vision flnancière. Pragmatiques, les Qatariens n'ont aucune intention de déstabiliser leurs partenaires et leurs clients gaziers.
La ruse diplomatique, combinée à des ressources financières exceptionnelles, a permis au Qatar de gagner une position surdimensionnée par rapport à sa taille. Pourra t- il la conserver longtemps ? < The sky is the limit >, répond-on dans l'émirat...
Robert Dalais
Les Prêts toxiques, une affaire d'Etat
Collectivités locales : des finances toxiques
Samedi 18 mai 2013
Publié dans : Hebdo Tout est à nous ! (15/05/13)
Après la date limite du 19 juin 2013, il sera plus difficile pour les acteurs publics locaux (collectivités locales, hôpitaux publics, offices de HLM, …) d’engager des actions en justice contre les banques leur ayant fait signer des contrats d’emprunts toxiques.
De quoi s’agit-il ? D’« escroqueries en bande organisée » selon l’expression employée en juin 2011 par des éluEs locaux lors de l’audition par la commission de l’Assemblée nationale. Ils parlaient des prêts toxiques proposés, si ce n’est imposés, par les banques aux acteurs publics locaux depuis le milieu des années 90 et l’explosion du capitalisme financiarisé. Pour en savoir plus, pour en comprendre les mécanismes pervers, et pour proposer des solutions, notamment lors de la prochaine campagne municipale, il faut lire d’urgence le livre de Patrick Saurin : Les prêts toxiques : une affaire d’État 1.
Des taux qui explosent
Le baratin des banques aux responsables financiers des collectivités locales était le suivant : vous avez souscrit jusqu’à ce jour des emprunts à taux fixe ou à taux révisable classiques, mais on va vous faire profiter des nouveaux instruments financiers, les emprunts « structurés ». Il s’agit d’emprunts dont les taux évoluent en fonction d’indices spéculatifs dont les éventuelles conséquences sont soigneusement occultées…
Pour décider l’emprunteur, les banques proposent une première période de 3 à 5 ans avec un taux bonifié, mais dont la contrepartie est un risque très important pour la période qui suit, souvent supérieure à 20 ans. Deux exemples précis sont donnés en annexe du livre. La ville de Nice a souscrit un emprunt à 15 ans au taux initial de 3, 99 %, transformé en emprunt structuré indexé sur le taux de change du franc suisse, ce qui donne en août 2012 un taux de 15, 5 %. La ville de Saint-Germain-en-Laye a converti un emprunt à 30 ans à 5, 1 % en emprunt structuré, également indexé sur le taux de change du franc suisse (mais avec une formule plus avantageuse pour la banque) qui aboutit à un taux de 38, 39 % !
La malhonnêteté apparaît même clairement chez Dexia qui intitule TOFIX un type de prêt à taux variable… Et quand les collectivités s’aperçoivent de leur erreur et veulent sortir de ces emprunts structurés, elles se retrouvent bloquées par des pénalités de sortie parfois supérieures au capital restant dû.
Les banques en profitent
Se pose alors la question de la responsabilité des différents acteurs, dont les titres des six paragraphes donnent le contenu. Les éluEs : entre crédulité, incompétence et turpitude. Le trésorier-payeur général : démuni. Le préfet : pas informé. La chambre régionale des comptes : en difficulté. L’État et ses services : aux abonnés absents. Les banques : à la manœuvre.
Surtout les banques. Et pas seulement Dexia, en principe « la » banque des collectivités locales, et le précurseur dans ces emprunts structurés, mais aussi toutes les autres : le Crédit agricole, le Crédit lyonnais, les caisses d‘épargne, et même des banques étrangères : JP Morgan ou Royal Bank of Scotland.
Et pour s’en prendre aux banques, on ne peut pas compter sur ce gouvernement, comme on vient de le voir avec la récente loi de séparation des activités bancaires qui n'isole que 1 % d'activités spéculatives, ou avec le récent rapport de l'Inspection générale des finances sur les emprunts toxiques qui exonère largement les banques de leur responsabilité.
Alors que faire ?
Dans l'immédiat, les citoyenNEs peuvent demander aux éluEs et responsables qu’ils fassent toute la lumière sur la situation de la collectivité publique dont ils ont la responsabilité. En cas de refus de leur part, ils peuvent saisir la CADA (Commission d'accès aux documents administratifs) en fonction d’une disposition qui autorise à tout citoyenNE l'accès aux documents financiers des collectivités.
Ils peuvent également agir collectivement et participer au CAC (Collectif pour un audit citoyen de la dette publique) en utilisant deux annexes pratiques détaillées du livre. Comment auditer sa collectivité ? Comment auditer son hôpital public ? Quelques actions en justice ont déjà abouti à des décisions favorables aux collectivités.
Aujourd’hui, on peut faire ce constat sans appel : toutes les banques ont commercialisé des emprunts toxiques, se sont livrées à la spéculation, et ont favorisé la fraude fiscale, notamment à travers les paradis fiscaux. Pour mettre un terme à ces pratiques, il faut revendiquer dès maintenant la socialisation de l'ensemble du secteur financier.
Jacques Cherbourg
1. Éditions Demopolis, mai 2013, 268 pages, 15 euros. Patrick Saurin est membre de l’exécutif national de SUD BPCE, du CADTM et du CAC.
Lire l'article de Laurent Mauduit sur Mediapart, publié le 19 mai 2013.
Les Prêts toxiques, une affaire d'Etat
Lire l'article de Laurent Mauduit sur Mediapart, publié le 19 mai 2013.
La troisième personne que je veux ici saluer évolue dans un tout autre univers. Il s’agit de Patrick Saurin, qui est membre de l’exécutif du syndicat Sud des Caisses d’épargne. Lui aussi, je l’ai connu par hasard. Engageant ma première grande enquête, à l’approche de la création de Mediapart, c’est sur cette banque des Caisses d’épargne que j’ai, dans un premier temps, commencé à travailler. Enquête mouvementée puisqu’elle m’a valu par la suite douze mise en examen pour diffamation, avant finalement que ces plaintes déposées par la direction de la banque ne soient retirées et que Mediapart obtienne même la condamnation de cette direction pour poursuites abusives.
Or, lors de cette première enquête, voulant recueillir les points de vue des différentes parties prenantes de cette histoire, j’ai appelé tous les syndicats de l’entreprise, dont le syndicat Sud. C’est ainsi que j’ai connu Patrick Saurin, qui a été mon tout premier interlocuteur, pour cette toute première enquête.
Et depuis, nous avons toujours gardé une très grande proximité et un lien de confiance. Respectueux chacun de nos prérogatives, nous avons souvent échangé sur la vie de l’entreprise : Patrick et ses camarades de Sud m’ont souvent alerté sur la vie tumultueuse de l’entreprise ; et immodestement, je pense que mes informations ou mes révélations sur les Caisses d’épargne ou sur le coup de force de François Pérol pour arriver à la tête de la banque ont souvent été utiles aux syndicalistes. De cet autre « GIE démocratique », il existe d’ailleurs une trace sur Mediapart, qui est « l’édition participative » que nous avons créé ensemble sur Mediapart consacrée à la banque.
C’est la raison pour laquelle je voudrais saluer la sortie du livre de Patrick Saurin, « Les prêts toxiques, une affaire d’Etat – Comment les banques financent les collectivités locales » (Editions Demopolis, 268 pages, 15€). Son livre le mérite à un double titre. D’abord parce que son auteur fait partie d’une catégorie précieuse de syndicalistes : militant au quotidien pour des défendre les salariés de son entrepris, il y consacre une bonne partie de sa vie et de son énergie. Mais le syndicaliste qu’il est, attaché de clientèle pendant de longues années auprès des collectivités publiques, a aussi approché de près l’une des formes les plus scandaleuses et les plus pernicieuses des dérives des grandes banques françaises, happées au fil des ans, par les logiques de la finance folle : l’octroi aux collectivités locales de ces fameux prêts toxiques, qui ont grevé les finances de nombreuses d’entre elles.
De ces bombes à retardement placées aux cœurs des finances locales par les grandes banques de la place, dont les Caisses d’épargne, Patrick Saurin détaille donc les mécanismes avec une formidable précision. Son livre est un réquisitoire mais aussi une invitation à un sursaut démocratique. Car le bilan que dresse Patrick Saurin est accablant : « Un milliard d’euros par an, c’est ce que coûte aux collectivités, aux hôpitaux et aux organismes de logement social la spéculation des banques sur les dettes publiques locales. Cette situation est d’autant plus scandaleuse qu’elle n’a pas suscité à ce jour de réaction appropriée de la part des pouvoirs publics », fait-il valoir.
Trois livres donc, qui n’ont guère de points communs. Mais trois livres citoyens, qui jettent un regard acéré sur les différentes facettes de la crise démocratique que nous traversons.
Entretien avec Olivier Da Lage pour affaires-stratégiques.com, par Pascal Boniface
Qatar : les nouveaux maîtres du jeu ? - affaires-strategiques.info
Qatar Les nouveaux maîtres du jeu
Entretien avec Olivier Da Lage pour affairesstratégiques.com, par Pascal Boniface
Qatar : les nouveaux maîtres du jeu ? - affaires-strategiques.info
Qatar : les nouveaux maîtres du jeu ?19 avril
Olivier Da Lage vient de co-écrire « Qatar, les nouveaux maîtres du jeu » (Demopolis, 2013). Il y décrypte la stratégie du Qatar pour devenir les maîtres du jeu mondial. Il répond aux questions de Pascal Boniface, directeur de l’IRIS.
Vous expliquez dans votre ouvrage que le fait que le Qatar soit un micro-État est loin d’être un handicap et joue même à son avantage. Pourquoi ?
Le Qatar n’est pas le premier micro-État à avoir fait de sa taille et de sa position géographique un atout. Dans les années 60 et 70, Lee Kwan Hew a propulsé avec succès la cité-État de Singapour sur la scène internationale. A la fin des années 70, dans la région même du Qatar –le Golfe–, Bahreïn et Dubaï se sont disputés l’appellation de « Singapour du Golfe ». Mais dans les années 2000, c’est incontestablement le Qatar qui s’est détaché, avec plusieurs atouts que n’avaient pas ses deux voisins.
En premier lieu, l’expérience des succès et des erreurs commises par ses prédécesseurs, qui a permis au Qatar d’être plus efficace dans la définition de sa stratégie et dans sa mise en œuvre. Ensuite, les moyens à la disposition du Qatar, sans commune mesure avec ceux de Bahreïn ou Dubaï qui n’ont plus ou presque plus de pétrole. Les ressources en hydrocarbure du Qatar, notamment en gaz, doivent lui assurer des ressources pour les deux siècles à venir et d’ores et déjà, le revenu par habitant du Qatar est le plus élevé du monde. Enfin, à la différence des deux émirats précités, le Qatar a à sa tête un dirigeant, Cheikh Hamad, qui a une vision stratégique globale. Cet ancien élève de l’académie militaire britannique de Sandhurst a visiblement intégré les leçons des maîtres de la stratégie, notamment la dissuasion du faible au fort. C’est ainsi que, du fait même de sa petite taille, il a pu tenir tête à son grand voisin l’Arabie saoudite en adoptant des postures provocatrices dans les premières années de son règne (il a renversé son père en 1995). Et lors d’une médiation, les dirigeants des Émirats arabes unis ont plaidé l’apaisement auprès de Ryad en faisant valoir qu’entre le petit et le grand, c’est le grand qui doit faire des concessions. Évidemment, le fait que, d’entrée de jeu, cheikh Hamad ait assuré les États-Unis de son indéfectible soutien lui a assuré en retour une assurance des plus crédibles. En somme, la souris peut se permettre de tenir tête au lion car son ami l’éléphant se tient juste derrière elle !
S’il n’a pas atteint son apogée, il s’en approche en tout cas. Comme disent les boursiers, « les arbres ne montent pas jusqu’au ciel ». Les succès engrangés sont déjà stupéfiants et voici vingt ans, bien peu auraient parié sur la position acquise aujourd’hui par l’émirat. Mais ses succès mêmes sont la cause de ses premières difficultés sérieuses. Tant que le Qatar était un petit pays, une « grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf », pour prendre une comparaison souvent invoquée, le Qatar suscitait au mieux de l’ironie, au pire de l’irritation. Mais la puissance financière et politique acquise au fil des années inquiète aujourd’hui. De façon classiquement dialectique, la montée en puissance a suscité une montée des oppositions à celle-ci. Ses investissements, notamment en France, inquiètent sur ses intentions : en voulant devenir actionnaire d’EADS, le Qatar ne risque-t-il pas, à terme, de contrôler un secteur stratégique pour l’Europe ? En Tunisie et en Égypte, son soutien aux gouvernements de la mouvance des Frères musulmans donnent prise aux accusations d’ingérence, voire de néo-colonialisme. Son intervention militaire en Libye et son soutien armé aux insurgés syriens montre que le Qatar ne se contente pas du soft power : il est désormais, même de façon limitée, une puissance classique et s’expose par conséquents aux éventuelles représailles classiques d’adversaires. Le Qatar n’a plus les excuses du petit débutant pour s’exonérer des règles de conduite internationales. Du reste, le Qatar de 2013 a un comportement beaucoup plus policé que celui des années 1995-2005 suivant la prise de pouvoir de Cheikh Hamad qui voulait s’affirmer. Il est arrivé.
Mais, d’autre part, la place prise par le Qatar sur la scène régionale et internationale n’est pas seulement due à des facteurs propres : l’effacement total ou relatif des grands acteurs de la scène régionale que sont l’Égypte, l’Irak, la Syrie, l’Algérie, et à un moindre degré l’Arabie Saoudite, le Maroc et la Jordanie, a ouvert un boulevard au Qatar et Cheikh Hamad, avec un indiscutable sens de l’opportunité, a saisi l’occasion. Cette situation n’est évidemment pas vouée à durer éternellement.
Le fait est que le Qatar invite largement, organise de nombreuses conférences à Doha. Mais le fait est également qu’il n’est pas le seul. D’autres pays de la région (Arabie Saoudite, Abou Dhabi ou Koweït) en particulier, le font depuis longtemps, de même d’ailleurs que d’autres pays ailleurs dans le monde, en Afrique, en Asie et en Amérique du Nord. Y a-t-il des cas avérés de corruption par le Qatar ? La rumeur est insistante mais pour l’heure, rien n’a été prouvé dans ce qui a été avancé.
En revanche, ce qui est certain, c’est que cette accusation survient facilement lorsqu’un commentateur se montre nuancé et ne voit pas dans toute action du Qatar la preuve d’un projet islamiste visant à déstabiliser la France en soutenant clandestinement l’islam radical dans nos banlieues. Encore une fois, si la preuve d’un tel trafic d’influence peut être produite, qu’elle le soit. Mais le soupçon ainsi distillé permet souvent à ceux qui y ont recours de faire l’économie d’une discussion rationnelle dans un domaine aussi passionnel que celui de la place de l’islam en France.
"Le Qatar veut s'imposer par la dimplomatie du carnet de chèques"
Qatar : les nouveaux maîtres du jeu
Lire l'entretien avec Olivier Da Lage pour le quotidien algérien Liberté, par Mohamed-Chérif LACHICHI, 27 mars 2013
"Le Qatar veut s'imposer par la dimplomatie du carnet de chèques"
À l’occasion de la sortie de son livre et à la veille du Sommet arabe qui se déroule à Doha, Olivier Da Lage, rédacteur en chef à Radio France Internationale, a bien voulu aborder, pour nos lecteurs, le pourquoi et le comment de l’ascension fulgurante du petit émirat du Qatar sur la scène internationale. Décryptage.
Liberté : Avec les déboires que connaissent actuellement l'Égypte et la Syrie conjugués à l'effacement (inexpliqué) de l'Arabie Saoudite, le Qatar aspire-t-il, aujourd'hui, à un leadership sur le monde arabe ?
Olivier Da Lage : Peut-être pas un leadership de la même nature que celui de Nasser dans les années 1960, mais un rôle “dirigeant” très certainement. L’effacement réel ou supposé de l’Arabie Saoudite n’est pas complètement inexplicable : il tient au fait que ce pays est dirigé par une gérontocratie. Le roi et les principaux princes sont octogénaires et en mauvaise santé. Ce qui ne facilite pas la compréhension du monde actuel dans lequel les évènements se précipitent à une vitesse vertigineuse et encore moins une prise de décision rapide. C’est là, en revanche, un domaine dans lequel excelle l’émir du Qatar…
On parle surtout du Qatar comme d'une “machine à corrompre” et on l'accuse de mener la “diplomatie du carnet de chèques”. Ce pays est-il devenu le symbole de la suprématie de l'argent ? Son intrusion à l'ère de la financiarisation de l'économie est-il un signe des temps ?
Pour tout dire, le Qatar n’a rien inventé en la matière. Dans le monde arabe, l’Arabie Saoudite, la Libye, l’Irak ont eu, dans le passé, souvent recours à la diplomatie dite du carnet de chèques pour influer sur les orientations d’autres États. Ainsi, d’après moi, le Qatar s’inscrit certainement dans cette lignée. Il me semble, cependant, que son objectif est surtout de s’imposer comme un médiateur, un partenaire incontournable dans le jeu mondial, à la différence des pays cités plus haut qui, eux, voulaient voir adopter telle ou telle politique par d’autres États. Le Qatar veut, en quelque sorte, se rendre indispensable. Il le fait pour assurer son influence et, par là même, garantir sa sécurité et son avenir.
Mais comment un État “lilliputien” de par sa taille et sa population en est venu à acheter (presque) “tout le monde” ? Est-ce seulement grâce à ses moyens financiers considérables ? N’y a-t-il pas d'autres puissances (ou facteurs) qui ont contribué à son ascension ?
Le Qatar a des moyens financiers considérables en raison de ses immenses réserves de gaz dont l’exploitation génère des recettes d’autant plus importantes que la population du Qatar est très réduite. Mais il ne fait pas de doute que l’influence actuelle du Qatar ne s’explique pas seulement par sa richesse. Cheikh Hamad, à la tête du pays depuis qu’il a renversé son père en juin 1995, a clairement une vision stratégique partagée avec son cousin, Hamad Ben Jassim, Premier ministre et ministre des Affaires étrangères chargé de la mettre en œuvre.
Il faut noter aussi le fait que dans ce petit pays, le circuit de décision est extrêmement court : quand l’émir prend une décision, elle est immédiatement appliquée. Bien entendu, le soutien des États-Unis, qui ont été le premier pays à reconnaître cheikh Hamad après son coup d’État, est un élément essentiel de son influence et ce soutien ne lui a jamais fait défaut depuis son avènement.
Beaucoup craignent aujourd'hui la domination de ce micro-État sur le Moyen-Orient et le Maghreb. À quoi obéissent, selon vous, ses alliances avec les courants islamistes dont certains sont radicaux ?
Le terme de domination me paraît exagéré. Il faut quand même garder le sens des proportions. Mais son emprise n’est pas contestable tant elle pèse de plus en plus sur la vie politique interne de plusieurs pays, comme on l’a vu en Libye, en Tunisie ou en Égypte.
Depuis le milieu des années 1960, le Qatar est proche des Frères musulmans. Le signe le plus visible en est l’asile accordé à l’époque à cheikh Youssef Qaradhaoui qui a depuis acquis la nationalité qatarienne et dont l’influence, notamment grâce à son émission sur Al-Jazeera, a pris de l’ampleur. Il faut d’ailleurs noter que le soutien du Qatar aux Frères musulmans irrite profondément les autres monarchies du Golfe qui voient ce mouvement comme une menace et soutiennent plutôt les mouvements salafistes.
Ceci dit, si le soutien du Qatar, un pays que l’on pourrait qualifier d’islamo-conservateur, à la mouvance islamiste n’est pas discutable, il me semble que ce n’est pas non plus sa priorité stratégique. Contrairement, par exemple, à l’Arabie Saoudite, l’aide du Qatar n’est pas conditionnée à la mise en œuvre d’objectifs politico-religieux.
Et qu’en est-il de son aide apportée aux djihadistes au Sahel ?
Il y a eu, en effet, beaucoup de questionnements, notamment en France, sur les liens du Qatar avec les djihadistes au Mali. Le Qatar ne reconnaît, pour sa part, qu’une aide caritative, via le Croissant-Rouge qatari, mais il ne serait pas surprenant qu’une partie de cette aide soit parvenue à des militants radicaux.
Cela dit, je ne crois pas un instant à un double jeu du Qatar qui soutiendrait en sous-main des terroristes islamistes pour déstabiliser des pays occidentaux, dont la France. Toute la stratégie mise en œuvre depuis 1995 repose sur un partenariat aussi étendu que possible et à long terme avec les pays occidentaux. On a du mal à imaginer que cheikh Hamad mettrait en péril cette stratégie au bénéfice d’Aqmi ou du Mujao !
Son influence économique et politique en France commence à être sérieusement critiquée. Qu'en pensez-vous ?
Pas seulement en France, mais c’est vrai, surtout en France. Cela tient à deux facteurs : un débat propre à la France sur la place de l’islam dans ce pays qui a atteint, faut-il noter, un niveau sans équivalent ailleurs en Europe.
Mais il y a aussi un phénomène qui ne se limite pas à la France : du fait même de ses succès, le Qatar commence à rencontrer des oppositions. On a pu le voir en Tunisie lors de la visite de cheikh Hamad en 2012.
Beaucoup de Tunisiens ont eu le sentiment qu’il venait comme en pays conquis et sa venue a provoqué des manifestations hostiles.
En France, il y a à la fois la crainte d’un financement occulte de mouvements islamistes dans les banlieues et celle d’une présence dans des secteurs stratégiques, notamment celui de l’aéronautique. C’est pourquoi le Qatar n’a pas été autorisé — du moins pour l’instant — à entrer au capital de la société aérospatiale EADS. Mais le fait est que la France a besoin d’investisseurs étrangers et le Qatar est prêt à y investir des montants colossaux. C’est une contradiction que la France devra résoudre.
Lire l\'article de Michel Paquot paru dans L\'Avenir, le 6 novembre 2012.
La nouvelle droite américaine
Article de Michel Paquot paru dans L\'Avenir, le 6 novembre 2012.
Lincoln, reviens, ils sont devenus fous !
Un livre passionnant raconte pourquoi et comment le Parti républicain s’est droitisé.
La dérive « extrêmedroitière » du « parti de l’éléphant » est finalement assez récente. À sa naissance en 1854 sur les ruines du Parti Wighs désuni sur la question de l’esclavage, il est plus progressiste que le Parti Démocrate ancré dans le sud
conservateur et esclavagiste. C’est d’ailleurs le Républicain Abraham Lincoln, élu président en 1860, qui prône « l’Union sans l’esclavage », prélude à la Guerre de Sécession (186165). Majoritaires au Congrès, les Républicains abolissent l’esclavage en 1870 et donnent aux Noirs la nationalité américaine et le droit de vote. Mais petit à petit le parti se droitise, même si le modéré Théodore Roosevelt, président au début du XXe siècle, défend l’idée d’une couverture maladie universelle. Et en face, les Démocrates, successivement représentés par Wilson et Franklin Roosevelt, virent à gauche. La fin des discriminations raciales dans les années 1960 achève de pousser le sud dans le camp républicain qui va se radicaliser. Son aile modérée disparaît progressivement devant la triple poussée de la droite chrétienne socialement et
moralement conservatrice (triomphante avec Reagan) , de s « libertariens » opposés à tout interventionnisme étatique et, depuis 2008, du Tea Party nourri par sa haine d’Obama. Tous ces points sont développés avec clarté et non sans inquiétude par Soufian Alsabbagh, auteur l’an dernier d’une biographie de Mitt Romney. ■ M.P. > Soufian Alsabbagh, « La Nouvelle droite américaine », Demopolis, 189 p., 15 €.
La République contre son Ecole
Entretien avec Eddy Khaldi dans Le délégué de l'Education nationale n°231 - juin 2012.
1. Ton action militante, tes dossiers, tes articles et tes livres précédents témoignent de ton engagement laïque. D'où vient celui-ci ? Peux-tu définir les principes de ce qui, chez toi - pour reprendre une formule de Ferdinand Buisson - apparaît comme une " foi laïque "?
Mon cheminement a peu d’importance, il s’inscrit dans une démarche collective, associative, syndicale, politique héritière des idéaux des bâtisseurs de la République et de son école laïque. Dès le plus jeune âge, diverses empreintes laissées par l’éducation ont forgé mon identité et ont contribué à mon intégration sociale. Cette intégration par l’éducation visait à préserver la liberté absolue de conscience : « L’enseignement de la jeunesse a, dans la société, une telle importance, la première empreinte laissée dans les esprits subsiste avec une telle force dans le reste de l’existence, que le jour où l’Etat devait assumer la charge de l’enseignement public, il ne pouvait le donner que impartial et indépendant de toute doctrine religieuse. Cette indépendance et cette impartialité devaient avoir pour corollaire obligatoire le respect des croyances et des libertés de conscience.». Je revendique cette impartialité et j’essaie de rendre aujourd’hui ce que l’école publique m’a apporté hier depuis la maternelle : l’accès à l’égalité des droits pour construire mon identité sociale par delà les immigrations de ma famille, la construction de ma citoyenneté par la laïcité, en particulier, dans l’éducation populaire au Patronage laïque de Montluçon crée en 1913 et dans diverses associations de jeunesse.
2. Pour toi, à juste raison, l'Ecole laïque, dans son projet collectif intimement lié à la République, est inséparable de la démocratisation de l'enseignement. Pourquoi ? Comment ?
L’école obligatoire, gratuite et laïque, ambition collective, s’est construite dans notre pays non seulement comme un lieu d’enseignement et de démocratisation, mais aussi comme un élément de régulation sociale qui fondait l’idéal républicain. Dès 1830, alors que certains, au nom d’un principe dit « commercial », assignent à l’école communale la mission de former exclusivement un travailleur pour les besoins immédiats et de proximité de l’entreprise, d’autres visent, à former un futur citoyen intégré dans la vie économique et sociale au nom d’un principe dit « patriotique ». S’opposent ainsi deux conceptions pour les uns, c’est la démocratisation par l’égalité en éducation qui doit « être universelle, c’est-à-dire s’étendre à tous les citoyens ». Pour les autres c’est l’individualisation du rapport à l’école au nom de la liberté de choix celle de l’entreprise appliquée à l’enseignement pour former une élite. Il y a donc ceux qui défendent l’instruction pour quelques uns : « Folie bien plus funeste encore, celle qui consisterait à rendre ce même enseignement obligatoire. … car l’enfant qui a suivi l’école trop souvent ne veut plus tenir la charrue. » contre ceux qui érigent l’égalité en principe : « l'égalité d'éducation n'est pas une utopie ; que c'est un principe » …« L'égalité, messieurs, c'est la loi même du progrès humain! C’est plus qu'une théorie : c'est un fait social, c'est l'essence même et la légitimité de la société à laquelle nous appartenons…. Avec l'inégalité d'éducation, je vous défie d’avoir jamais l'égalité des droits, non l'égalité théorique, mais l'égalité réelle, et l'égalité des droits est pourtant le fond même et l'essence de la démocratie. ».
L’enjeu républicain de l’Ecole c’est d’abord la République : « L'école laïque est la pierre d'assise des institutions républicaines. Il n'est donc pas étonnant que pour atteindre la République ses adversaires aient pour première pensée de ruiner l'école... » . L’enjeu républicain n’a pas disparu pour autant lorsqu’en 2004 Nicolas Sarkozy, dans son livre « La République, les religions, l’espérance » coécrit avec Thibault Colin et Philippe Verdin affirme : « On ne peut pas éduquer les jeunes en s’appuyant exclusivement sur des valeurs temporelles, matérielles, voire même républicaines […]. La dimension morale est plus solide, plus enracinée, lorsqu’elle procède d’une démarche spirituelle, religieuse, plutôt que lorsqu’elle cherche sa source dans le débat politique ou dans le modèle républicain. […] La morale républicaine ne peut répondre à toutes les questions ni satisfaire toutes les aspirations. »
L’Université et la République ont les mêmes adversaires. En essayant de rompre le lien consubstantiel fort entre l’Ecole et la République, ne cherche-t-on pas à remarier l’Eglise et l’Ecole pour créer une brèche dans la séparation des Eglises et de l’Etat.
Pour parvenir à cet objectif, certains cherchent à discréditer l’école pour invalider ses principes fondateurs. Une attaque incessante des adversaires de l’Ecole publique condamnée par un catastrophisme conservateur perdure depuis plus d’un siècle : « L’épreuve est faite que l’école laïque, telle qu’elle est comprise et pratiquée, est la cause principale des maux dont souffre notre pays. » Cent ans après le discours se radicalise : « Nous allons vers un génocide intellectuel »... « Nous parlons de débâcle de l’école publique car celle-ci se trouve, aujourd’hui, dans une situation d’étonnante analogie avec l’armée française en 1940 » .
Chargés de la défendre, les ministres de tutelle, en première ligne, chantaient les louanges de l’enseignement catholique : « … l'enseignement privé a fait la preuve de sa capacité à accueillir des publics très divers, y compris des élèves en difficulté, et à leur proposer une pédagogie et un encadrement leur permettant de renouer avec la réussite scolaire, » …. « Depuis des années, vous vous êtes engagés dans ces deux voies de manière plus forte que l'enseignement public. »
L’Ecole publique est davantage malade de l’état de la société que cette dernière n’est malade de son Ecole. L’Ecole n’est pas davantage responsable du chômage, que des inégalités sociales, ou des difficultés économiques du pays.
La prétendue crise de l’Ecole n’est pas son échec généralisé. Elle sert surtout d’alibi à une mutation du système éducatif par la concurrence et donc par le marché, dans une option néolibérale confondue avec la rénovation du système éducatif. A la clef, un transfert vers l’enseignement privé, présenté comme parangon de vertu : plus performant, moins couteux, plus sécurisé….
3. Dans l'époque de confusion où nous sommes, déjà ton livre précédent*, révélait combien, depuis plusieurs décennies, une offensive libérale soutenue par une Ecole catholique qui adhère à ce dessein, démantèle l'Ecole d'une République démocratique.
Peux-tu nous indiquer comment se sont opérés ce dénigrement et cette dénaturation du Service public d'enseignement, ainsi que le fallacieux alignement du public sur le privé ?
Cette offensive libérale prend argument des dysfonctionnements réels ou supposés de l’école publique et alimente le discours de dénigrement des partisans de la privatisation. Il n’est pas question d’occulter ni de réduire les difficultés bien réelles qui traversent l’Ecole ou l’Université. Mais, certains rapports instrumentalisent ces dysfonctionnements avec le dessein non dissimulé de la privatisation de l’education nationale. L’OCDE conforte cette logique : « La structure actuelle du système éducatif considérée comme archaïque, est appelée à disparaître au profit de structures plus souples, largement soumises aux lois du marché aussi bien dans leurs débouchés que par leur fonctionnement interne. L’institution scolaire proprement dite n’aura plus qu’à assurer la socialisation des jeunes et à leur inculquer, non plus essentiellement des savoirs, mais des compétences devant garantir leur employabilité et leur adaptabilité ».
« L’Etat enseignant » et les finalités constitutives de l’institution seraient cause de ses difficultés, alors, on « désinstitutionnalise », et ses ministres ne cessent de lui porter l’estocade : « On me dit que ça va tellement mal dans l’enseignement public que les français seraient une majorité à mettre leurs enfants dans le privé. Je réponds que l’enseignement privé sous contrat fait partie du service public… » . Le ministre de l’Education n’est-il pas le premier responsable de cette présupposée débâcle ? Ce constat iconoclaste, hors de toute mesure, interroge : mensonge et cynisme incroyable ?
En qualifiant le dualisme scolaire de dépassé, ses instigateurs entretiennent le double amalgame public et privé, laïque et confessionnel. Cette confusion permet, en occultant les missions assignées à l’école de la République, de promouvoir les mérites présupposés des établissements privés pour invalider les principes fondateurs de l’école de toutes et tous.
Cette prétention illégitime de l'enseignement catholique, à « faire partie du service public », au nom de « sa liberté » d’entreprise, conduit l’État, d’étapes en étapes, à accepter de sacrifier son École publique laïque, dont il a constitutionnellement la charge pour alimenter une stratégie libérale au long cours.
Prétendre « faire partie du service public », sans la laïcité, procède en effet, à tout le moins, d’une vision cléricale qui méprise la liberté de conscience de citoyens en devenir autant que la neutralité de l’État, et préfigure une logique d’organisation de l’école publique et de la société, sur le mode communautariste. Les attaques contre la laïcité visent à la destruction méthodique de tous les services publics, de leurs valeurs et de leurs principes fondés sur l’égalité des citoyens et non sur celle des « communautés ».
Quand l’Etat érige en principe et finance directement sa propre concurrence, il privatise de fait le service public d’éducation au profit d'une religion. Quand l’Etat veut gérer l’école publique sur le modèle entrepreneurial et contractuel des établissements scolaires privés cela revient à privatiser le service public.
Les récentes réformes n’ont fait qu’accélérer une tendance longue qui vise à transformer profondément le fonctionnement de l’école, ses modes de régulation et ses objectifs. L’actuel secrétaire d’Etat chargé du logement Benoist Apparu avait vendu la mèche lors d’un « chat » sur le site du Monde, le 20 mai 2009. Il s’était alors dit « convaincu que la suppression de postes obligerait l’institution à s’interroger sur elle-même et à se réformer ». « Seule la baisse des moyens obligera l’institution à bouger », avait-il ajouté.
Dépolitisée, la question du dualisme scolaire déserte le débat démocratique, aveugle la réflexion sur l’intérêt général et provoque la double brèche du consumérisme scolaire. La loi Debré n’est pas une loi parmi d’autres, elle permet selon René Rémond, de « réunir ce que la loi de 1905 a séparé ».
4. Ne s'est-il pas agi de " casser cette République sociale que voulait le Conseil National de la Résistance " ?
Le MEDEF intitule significativement son programme : " Adieu 1945 ", pour ajouter cyniquement : " raccrochons notre pays au monde ", sous-entendant que la société mondialisée d'aujourd'hui (dans ma jeunesse, à l'école, on l'aurait appelée - exception de quelques dictatures - capitaliste !) est le seul avenir possible.
En 1970, avec l’aggravation de la loi Debré, par la loi Pompidou, son rapporteur Olivier Giscard d’Estaing dans : « Education et civilisation, pour une révolution libérale de l’enseignement » suggère que « Le premier changement vise à remettre en cause le rôle de l’État et son monopole de fait. Il faut réaffirmer l’importance de la famille, des religions, des régions, des professions, et leur donner la possibilité d’accompagner pas à pas, au niveau de l’établissement, tout le déroulement de l’éducation et de l’enseignement. » Les plus intégristes soutenaient la démarche dans les années 1980, Philippe de Villiers dévoilait une stratégie visant à réussir le « contournement habile et efficace de la citadelle » du système éducatif français en instituant, d’une part, « la liberté de créer ou de financer des écoles » et, d’autre part, la « liberté de choisir son école ». Denis Kessler en 2007, explique que le programme "ambitieux" de réformes tous azimuts lancés par le gouvernement de Sarkozy « possède une profonde unité » quand bien même « les annonces successives des différentes réformes par le gouvernement peuvent donner une impression de patchwork, tant elles paraissent variées, d'importance inégale, et de portées diverses : statut de la fonction publique, régimes spéciaux de retraite, refonte de la Sécurité sociale, paritarisme... » Et l’éducation nationale.
IL S'AGIT NI PLUS NI MOINS DE : « sortir aujourd'hui de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ! »
En 2012, il y a plus que des glissements sémantiques entre « liberté » et « autonomie », plus que des coïncidences entre libéraux et enseignement catholique. Ainsi, Fondapol présidée par Nicolas Bazire nous propose : « L’école de la liberté : initiative, autonomie et responsabilité », et l’OCDE s’interroge : « l’autonomie des établissements favorise-telle la performance des élèves ? ». Comme un hasard, cette contagion touche aussi l’enseignement catholique qui publie, dans le même temps : « l’établissement privé sous contrat d’association : l’autonomie au service de l’intérêt général. » Il suggère que ce modèle est expérimenté pour d’autres dont le ministre Chatel se dit « très intéressé par les spécificités de l’enseignement privé ». La collusion est dénoncée à l’intérieur même de l’enseignement catholique. Ainsi, la Fep-CFDT juge pernicieuse « l’autonomie des établissements » derrière laquelle « se dessine un modèle libéral ». Son concurrent syndical, le Snec-CFTC révèle lui une : « conjonction permanente entre les discours de l’enseignement catholique et l’UMP ». Cette complicité n’est pas nouvelle, au lendemain du discours du Latran en 2007, son secrétaire général déclarait que « la laïcité positive n’ (était) pas étrangère à l’enseignement catholique ». Au fil du temps, il a accédé à un statut inédit, promu à la façon d’un substitut de service au public dorénavant rouvert à l’Église.
5. Trop longtemps, sur cette question de l'Ecole républicaine, la gauche fut " la grande muette ".
Comment vois-tu le pacte social de la liberté de conscience ainsi que le combat pour une Ecole pour tous que, désormais, doivent penser et mener les forces de progrès ?
Tu as raison où est alors la liberté de conscience quand l’école confessionnelle enrôle et souvent par défaut. En effet, il y a comme une imposture à vouloir recruter massivement et bien au-delà d’une demande liée à la foi. Ainsi l’enseignement catholique commet une sorte de péché « lucratif », en forme de publicité mensongère peu compatible avec une mission qui prétend s’inspirer des Évangiles.
Le paradoxe de la situation actuelle est celui d’une France largement sécularisée, et dans le même temps, une vie politique et sociale où les religions participent à la marchandisation de l’éducation. Claude Dagens, évêque et académicien, conscient de cette dérive reconnaît l’enseignement catholique comme cheval de Troie du libéralisme quand il écrit : « L’Église occupe ce terrain (…) au risque de se laisser instrumentaliser au service d’une logique de privatisation en mettant à la disposition des privilégiés des systèmes privés de soin, d’éducation, etc., dont l’inspiration catholique n’est plus qu’une source d’inspiration lointaine …». Mais, cette instrumentalisation est revendiquée Depuis le Vatican par le cardinal Bruguès pour qui l’école doit rester le support d’une reconquête cléricale. Il indique que cette école est « le seul lieu de contact avec le christianisme ». Conclusion, « elle est un point crucial pour notre mission ».
Sur le terrain, l’évêque de Toulon revendique : « L’école-communauté, catholique, pour retrouver son projet spécifique et son identité afin de relever le défi à la fois anthropologique et missionnaire. » …
La mise en œuvre de cette stratégie se développe, aujourd’hui, par des transgressions incessantes, souvent passées inaperçues, inimaginables pour une République laïque. Cet espace ne suffirait pas pour dresser le recensement détaillé de ces entorses institutionnelles.
On le voit, de nouveaux champs de bataille, plus sournois, s’ouvrent en permanence. Une guerre scolaire froide, sans cesse réactivée par les partisans de l’enseignement catholique, se déroule sous nos yeux. Hélas, l’époque est à une omerta politique. Un silence religieux s’est en effet installé, organisé à droite afin de mieux masquer le démantèlement de l’Éducation nationale et aidé inconsciemment par une atonie faisant figure de complaisance. Qu’il soit de connivence ou d’accommodement passif, ce silence conforte une collusion d’intérêts entre libéraux et cléricaux pour séparer l’École de l’État.
L’offre d’éducation de l’enseignement catholique investit désormais, avec les moyens de la puissance publique, de nouvelles cibles, des crèches aux facultés. Aujourd’hui, les tenants d’un enseignement privé veulent mettre en œuvre disent-ils « Un contrat global et unique entre le ministère et le Secrétariat général de l’enseignement catholique pour toutes les écoles » … avec un objectif libéral affiché : « Cela maintiendrait un fort clivage entre enseignement public et privé et les mettrait franchement en concurrence. ». Le secrétaire général de l’enseignement catholique, souhaite privatiser le service public et lui imposer son mode de gestion et de recrutement voire ses programmes et veut « Étendre la contractualisation avec l’État aux établissements publics … ». Il estime ainsi que la loi Carle instituant un chèque éducation n’est qu’ « un bon compromis à un instant T ».
Hier, considérée comme ringarde, la laïcité fait, aujourd’hui, florès et s’inscrit dans un unanimisme trompeur.
Pierre angulaire du modèle républicain, cette laïcité n’est-elle pas qualifiée de « positive » par ceux qui, hier encore, combattaient cette "vieille lune pour esprits attardés" ?
N’est-ce pas là le triomphe de l’équivoque ?
Cette entreprise de récupération du mot laïcité participe d’une volonté de dénaturation du concept dans des traductions très diverses et parfois antinomiques. D'une part, l’extrême droite et une partie de la droite, dans une attitude de façade, concentrent leurs feux sur l’islam, en convoquant la laïcité avec toutes les arrière-pensées que l’on sait. D'autre part, dans le domaine institutionnel, l’offensive menée par l’Eglise catholique sur l’Ecole, avec l’appui d’élus, de toutes tendances n'est plus à souligner.
Certes, on ne saurait réduire la question de la laïcité à celle de l’école. Pour autant, l’en exclure, maintenant, est un piège.
Pire, un reniement au regard de nos principes républicains.
Cette loi de 1959 en conférant à des établissements privés confessionnels à « caractère propre » le statut d’établissements publics a institué, dans l’éducation exclusivement, ce double amalgame : public et privé ; laïque et confessionnel.
Loin de s’éteindre, la guerre scolaire s’aggrave encore. Des projets nourris par L’Eglise annoncent même, la généralisation de la politique libérale au moyen du chèque éducation.
En 1984, l’abandon du projet Savary a stimulé d’âpres convoitises augurant d’un conflit perpétuellement entretenu.
Depuis, l’Eglise catholique voit là, en effet, un renforcement de la brèche ouverte par la loi Debré. Dès 1987, l’épiscopat s’y engouffre pour déclarer que l’heure lui semblait venue « de travailler avec d’autres à redéfinir le cadre institutionnel de la laïcité », appel du pied à un remariage entre l’Etat et l’Eglise pour conquérir de nouveaux privilèges.
Ces derniers jours, encore, le Cardinal français Jean Louis Bruguès responsable de la Congrégation pour l'éducation du Vatican, conteste le: « principe constitutif de la mission éducative universelle » de la laïcité française. En ligne de mire, derrière la question scolaire, il revendique la reconnaissance institutionnelle de l’Eglise et estime que la séparation avec l’Etat est « agressive ».
Consentir à des assouplissements à géométrie variable, selon les collectivités territoriales, selon les religions, aggrave la mise en cause non seulement de la lettre mais aussi de l’esprit de la loi fondatrice de séparation des Eglises et de l’Etat. D’une part, la laïcité doit être appliquée aujourd’hui pour ce qu’elle est, un principe global, juridique et politique, incluant la question scolaire. Ainsi, les partis ou organisations de droite et d’extrême droite ne pourraient plus travestir la laïcité et l’instrumentaliser pour séparer voire pour exclure. D’autre part, l’école est, depuis trente ans, le champ de bataille sournois de cette guerre silencieuse, sans réelle opposition politique. Guerre menée par alliance des cléricaux et des libéraux.
Ainsi, alors que l’Education nationale subissait une rigueur budgétaire inégalée, les établissements privés ont concentrés de plus en plus de faveurs gouvernementales.
En restant, aujourd’hui, muette sur le dualisme scolaire, institué au nom d’intérêts particuliers par la loi Debré, en finançant la liberté d’entreprise de l’enseignement privé, la gauche accédant au pouvoir ne doit pas oublier que la République n’a d’obligation que vis-à-vis du service public laïque qui, seul, concrétise l’égalité en éducation au nom de l’intérêt général. La laïcité peut, seule, rassembler pour réaffirmer la République autour de ses principes de liberté, d’égalité et de fraternité.
L’instituteur et l’institutrice sont supérieurs au curé et au pasteur, non pas en tant que femme ou en tant qu’homme, mais par leur mission parce qu’ils accueillent dans la même communion civile tous les jeunes, quelle que soit leur origine sociale, quelle que soit la religion ou non de leurs parents.
Supérieurs parce qu’ils assurent et garantissent la liberté de conscience des futurs citoyens et ne se servent pas du label de « liberté » pour inculquer dans l’éducation la religion ou l’idéologie d’un groupe particulier pour créer une fracture dans l’unité nationale.
Supérieurs parce qu’ils revendiquent l’égalité de toutes et de tous au nom de la laïcité.
Supérieurs, car, seul, le vivre ensemble dans l’Ecole de toutes et tous incarne la fraternité.
La République contre son Ecole
Lire l'article de Eve Heinrich dans la revue Liaisons laïques n°303.
LECTURE
Le nouvel essaide Eddy Khaldi et Muriel Fitoussi dénonce l'omerta qui entoure la question scolaire public-privé. Son majeur est d'appeler à un débat démocratique et citoyen, à un sursaut pour contraindre les pouvoirs publics à respecter leur premier devoir, à savoir développer et entretenir le service public d'éducation : "L'Etat ne saurait continuer d'organiser et de financer de la sorte la concurrence à son propre service d'éducation au profit d'une religion ou d'entreprises privées."
Cet essai démontre que la loi Debré de 1959 fait une première entorse à la loi de 1905, concédant à l'Eglise catholique près de 20 % du système éducatif. La remise en cause se poursuit avec l'amendement Carle en décembre de 2010. Les auteurs démontrenet cette illogique et scandaleuse mise en concurrence du service public par lui-même. "Quel citoyen ne trouverait pas indécent de revendiquer la prise en charge, par la collectivité publique, de sa course en taxi ? Quel citoyen oserait prétendre illégal le refus du financement public de son transport privé parce qu'il porterait atteinteà la liberté d'aller et venir ? C'est bien là cependant le raisonnement aussi culotté que fallacieux qui est entretenu par ceux qui abusivement laissent entendre que "leur liberté d'enseignement impose un subventionnement public".
Eddy Khaldi et Muriel Fitoussi analysent aussi les collusions étroites et en sous-mains d'associations clérico-libérales dont S.O.S-Education, qui entretiennent un discours catastrophiste sur l'Ecole. Le ministère instrumentalisant à son tour ces soi-disants dysfonctionnements pour invalider les principes fondateurs de l'école de la République - à rebours des conclusions de l'enquête Pisa d'août 2011, qui constate que "les élèves scolarisés dans le public et issus d'un milieu socio-éducatif équivalent à celui du privé ont tendance à enregistrer des performances de même niveau".
Ce livre appelle à de vrais débats quant au service public d'éducation. Il est un des outils nécessaires à ces réflexions.
Eve Heinrich
Foucault, Deleuze, Althusser & Marx
Lire l'article de la revue Mouvements
Isabelle Garo, Foucault, Deleuze, Althusser et Marx, Paris, Editions Demopolis, 2011.
L’objet de ce livre est d’interroger la nature du rapport que trois grands philosophes français des années 70-80 ont eu à l’égard de la pensée de Marx, en insistant sur la dimension politique de leur lecture. A partir d’une approche philosophique mais aussi historique et linguistique, Isabelle Garo s’est intéressée aux usages sociaux mais aussi théoriques que Michel Foucault, Gilles Deleuze et Louis Althusser ont fait de la pensée de l’auteur du Capital. Insistant simultanément sur « le maintien et sur l’effacement de la référence à Marx », elle montre de quelle façon ce dernier s’inscrit dans des enjeux théoriques nouveaux au sein du champ philosophique. Sans que Foucault, Deleuze ou Althusser aient forcément eu pour ambition de bâtir « une philosophie politique en bonne et due forme », leurs œuvres ont consciemment posé des pistes de recherches inédites au sein de la philosophie, y compris dans la manière de définir la nature de cette discipline. Pour bien comprendre la nature de ces usages de Marx, il s’agit avant tout de contextualiser historiquement la pensée de Foucault, Deleuze et Althusser. Isabelle Garo prend bien soin de nous expliquer les perceptions qui étaient celles du marxisme et du communisme au moment où ces trois auteurs entamaient des études et allaient s’engager ensuite dans une carrière d’universitaire. Les usages sociaux et conceptuels des écrits de Marx par Foucault, Deleuze et Althusser dépendent aussi des traductions disponibles ainsi que des façons de traduire. Croiser l’histoire du parti communiste en France à partir de l’après guerre ainsi que l’existence des différents courants marxistes, notamment anti-staliniens, avec la trajectoire biographique de Foucault, Deleuze et Althusser, est un parti pris judicieux. Il permet ainsi de comprendre la nature du langage que parlaient des auteurs évoluant au même moment et dont les écrits ont pu avoir entre eux certains rapports intertextuels.
Isabelle Garo prend ensuite le soin de montrer les différentes lectures effectuées par ces auteurs. Pour ce qui concerne Foucault, elle indique que le rapport à Marx est à la fois un « marqueur politique » permettant de se positionner à l’égard du parti communiste français mais aussi une pensée contextuellement située qu’il s’agit de dépasser. Au niveau de la pensée deleuzienne, l’auteure montre qu’il y a un positionnement paradoxal et sans doute hérétique à l’égard du matérialisme, puisqu’il s’agit de prôner sa fidélité à Marx en rejetant l’engagement militant dans un collectif et en ayant renoncé à la dialectique. Quant à Althusser, tout aussi anti-dialecticien que Deleuze mais beaucoup plus proche de Bachelard, c’est une lecture marxiste liée à un engagement fort au sein du PCF qui a su mettre en avant la notion d’idéologie afin de mieux rendre compte de l’aliénation inhérente aux sociétés capitalistes. La force du livre d’Isabelle Garo est de mettre l’accent sur la façon dont cette lecture de Marx peut éclairer de manière inédite certains concepts majeurs de la pensée de Foucault, de Deleuze ou d’Althusser, en montrant les processus historiques mais aussi linguistiques qui alimentent leurs écrits. En effet, la conjoncture théorique dans laquelle baignaient ces trois auteurs les a amenés à parler un langage commun, que ce soit au niveau de l’idéologie, du matérialisme, des modes de production ou bien de la lutte des classes. La minutie avec laquelle Isabelle Garo décrit les processus de construction d’une pensée à partir de l’usage des référentiels de Marx est à souligner, tant au niveau de la conceptualisation que de la contextualisation. Par contre, nous aurons beaucoup de mal à la rejoindre sur les portraits qu’elle dresse de ces auteurs. En effet, si le regard critique peut être le bienvenu sur ces auteurs, la position normative à leur égard semble beaucoup plus discutable, notamment lorsqu’elle reproche à Deleuze de « persister » à se réclamer de Marx alors qu’il en rejette certains présupposés importants (pp. 252-259). Il ne s’agit pas de dire que Foucault, Deleuze et Althusser ont finalement fait « une mauvaise lecture » de L’idéologie allemande ou du Capital, sous prétexte qu’ils rejetaient la dialectique, la lutte des classes ou le rôle politique du parti. L’enjeu n’est peut-être pas de savoir si ces auteurs ont bien ou mal lu les écrits de Marx mais de comprendre de quelle façon ils les ont utilisés. L’autre remarque que nous adresserons à cet ouvrage est liée à la délimitation du corpus. S’il s’agit de comprendre la place de Marx dans la philosophie française des années 70-80, il aurait été important d’évoquer également la pensée de Pierre Bourdieu. Même si ce dernier est sociologue et non pas philosophe, son rapport au marxisme, à la philosophie mais aussi à la pensée de Foucault, de Deleuze et Guattari, voire d’Althusser (dont le texte sur la rupture épistémologique de Marx a été publié dans les premières éditions du Métier de sociologue) reste important et aurait sans doute permis à l’ouvrage de montrer la complexité des spectres de Marx présent à ce moment dans le champ intellectuel français. Bien entendu, ces deux remarques n’enlèvent rien à la qualité du livre, qui a le grand mérite d’avoir consulté l’intégralité des écrits de Foucault, Deleuze et Althusser, et d’avoir apporté un éclairage nouveau sur les appropriations des écrits de Marx au cours de la second moitié du XXe siècle.
Jean Zaganiaris, CERAM/EGE Rabat.
La République contre son École
« La République contre son école » - Communautarismes et marchés scolaires
Texte publié dans la Revue PROCHOIX n° 53 d'octobre 2010 : "Ecole, silence on privatise"
« Le système éducatif subit aujourd’hui une réforme plus ou moins tranquille qui risque – si elle réussit et surtout si elle est bien menée – de révolutionner les écoles, les collèges, les lycées et les universités pour longtemps. »
Ce récent constat d’« Enseignement et liberté » et de son président, le recteur Armel Pécheul sonne comme une victoire annoncée de ce mouvement clérico libéral fondé en 1983 par des militants du Club de l’Horloge. Confirmant des complicités souterraines, cette officine vient, très récemment, de recruter deux nouveaux administrateurs : Anne Coffinier, présidente de « Créer son école » et de la Fondation pour l'école et Guy Guermeur, auteur de la loi éponyme de 1977 aggravant la loi Debré du 31 décembre 1959. Guermeur, ancien président de l'Association parlementaire pour la liberté d'enseignement annexe de l’enseignement catholique qui en assurait le secrétariat est aussi vice président, membre fondateur de l’Organisation Internationale pour le Développement de la Liberté d’enseignement. Cette OIDEL, ONG très influente pour le «Droit à l'éducation” et la “liberté d'enseignement” est reconnue par l’ensemble des institutions européennes. Cette émanation de l’Opus dei est révélée et soulignée dans force sites, documents officiels du gouvernement fédéral genevois, et par l’engagement reconnu et revendiqué « à l’œuvre » de plusieurs de ses membres éminents dont son directeur général.
Depuis plus de 15 ans, dans un relatif secret, un certain nombre de groupements relevant d’une même nébuleuse clérico libérale, s’agitent en catimini. Leur but ultime : démanteler l’Education nationale et l’ensemble de son service public. Une croisade amenée avec prudence et minutie. Mais une détermination néanmoins implacable.
Au cœur de cette nébuleuse, à droite de la droite, une douzaine d’associations : « Enseignement et libertés », « Créateurs d’écoles », l’ « OIDEL », « SOS Education », « FSP- Fondation de service politique », « Créer son école », « CLE- Catholiques pour les libertés économiques », « ILFM – Institut libre de formation des maîtres», « Fondation pour l’école », « Famille et libertés », « Mission pour l’école catholique »…ou encore, l’ALEPS, « association pour la liberté économique et le progrès social », filiale ultralibérale du MEDEF, créée dans les années 60, dans le sillage de l’UIMM.
Déjà, à la veille des élections législatives de mars 1993, 153 personnes d’horizons divers, pour partie hauts fonctionnaires de l’Education nationale et responsables d’établissements privés, fondent en 1992 une éphémère association : « Créateurs d’écoles » qui inspire la politique menée aujourd’hui.
Cet organisme mettait en exergue son objectif : « l’identification des verrous et les moyens de les faire sauter » (…) L’association préconisait, non pas une révolution, mais une réforme de velours. « Ce sera sans doute la partie la plus délicate de notre travail, car il ne nous faudra pas tomber dans le piège de la « réforme globale », mais identifier avec précision les actions nécessaires, tout en les rendant possibles. (….)La solution réside sans doute dans la mise en œuvre de dispositifs dérogatoires, qui n’obligent pas à la remise en cause systématique de tout l’existant, mais qui permettent d’importantes innovations au niveau des établissements d’enseignement. »
Parmi les membres fondateurs de cette ambitieuse confrérie : Maurice Quenet, Dominique Antoine et…Xavier Darcos ! Soit, dans l’ordre, à l’époque, le Recteur de Paris, le Conseiller Education du nouveau Président de la République, et le Ministre de l’Education nationale. Aujourd’hui, l’actuel ministre de l’Education nationale se contente d’assurer la continuité des réformes, pour la plupart, engagées par son prédécesseur.
Ainsi, alors qu’on lui assène des coups multiformes et répétés, l’Ecole publique subit, en suivant les prescriptions et la méthode des « Créateurs d’école », une avalanche de mesures sourdes, disparates, menées au pas de charge, au nom d’une même formule magique « maintenir le cap de la réforme ». De quelle réforme ? Ces opérations, au-delà de logiques comptables, ne masquent-t-elles pas une stratégie plus élaborée, un projet global ? Une volonté, aujourd’hui assumée, d’organiser une concurrence redoublée autour du service public d’éducation ? De participer à son démantèlement ?
Un lent travail de déconstruction de l’œuvre, plus que centenaire, des bâtisseurs de l’Ecole laïque constitue, en fait, un véritable projet de gouvernement avec une stratégie élaborée de longue date par ses acteurs institutionnels d’aujourd’hui.
La logique marchande du parent-client
Pour justifier les mesures prises, le pouvoir en place tente de s’appuyer sur les dysfonctionnements, les problèmes ou difficultés réels ou supposés de l’école, publique bien sûr, car la privée, elle, ne peut qu’incarner le Bien. Ainsi, dans un sempiternel procès, l’instrumentalisation de comparaisons internationales et leur diffusion relayée par divers groupes de pression, permet, sans réserves d’usage, de conditionner l’opinion à avaliser des réformes structurelles fondamentales : « Les enquêtes PISA[i] de l’OCDE montrent que les élèves français sont toujours en aussi fâcheuse posture par rapport aux élèves de très nombreux pays (La France conserve, année après année, le même taux d’élèves ne sachant ni lire, ni écrire ni compter). Les Universités françaises sont - à une ou deux exceptions près – très loin dans le dernier classement dit « classement de Shanghai ». « La présence de seulement trois universités françaises parmi les meilleures s’explique par au moins trois raisons. » nous relate les « Echos » du 13 aout 2010 : « D’abord, c’est un classement de la recherche plus que de l’université. Or en France, une grande part de la recherche se fait au sein du CNRS, qui n’est pas une université. Ensuite, il dépend beaucoup des publications en anglais. Il favorise donc beaucoup les établissements anglo-saxons, qui raflent d’ailleurs les 19 premiers rangs. ».
Cette doctrine prône la diminution de l’intervention de l’État et sa mise au service de l’initiative privée : « Sur fond de dénonciation d’une défaillance de « l’Etat enseignant », taxé d’inefficacité et de décalage par rapport aux évolutions sociétales, ces réformes sont portées à la fois par les gouvernements conservateurs, mais aussi par une nouvelle gauche… Elles marquent pour l’éducation un tournant « néolibéral » et interrogent sur l’introduction d’un « référentiel de marché » dans l’éducation »[ii].
Il n’est pas question d’occulter ni de réduire les difficultés bien réelles qui traversent l’Ecole ou l’Université. Mais, certains rapports instrumentalisent des dysfonctionnements pour invalider les principes fondateurs de l’Ecole publique. Avec le dessein non dissimulé de sa privatisation, l’OCDE conforte cette logique : « La structure actuelle du système éducatif considérée comme archaïque, est appelée à disparaître au profit de structures plus souples, largement soumises aux lois du marché aussi bien dans leurs débouchés que par leur fonctionnement interne. L’institution scolaire proprement dite n’aura plus qu’à assurer la socialisation des jeunes et à leur inculquer, non plus essentiellement des savoirs, mais des compétences devant garantir leur employabilité et leur adaptabilité ».
« L’Etat enseignant » et les finalités constitutives de l’institution seraient cause de ses difficultés alors, on « désinstitutionnalise ». Au nom de leur idéologie, intérêt particulier doit primer sur général. Dans l’intitulé de son dernier article au Monde du 27 aout le ministre accompagne habillement cette logique : « Passer de l’école pour tous à la réussite de chacun » Doit-on opposer, dissocier ou conjuguer ? Alors, on individualise le rapport à l’école pour l’inscrire subrepticement et progressivement dans une logique marchande du parent-client maitre de sa présupposée « liberté de choix » pour imposer la demande du privé sur l’offre de service public par chèque éducation revendiqué. Dans une gestion entrepreneuriale de l’éducation, la formation exclusive du travailleur éclipse celle du citoyen[iii] pour répondre aux exigences de l’économie.
Est-on en train de réussir, en toute discrétion, à faire « sauter des verrous » comme le proposait l’association clérico-libérale « Créateurs d’école ». Ainsi l’enseignement privé, bénéficiant de faveurs gouvernementales, jamais égalées, n’a plus besoin de revendiquer et de monter directement au front. Il n’a qu’à se positionner en réceptacle des saignées appliquées, au nom de la rigueur, à l’Ecole laïque. Il suffit de décréter que l’école porte la responsabilité du chômage et de la précarité. Il n’y a qu’à surfer sur les déceptions occasionnées par le service public et entretenues, amplifiées voire fabriquées, par des réseaux extrémistes hors contrat cléricaux et libéraux, financés, pour partie, par la « Fondation pour l’école »[iv] dont les liens avec l’enseignement catholique, principal et quasi-exclusif bénéficiaire, sont, souvent, marqués du sceau de la discrétion pour dénoncer de concert « La débâcle de l’école publique »[v].
La question scolaire est d’abord, avant tout, institutionnelle et idéologique. L’actuel secrétaire général de l’enseignement catholique, Eric De Labarre, ex-président de l’UNAPEL, au travers de laquelle il condamna le PACS, démontre que nous sommes bien au-delà du débat scolaire et bien en deçà d’une supposée mission de service public d’éducation. N’a-t-il pas aussi affirmé après le discours du Latran en 2007 que « la laïcité positive n’était pas étrangère à l’Enseignement catholique »[vi], après le vote de la loi Carle de 2009 instituant un chèque éducation que cette disposition législative n’était qu’ « un bon compromis à un instant T ». N’est-il pas allé jusqu’à revendiquer, en mars 2008 au congrès des chefs d’établissement du privé : « Étendre la contractualisation avec l’État aux établissements publics pourrait permettre d’éteindre définitivement les derniers brûlots de la guerre scolaire … ».
On est en train d’appliquer de fait, aujourd’hui, ce que Guy Bourgeois, ex président de « Créateurs d’écoles » préconisait en 2002 : « Un contrat global et unique (logique de recentralisation) entre le ministère et le Secrétariat général de l’enseignement catholique pour toutes les écoles (…)]. Cela maintiendrait un fort clivage entre enseignement public et privé et les mettrait franchement en concurrence. ». Ce n’est plus « le triomphe de l’équivoque », c’est, derrière l’alibi pédagogique et les prétendues réussites, le triomphe de la compromission libérale de l’enseignement catholique, le triomphe de la compromission catholique des tenants de l’éducation libérale.
Et si l’enseignement catholique occupe aujourd’hui la majeure partie du terrain de l’enseignement privé, rien ne peut garantir qu’il en sera de même demain : « Les intentions, parfois généreuses, parfois intéressées, des responsables de l’enseignement catholique font le jeu d’un enseignement privé qui demain n’aura plus besoin d’une étiquette confessionnelle pour accroître le démantèlement du service public. Car, dans l’ombre, des hommes imprégnés d’idéologie libérale et américaine guettent leur heure pour introduire la rentabilité dans l’enseignement. Et cette heure risque de sonner sans bruit, petit à petit, sans déranger la bonne conscience de ceux qui, croyant travailler à vivre l’Evangile, ont, une fois de plus dans l’histoire, fait le jeu des intérêts égoïstes. »[vii]
Liberté de l’enseignement catholique, cheval de bataille du gouvernement
« Je vous propose enfin que nous n’ayons plus peur d’afficher notre attachement à la liberté de l’enseignement et que nous permettions à tous les parents qui le souhaitent, dans le respect des équilibres chèrement acquis, d’inscrire leurs enfants dans un établissement privé sous contrat »… Telle était la teneur de l’un des discours de campagne prononcé à Angers, le 1er décembre 2006 par le futur président de la République. Démarche inhabituelle, d’un Etat qui anticipe et promeut le « libre choix des familles » pour financer, avec un surcoût certain non embarrassé de rigueur budgétaire, la concurrence du service public qu’il a l’obligation de maintenir. La suppression de la carte scolaire couplée avec l’affrontement du privé, fait du « choix des parents » la première variable d’ajustement d’une régulation par le marché.
Ces instrumentalisations du « libre choix » sont : « Un moment décisif pour l’enseignement catholique » estimait l’Evêque d’Angoulême avant la dernière élection présidentielle. Dans cette note de 2006, il en redoutait « les logiques extérieures » : « L’enseignement catholique en France, en ce début du XXIè siècle, se trouve, sinon à un tournant, du moins à un moment décisif. Il est appelé à manifester, de l’intérieur de lui-même, son caractère spécifique, et dans la société et dans l’Eglise. Sous peine de perdre son caractère spécifique, et de se laisser détourner, pour ne pas dire « dénaturer », soit par des logiques extérieures à lui-même, des logiques d’utilité sociale ou d’influence sociale, soit par des logiques plus ou moins cachées de privatisation. »
Avant le Latran, première entorse à la laïcité[viii] du nouveau Président de la République qui reçoit dès sa première rentrée scolaire, le vendredi 7 septembre 2007, le secrétaire général de l’enseignement catholique, Eric de Labarre qui accepte, ainsi, de se « laisser détourner » . « En ressortant de l'Elysée, on s'est dit : "Cette fois, ça y est ! Il va nous aider". Simplement, on ne savait pas encore quelle forme ça prendrait » … » «Nous sommes décomplexés»[ix]. Le président, rapporte le communiqué de l’enseignement catholique, diffusé quatre jours plus tard : « a indiqué qu’il soutiendrait tout particulièrement les projets d’ouvertures de structures éducatives et pédagogiques dont l’objectif est d’améliorer l’égalité des chances. Puis, il a manifesté sa confiance au ministre de l’Education nationale, Xavier Darcos, pour travailler avec l’enseignement catholique dans ce sens. »[x]
Les actes, savamment dissimulés, habillés de « parité » pour l’opinion, sont allés bien au-delà de ces promesses affichées. Effort de communication ministérielle pour assener des contre vérités afin de dissimuler et d’imposer une stratégie très élaborée justifiant la rigueur appliquée au public et autorisant les faveurs concédées au privé : « … l’enseignement privé a fait la preuve de sa capacité à accueillir des publics très divers, y compris des élèves en difficulté,… »[xi]. Comme aux États-Unis, il faudrait faire appel aux religions pour régler les problèmes des banlieues : « On aurait tort de cantonner le rôle de l’église aux seuls aspects spirituels »[xii] …. « Les cadres de l’église en France pourraient susciter une grande réflexion sur la nécessité de construire des synagogues, des églises et des mosquées dans les banlieues. »[xiii]
Dommage, pour ces fervents laudateurs que les statistiques corroborent l'idée d'un « privé pour riches »[xiv] encore plus évident dans les banlieues et contredisent le langage de l’engagement social de l’enseignement catholique : «L'enseignement privé sous contrat compte toujours davantage d'enfants de cadres supérieurs, professions libérales et chefs d'entreprise que l'enseignement public : 30,7 % contre 19,3 %. A l'inverse, les enfants d'ouvriers et de chômeurs y sont moins présents (22,3 %), que dans le public (38,7 %). »[xv]
Ces preuves n’entament pas la grandiloquence ministérielle partisane en faveur de cet enseignement confessionnel seul capable de : « … proposer une pédagogie et un encadrement leur permettant de renouer avec la réussite scolaire, leur savoir-faire reste trop souvent aux portes de la banlieue parce que nous refusons de leur donner les moyens permettant de répondre à la demande. ». Pourtant, les chercheurs contredisent cette propagande à des fins de privatisation revendiquée ou dissimulée : « Ces nouvelles mesures, tonitruantes en Grande-Bretagne, rampantes en France, ne se justifient pas par une plus forte efficacité du secteur privé. En effet, malgré des décennies de recherches, les études scientifiques ne convergent pas en faveur de l'enseignement privé. »[xvi]
Enseignement catholique, cheval de Troie du libéralisme scolaire
L’enseignement catholique est surdimensionné, sans commune mesure avec une demande en régression d’un enseignement à caractère confessionnel et, cependant, il revendique toujours plus de moyens. Complice de son instrumentalisation, il assume, de plein gré[xvii], au-delà de ses « coups d’épingles dans la laïcité »[xviii], son rôle de cheval de Troie du libéralisme scolaire. Des catholiques eux-mêmes engagés disent : « l'Eglise catholique contribue, par le comportement des responsables de cette école confessionnelle, à appauvrir l'école publique - école de la nation - à appauvrir des communes, voire à "manipuler" les textes évangéliques. » [xix]. L’idéologie religieuse n’est plus la seule utilisée pour justifier l’existence de l’enseignement catholique. Celle-ci est de plus en plus clairement fondée sur l’instrumentalisation politique de la religion. Ainsi, l'Eglise accepte des complicités étrangères aux revendications de sa foi.
Dans le cadre de la loi Debré de 1959, c’est cette offensive permanente de guerre scolaire, aujourd’hui camouflée ou niée par certains qui se développe plus ou moins discrètement. « La guerre scolaire, écrit Philippe Meirieu, n’est pas de l’histoire ancienne, elle se déroule, aujourd’hui, sous nos yeux […]. Nous sommes […] devant un choix décisif, nationaliser l’enseignement privé ou privatiser l’enseignement public ».[xx]
« Acte de combat antirépublicain »[xxi], dit Louis Astre qui précise : « Par la brèche ouverte s’engouffre l’offensive « libérale » destructrice des services publics et des solidarités collectives, génératrice d’inégalité et de régression sociale, qui privilégiant les privilégiés frappe la masse des enfants du peuple en s’en prenant d’abord à l’Ecole publique. »
La loi Debré n’apparaît pas comme solution mais comme étape nouvelle du conflit. C’est une remise en cause de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat de 9 décembre 1905. Cette thèse est récemment confirmée par Éric de Labarre, secrétaire général de l'enseignement catholique dans un éditorial d’ « Enseignement catholique actualités » de décembre 2009. Il confirme bien que, 50 ans après, l’ « équivoque » est levée quant à la volonté de remettre en question la séparation de l’Eglise catholique et de l’Etat : « La loi Debré n’est pas une loi parmi d’autres. Elle est bien un de ces nœuds de l’histoire dont, cinquante ans après son vote, nous n’avons pas encore mesuré toute la portée. En permettant, selon René Rémond, de « réunir ce que la loi de 1905 a séparé », elle est sans doute l’ultime étape du « ralliement » des catholiques et de l’Église à la République. »
Et, n’ose dire : réciproquement
« Par un habile compromis politique, elle vide la querelle scolaire de son contenu puisqu’elle confirme le pluralisme scolaire, mais un pluralisme scolaire porteur d’unité nationale, qui combine participation des établissements privés au service public de l’Éducation nationale et reconnaissance de la diversité des initiatives privées et du caractère propre de chaque établissement. » Ainsi a été trouvé un équilibre qui fait la synthèse entre les deux traditions démocratiques dont la France est héritière : la tradition libérale qui privilégie le pluralisme au nom de la liberté et la tradition républicaine qui privilégie la recherche d’uniformité au nom du principe d’égalité. »
Aveu quant au soutien implicite à une logique libérale, économique cette fois.
Aujourd’hui, dans une démarche de concurrence frontale avec l’enseignement public, l’Eglise ne cesse de revendiquer une reconnaissance institutionnelle. Et, elle « mendie …l’argent de l’Etat » pour réamorcer une nouvelle évangélisation. D’étapes en étapes l’Etat a multiplié les renoncements au principe de laïcité et sacrifie petit à petit l’Ecole publique laïque dont il a constitutionnellement la charge. Les défenseurs de l’école laïque ne disposent plus d’une analyse et d’un langage communs vraiment efficaces. « Gauche Avenir », club de citoyens militants autour de Paul Quilès et Marie Noëlle Lienemann esquisse des propositions : « Il faudra bien que la sagesse l'emporte, que l'on en revienne progressivement à l'autonomie financière de ces entreprises privées d'enseignement. Il faudra bien réhabiliter l'article 2 de la loi de 1905, stopper la désorganisation des services publics. »[xxii]
Un remariage de l’Eglise et de l’Etat
L’Ecole catholique préoccupation privilégiée de l’Eglise semble, aujourd’hui, la dernière et seule vitrine de sa visibilité sociale dans une société toujours plus sécularisée. Le secrétaire de la Congrégation pour l'éducation catholique du Vatican, le cardinal français Jean-Louis Bruguès invite les responsables de l'Eglise à ne pas perdre de vue que l'école catholique pourrait devenir « le seul lieu de contact avec le christianisme ». Conclusion, « l'école est un point crucial pour notre mission ».[xxiii]
Du discours du Latran, à la fondation Saint Matthieu en passant, entre autres par l’accord Vatican Kouchner, les compromissions politiques sont manifestes, les forces cléricales ne se soucient plus de ménager leurs fidèles et flirtent avec les adversaires de la République[xxiv]. L’Eglise catholique ne se dégage pas de ses complicités libérales qui visent à démanteler le service public d’éducation et n’accepte toujours pas l’Ecole du peuple ouverte à toutes et tous. Pourtant, de nombreux catholiques ont choisi l’école publique.
Bien des catholiques engagés[xxv] contestent cette « mission » d’une Eglise tournée vers le passé : « … le moment n’est-il pas venu pour l’Eglise de France de sortir de son plein gré d’un système de visibilité obsolète, parce qu’il n’est plus qu’un faux-semblant, en organisant son désengagement…. ». Avec ce maintien, l’Eglise catholique est instrumentalisée à son corps défendant ou de plein gré, sur ce terrain de l’enseignement par ceux qui idéologiquement combattent, non plus frontalement la République mais, les institutions et services publics qui l’incarnent, au premier rang desquels, l’éducation.
Par naïveté ou complicité complaisante ou active, certains militants acharnés de la communautarisation de l’espace scolaire, prétendent aujourd’hui que le débat public- privé est dépassé, que la loi Debré du 31 décembre 1959, pourtant « votée à la cravache »[xxvi], « est porteuse d’avenir » et « en avance sur son temps »[xxvii]. Tout à leurs stratégies partisanes, ils acceptent, évidemment, que d’autres groupes[xxviii] ou confessions aient les mêmes prétentions prosélytes que l’Eglise catholique. « La loi du 31 décembre 1959 sur les rapports entre l'Etat et les établissements d'enseignement privés constitue l'aboutissement réussi de la lutte engagée dès 1945 par les partisans de la liberté de l'enseignement. Elle signe le retour à un régime initié par Vichy …. »[xxix] reconnaît, aujourd’hui l’enseignement catholique.[xxx]
Cette loi Debré, dont les effets se traduisent par une séparation des enfants au nom de la religion de leurs parents, plus coûteuse encore qu’aujourd’hui, porte les germes des guerres de religions à venir.
L’école privée catholique n’a plus rien à quémander, elle a déjà obtenu plus que son illégitime revendication de parité. Elle porte donc son attention sur de nouveaux marchés, de nouveaux territoires : « les 18 mois et en deçà », l’enseignement supérieur ouvert à la concurrence, béni par les accords « Vatican Kouchner », les banlieues pour s’installer et profiter de la discrimination scolaire, l’évasion vers les communes voisines pour les mêmes motifs.
Tout ceci conjugué, avec la volonté de démanteler le service public au profit d’une logique libérale. L’Observatoire chrétien de la laïcité condamnant l’accord Vatican Kouchner esquisse une réponse à cette question : « En signant cet accord l'État français n'a t il pas souhaité une reconnaissance plus grande du rôle du secteur privé dans l'enseignement supérieur et n'aurait il pas visé à réaliser le rêve de la droite libérale la plus idéologiquement conservatrice: favoriser une marche progressive vers la privatisation de l'enseignement supérieur? ».[xxxi]
L’ALEPS[xxxii][xxxiii], Association pour la Liberté Économique et le Progrès Social, liée au MEDEF, procréation d’intégristes catholiques et de libéraux analyse cet accord avec Kouchner[xxxiv] et estime que le salut libéral vient bien du Vatican et se conjugue avec le salut clérical du gouvernement et son zélé signataire ministre de l’intérieur.
L’enseignement catholique lui avait anticipé la mise en œuvre de l’accord Vatican Kouchner vidé de son contenu par décision du Conseil d’Etat[xxxv] en juillet « réclame à l'État dix millions d'euros promis par l'ancien ministre de l'Éducation nationale Xavier Darcos pour financer la mise en œuvre de la masterisation dans les universités catholiques. »[xxxvi]
Alors que 16 000 emplois d’enseignants publics stagiaires ont été supprimés purement et simplement, cet abondement revendiqué par l’enseignement catholique est : illégal par la légitimité du demandeur au regard de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat ; inégal au regard de la rigueur imposée au public et des faveurs concédées au privé.
Il faudra bien que cesse ces financements publics à guichets ouverts de ce réseau ecclésial qui ne peut continuellement prétendre représenter des établissements privés seuls contractant avec l’Etat. Cette annexe de l’Eglise continue d’usurper pour ses facultés confessionnelles le titre d’ « université » réservé par la loi au seul service public. Ce rappel est confirmé en juin 2010 par le Conseil d’Etat suite à l’accord Vatican Kouchner.
Légalement, l’ « enseignement catholique » ne peut prétendre représenter l’enseignement privé, et encore moins « les établissements d'enseignement privés » qui seuls, passent contrat. Pourtant ses directeurs diocésains nommés par l’évêque ne cessent de faire pression sur les collectivités locales.
C’est le cas dans nombre de communes, départements[xxxvii] et régions : « … la défense de l’Ecole Publique fait toujours l’objet de mobilisations régulières afin d’obtenir simplement l’application de la loi et assurer l’existence ou la continuité du Service public d’éducation sur tout le territoire. Malgré cela, des milliers d’élèves ne peuvent avoir accès à des établissements publics (écoles, collèges et lycées). » « Si les pouvoirs publics voulaient jeter progressivement à force de réformes le discrédit sur l’Ecole publique pour favoriser et maintenir l’enseignement catholique, il ne s’y prendrait pas d’une autre manière. » [xxxviii]
Pour une Ecole sans distinction d’origine, sociale, culturelle ou autres convictions
La citoyenneté, la mixité sociale, dans un contexte de crise économique, constituent de nouveaux défis, de nouveaux enjeux de société pour l’école publique laïque. Certains en cherchant à commercialiser l’éducation la soumettent à des conditions de fortune pour restaurer l’inégalité dans l’accès au savoir. Les mêmes ou d’autres exigent le financement public de leur école privée dont l’objectif vise à conformer au nom de leur « caractère propre » religieux et conditionner les consciences plutôt que de les émanciper. Le communautarisme et la marchandisation représentent, ainsi, des dangers imminents pour l’avenir de l’école. Les principes fondateurs instituant l’éducation obligatoire, gratuite et laïque garante de la liberté de conscience n’en restent pas moins, aujourd’hui, les plus efficaces antidotes. Pourtant certains osent prétendre qu’ils ont perdu de leur pertinence et luttent pour remarier d’abord Eglise et Ecole et ensuite atteindre la séparation des Eglises et de l’Etat. La remise en cause de l’Ecole publique est intimement liée avec celle qui vise la laïcité de la République. « …L’enseignement de la jeunesse a, dans la société, une telle importance, la première empreinte laissée dans les esprits subsiste avec une telle force dans le reste de l’existence, que le jour où l’Etat devait assumer la charge de l’enseignement public, il ne pouvait le donner que impartial et indépendant de toute doctrine religieuse. » [xxxix]
Seule, l’intervention de la puissance publique, affranchie de toute tutelle, ecclésiale ou autre, sans distinction d’origine, sociale, culturelle ou autres convictions, est la condition nécessaire de l’égalité des chances pour la formation de citoyens en devenir, maitres de leur destin, capables d’autonomie de jugement pour leur émancipation.
Eddy KHALDI
[i] PISA est une enquête menée tous les trois ans auprès de jeunes de 15 ans dans les 30 pays membres de l’OCDE et dans de nombreux pays partenaires. Elle évalue l’acquisition de savoirs et savoir-faire essentiels à la vie quotidienne au terme de la scolarité obligatoire. Les tests portent sur la lecture, la culture mathématique et la culture scientifique et se présentent sous la forme d’un questionnaire de fond.
[ii] Les nouvelles politiques éducatives -La France fait-elle les bons choix ? Nathalie Mons (PUF, novembre 2007).
[iii] Rapport 1998 de l'OCDE.
[iv] « Une drôle de Fondation pour l’école » par Jérémie Demay. Le Canard enchaîné (11/08/2010), « en mars 2008, un an à peine après sa création, l’association s’est vu octroyer par un décret signé François Fillon le statut envié de Fondation reconnue d’utilité publique. »
[v] Le 19 février 2008, la hiérarchie catholique organisait sur la chaine de télévision KTO : « nous parlons de débâcle de l’école car celle-ci se trouve, aujourd’hui, dans une situation d’étonnante analogie avec l’armée française en 1940».
[vi] La loi Debré ouvrait également la voie à une "laïcité positive", nous dit ce site de l’enseignement catholique : http://ens-religions.formiris.org/
[vii] Goureaux, Guy et Ricot, Jacques, Autopsie de l’école catholique, Éditions du Cerf, Paris, 1975
[viii] Claude Lelièvre et Christian Nique, L’école des présidents. Odile Jacob, 1995, page 47 : « Ni l’Église en tant que telle ni aucune association nationale, avait précisé M. Debré lors de la phase de préparation, ne peut être le partenaire du ministère de l’Éducation ; la coopération se fera donc à l’intérieur d’un service public pluraliste grâce à des contrats passés avec les établissements. ».
[ix] Mediapart le 21 mars 2008 Le gouvernement va aider l’école privée en banlieue Par Mathilde Mathieu
[x] Secrétariat général de l’enseignement catholique, communiqué du 11 septembre 2007.
[xi] Le 14 février 2008, discours du ministre en charge de l’éducation, dans le cadre du plan « Espoir Banlieue ».
[xii] Nicolas Sarkozy, La République, les religions, l’espérance, page 47, Cerf 2004
[xiii] Ibid page 130
[xiv] Le 2 septembre 2009, article du Monde : « Le privé, c'est pour les riches ».
[xv] Repères et références statistiques sur les enseignements, la formation et la recherche du Ministère de l’Education nationale
[xvi] Nathalie Mons, (chercheuse, spécialiste des politiques éducatives, Grenoble-II) dans un article du Monde du 16 juin 2010
[xvii] « Il n’y a par conséquent, semble-t-il, plus de sens pour que l’Eglise occupe ce terrain (Education), sinon au risque de se laisser instrumentaliser au service d’une logique de privatisation, en mettant à la disposition des privilégiés des systèmes privés de soins, d’éducation, etc., dont l’inspiration catholique n’est plus qu’une source lointaine et finalement inopérante qui risque de produire un contre-témoignage. » Claude Dagens, Evêque d’Angoulême, Académicien. « Pour l’éducation et pour l’école. Des catholiques s’engagent, » Odile Jacob, 2007.
[xviii] Communiqué du CEDEC.
[xix] Communiqué du CEDEC.
[xx] Philippe Meirieu Nous mettrons nos enfants à l’Ecole publique. Mille et une nuits - 2004
[xxi] Louis Astre responsable syndical de la FEN de 1961 à 1984
[xxii] Le Club "Gauche Avenir" (www.gaucheavenir.org) a édité deux brochures "Fiers d'être de gauche" et " Le livre noir de la laïcité". Outre le colloque laïcité, il a organisé des forums consacrés à la crise économique, la gauche et les associations, l'avenir de la gauche.
[xxiii] Interview à l'hebdomadaire italien « Tempi », parue le 15 janvier 2009. « Dans une société toujours plus sécularisée, où un enfant, un adolescent, un immigré peut-il rencontrer et connaître le christianisme ? », s'est ainsi interrogé Mgr Bruguès. « L'école catholique deviendra le premier et peut-être le seul lieu de contact avec le christianisme », a-t-il mis en garde. « C'est pourquoi je recommande aux responsables de l'Eglise » de ne pas perdre de vue que « l'école est un point crucial pour notre mission ».
[xxiv] Extrait de : « La République, les religions, l’espérance », Éditions du Cerf, 2004, Nicolas Sarkozy, coécrit avec Thibaud Collin et Philippe Verdin : « On ne peut pas éduquer les jeunes en s’appuyant exclusivement sur des valeurs temporelles, matérielles, voire même républicaines…
La dimension morale est plus solide, plus enracinée, lorsqu’elle procède d’une démarche spirituelle, religieuse, plutôt que lorsqu’elle recherche sa source dans le débat politique ou dans le modèle républicain… La morale républicaine ne peut répondre à toutes les questions ni satisfaire toutes les aspirations »…. « La religion est un élément civilisateur. L’esprit religieux et la pratique religieuse peuvent contribuer à apaiser et à réguler une société de liberté ».
[xxv] On lira en fichier joint, le communiqué très récent de la présidente du CEDEC
[xxvi] « Ecole laïque, école du peuple » Robert Escarpit Calmann-Lévy 1961.
[xxvii] Actes du Colloque d’Amiens des 9-10 décembre 1999 - Bruno Poucet - Centre régional de documentation pédagogique de l’Académie d’Amiens 2001.
[xxviii] Voir le tableau montrant la communautarisation actuelle de l’espace scolaire.
[xxix] Document de 2006 sur le site de l’enseignement catholique : http://ens-religions.formiris.org/
[xxx] « La laïcité française depuis 1945 : Le difficile parcours d'un concept » Pierre Ognier, février 2002
[xxxi] Lire la position de l'Observatoire Chrétien de la Laïcité sur l'accord République française-Saint siège sur les instituts d'enseignement supérieurs catholiques signée par Jean Riedinger secrétaire de l'Observatoire Chrétien de la Laïcité.
[xxxii] L’ALEPS « association pour la liberté économique et le progrès social » pronostique, dans « la lettre nouvelle », du 16 décembre 2006, que cette OPA et ses projets libéraux mettront moins de deux quinquennats à se réaliser : « L’ALEPS ne fêtera pas son cinquantième anniversaire.
C’est la curieuse conclusion de Jacques GARELLO à l’issue de la fête de famille qui a permis de souffler les quarante bougies de la jeune dame. Pourquoi cette prospective ? Simplement parce que le Président de l’ALEPS est persuadé qu’avant dix ans les idées de la liberté seront tellement répandues et acceptées en France que l’ALEPS ne sera plus utile. ».
Cette officine du CNPF et de l’UIMM a été créée pour, en particulier, « étudier l’ensemble des conditions qui permettent aux sociétés humaines de vivre dans la liberté et de progresser de manière continue au profit de tous ; affirmer et diffuser dans l’opinion les principes et les idées d’un libéralisme actuel et d’avenir…. ». Outre, les questions économiques, l’éducation, l’avortement, la contraception, les prises de positions de Jean Paul II ou Benoit XV figurent dans ses préoccupations essentielles.
Liens, actions, déclarations, projets et programmes communs de plusieurs autres associations[xxxii] attestent de ce complot préparé, dans l’ombre, depuis un peu plus de quinze années, en toute discrétion, par ceux là même qui, aujourd’hui, entre autres, sont aux commandes de l’Education nationale.
[xxxiii] Le « guide du candidat » de l’ALEPS, association qui, elle non plus, n’a pas pour objet l’école, avance des propositions dans divers domaines, dont celui de l’éducation : Le programme est limpide : « Dès 2007 suppression de la carte scolaire et sélection à l’entrée des établissements scolaires et universitaires, liberté totale de l’ouverture de classes, d’établissements et du recrutement d’enseignants et de personnel administratif par contrat privé » ; « Suppression du monopole de la collation des grades universitaires », « Abaissement de l’âge de la scolarisation obligatoire à 14 ans, élargissement des possibilités d’apprentissage en école ou en entreprise, contrat de travail pour les mineurs. ». Puis, seconde étape du programme : « Dans les années suivantes, mise en place d’un système de chèques éducation. » ; « Suppression progressive du budget de l’Education Nationale et du statut des enseignants fonctionnaires. » ; « Liberté du niveau de droits d’inscription pour tous les établissements de tous les ordres. » ; « Autonomie totale des établissements en matière de programme, de personnel et de contrôle des connaissances. »
Sur les questions d’éducation, l’ALEPS qui, rappelons-le, est une filiale de l’UIMM et du MEDEF, fait, pour sa part et de longue date, entière confiance à Nicolas Sarkozy : « Voilà que Nicolas SARKOZY a tenu des propos intéressants sur l’école, qui tranchent avec ce que l’on entend habituellement…. »
[xxxiv] « La nouvelle lettre » éditorial de Jacques GARELLO du 30 Mai 2009 : « UNIVERSITÉS : LE SALUT VIENDRA-T-IL DU VATICAN ? » : « Mais le Vatican y tient et, semble-t-il, le président de la République aussi, qui y voit une application de la laïcité positive. Résultat : contre toute attente, le texte a été publié il y a peu par le Journal officiel sous forme d’un décret signé par le Président de la République et par le ministre des affaires étrangères.
Or la différence fondamentale entre le Vatican et un autre pays, c’est que les universités reconnues par le Vatican sont situées partout, y compris en France. Tout dépendra donc de l’application de l’accord, mais si le Vatican reconnaît tel établissement privé français (catholique en l’occurrence) ou tel diplôme, la reconnaissance du diplôme par l’Etat français sera acquise automatiquement !
Ce serait la première contestation sérieuse du monopole étatique sur les grades. A vrai dire, beaucoup dépendra des évêques français, de la volonté de Rome et de celle des établissements catholiques. Les 5 « cathos » officielles (crées en 1875) ont plutôt tendance à freiner, mais les nouveaux établissements, dynamiques et novateurs, qui se sont créés (Ices, Ircom, Institut Albert le Grand, IPC, Faco, ICR, etc.) sont très demandeurs. La Nonciature va examiner cela au cas par cas, sans se presser, mais si le processus s’enclenche, cela peut être le début du big bang. Inutile de dire qu’on va aussi entendre crier les tenants du monopole et de la laïcité, qui vont déposer un recours devant le conseil d’Etat, avant de manifester et de pétitionner »
[xxxv] Voir Article de jean Riedinger
[xxxvi] Dépêche n°136368 de l’AEF du 23 août 2010, « Quelques jours avant son départ du ministère de l'Éducation nationale, en juin 2009, Xavier Darcos a en effet promis à Éric de Labarre, secrétaire général de l'Enseignement catholique, une enveloppe supplémentaire de dix millions d'euros. Cette somme est alors inscrite dans le budget 2010 au titre du financement de la formation initiale des enseignants du privé, réformée dans le cadre de la masterisation (programme 139 de la mission enseignement scolaire, enseignement privé du premier et du second degré, transfert aux centres de formation). Le PLF 2010 prévoit ainsi d'allouer 62 millions d'euros à la formation des maîtres du privé, contre 53 millions d'euros en LFI 2009. Le cabinet de Luc Chatel n'a pris que tardivement connaissance de cet engagement. Depuis plusieurs mois, la question fait l'objet de « négociations extrêmement difficiles » entre le secrétariat général de l'enseignement catholique, le ministère de l'Éducation nationale et le ministère de l'Enseignement supérieur, chacun des deux ministères se renvoyant la responsabilité du versement, relate Fernand Girard, délégué général du Sgec. « Les arbitrages sont allés jusqu'à Matignon et l'Élysée », poursuit-il. »
[xxxvii] Ainsi dans l’Aveyron : dans le 1er degré, 128 élèves supplémentaires sont attendus à la prochaine rentrée dans le public et on subira pourtant la suppression de 12 postes. Dans le même temps le privé avec 76 élèves en moins enregistre seulement une suppression de 3 postes…Si la proportionnalité était appliquée, le public devrait récupérer 5 postes, alors qu’il en perd 12 … Dans le 2nd degré, deux constats doivent attirer notre attention : - 21 collèges publics accueillent 61,4%et 23 collèges privés en accueillent 38,6 % - sur les 16 communes qui connaissent la dualité scolaire(public et privé), 8 d’entres elles ont des collèges privés qui ont moins de 100 élèves (contre 1 dans le public).
[xxxviii] Christophe Guillet lire : « Maine et Loire : la guerre scolaire au quotidien ».
[xxxix] Dans ses conclusions sur l’arrêt Bouteyre (Conseil d’Etat 10 mai 1912), il est reconnu au ministre le pouvoir de refuser aux prêtres la possibilité de passer le concours d'agrégation en philosophie le commissaire du gouvernement Helbronner soulignait l’importance du respect de la neutralité dans l’enseignement public en ces termes
Visitez le site : http://www.la-republique-contre-son-ecole.fr/
Site FACEBOOK : http://www.facebook.com/#!/pages/La-R%C3%A9publique-contre-son-%C3%89cole/177504315658264
Pour tout contact : la_republique_contre_son_ecole@numericable.fr
http://www.main-basse-sur-ecole-publique.com/
Lire l'article de Roland BOSDEVEIX sur le site "Libre penseur".
La République contre son École
La République contre son école , Eddy Khaldi et Muriel Fitoussi (Demopolis,octobre 2011,330 pages, 21€)
Eddy Khaldi et Muriel Fitoussi nous gratifient d'un second ouvrage, positionné sur la même thématique que son prédécesseur. Pour les auteurs - c'est évident - il s'agit de "poursuivre l'œuvre d'information citoyenne initiée en 2008", c'est-à-dire l'année de la parution de Main basse sur l'école publique.
Ce premier livre faisait une constatation sans concessions du délitement de l'école publique, sur laquelle, depuis fort longtemps, une OPA réactionnaire était lancée. Le second ouvrage va encore plus loin sur l'analyse du démontage opéré par les tenants d'une école prétendue libre. Certainement libre pour aider à la déstructuration de la "laïque" ; libre aussi pour participer à son dépeçage systématique.
Le titre, un brin provocateur, pourra peut-être décontenancer le lecteur. Pourtant, il ne gâte en rien le contenu. L'ouvrage dresse un constat accablant, dramatique et, disons-le, alarmant ! Le style est clair et direct. Il va à l'essentiel sans s'encombrer de formules tarabiscotées, chères à tous les spécialistes dignes des grandes écoles. Pour nous, l'objectif fixé par les auteurs est atteint. La république est devenue folle ! Ceux qui la dirigent agissent contre l'école publique, celle-là même qui a su construire patiemment l'identité républicaine.
En premier lieu, nous trouvons nos gouvernants, plus de droite que de gauche. A propos de ces derniers, les auteurs nous semblent quelque peu timorés. Le personnel politique a fourni, depuis la loi Debré et même avant, autant de verges pour fouetter avec violence l'institution. Les causes en sont établis et fort bien détaillées par nos auteurs.
Ensuite évidemment, nous retrouvons l'église. Elle qui cherche, d'une façon ou d'une autre depuis 1905, à reprendre la main sur la société civile, une société qui ne la reconnaît plus en termes de fréquentation religieuse. L'enseignement privé : de la maternelle à l'université en passant maintenant par les jardins d'enfants, reste son principal cheval de Troie pour tenter la reconquête.
Enfin, une troisième équipe, toute transversale, celle des tenants du libéralisme et du néo-libéralisme. Au nom de la "sacro-sainte" liberté, elle entend placer sur le même pied d'égalité, par la concurrence, les deux principales structures d'enseignement. En bref, de joyeux larrons fort décidés à travers leurs multiples et influents réseaux, à réduire, sinon détruire, l'école des hussards de la République.
Tout cela est relaté dans ces trois cent pages qui nous démangent du début jusqu'à la fin. Vous l'avez compris : les auteurs ne prennent ni gants ni quatre chemins pour démonter les méthodes employées par ces puissants commanditaires. Au scalpel et sans anesthésie locale, ils attaquent les chairs vives de ses fossoyeurs de la "laïque".
Alors, Ami lecteur, court vite te procurer ce livre. Après en avoir fermé la dernière page*, nous formons l'espoir que tu auras un magnifique sursaut citoyen. Tel est le pari que font Eddy Khaldi et Muriel Fitoussi. En cette fin d'année qui se profile, nous ne pouvons pas formuler d'autre vœu ...sinon celui de sa réussite éditoriale.
Roland BOSDEVEIX
* Deux annexes fort instructives : expansionnisme de l'enseignement privé et réseaux communautaires, bouclent l'ouvrage.
http://www.libre-penseur-adlpf.com/article-la-republique-contre-son-ecole-91145815.html
La République contre son École
un diagnostic rigoureux et accessible
La « sainte » alliance contre l'école publique!
Quand certains entendent le mot « République », ils sortent leurs revolvers...
Il est vrai que les « libéraux » et la hiérarchie catholique ne rêvent que de briser les bases de la République pour pouvoir régner en maîtres sur les finances et les âmes.
Comme l'expliquent avec humour Eddy Khaldi et Muriel Fitoussi :
« A vouloir recruter ainsi massivement et bien au-delà d'une demande « naturelle »liée à la foi, il y a pour l'enseignement catholique, une sorte de péché « lucratif », en forme de publicité mensongère peu compatible avec une mission éducative qui prétend s'inspirer des Évangiles »!?
Les deux auteurs de « Main basse sur l'école publique », ouvrage de référence pour les chercheurs et les militants laïques récidivent en nous livrant un diagnostic actuel sur le détricotage méticuleux opéré par l’Église et ses alliés, de l’Éducation Nationale et de son école publique, accessible à tous.
Les officines réactionnaires sont dans les couloirs du pouvoir, qu'il s'agisse de « SOS Éducation », de « Créer son école » , d' « Enseignement et Liberté » ou de « Famille, école, éducation »pour tenir un discours catastrophiste et éhonté sur la situation de l'école publique
Elles demandent qu'enfin il n'y ait plus que des écoles concurrentes, l'école publique n'étant qu'une entité parmi d'autres.
Les deux auteurs nous montrent comment la loi Debré instaurant une relation entre l’État et chacune des écoles privées avait été elle même contournée et dénaturée.
L’État entretient des relations privilégiées avec l'enseignement catholique et la hiérarchie catholique a instauré une administration bis.
Chacun a son rêve éducatif, la hiérarchie catholique et les libéraux constituant une « cohorte catholico-libérale : « Pour les uns, l'école est appelée à renouer avec son rôle missionnaire d'instrument d'évangélisation, pour conforter une visibilité et une empreinte sociales visant à contourner la séparation des Eglises et de l'Etat. Pour les autres, l'école doit devenir une marchandise. »
Les objectifs visés et les jeux d'alliance sont mis à jour.
C'est ainsi que sont dévoilés les projets et opérations menées avec force par l'Eglise catholique et ses relais pour récupérer « des parts de marché » dans le secteur petite enfance.
Le président de la CNAF, Jean-Louis Deroussen, ancien président de la Fédération CFTC de l'enseignement privé entretient ainsi une »neutralité » bienveillante à l'égard de l'enseignement confessionnel à qui il propose de s'ouvrir aux jardins d'éveil.
Le message est reçu cinq sur cinq par une hiérarchie qui compte ainsi à la fois sur une manne financière et à la fois sur la possibilité d'avoir sous sa main quelques centaines de milliers de jeunes âmes disponibles dès la toute petite enfance... Quant aux obstacles comme cette obligation de passer par un canal associatif pour disposer de subventions publiques, ils sont vite contournés : il suffit de fonder des associations et de les doter de règlements intérieurs stipulant le caractère religieux du projet éducatif... Comme seuls les statuts doivent être adressés aux Préfectures, il n'y a rien à craindre!
Aujourd'hui de nouveaux marchés s'ouvrent pour l'église comme celui de la formation des enseignants du public... La suppression des IUFM libère un grand boulevard...
Si les associations laïques n'avaient pas décidé de monter au créneau y compris devant les juridictions compétentes , les accords Krouchner-Vatican auraient donné aux « universités » catholiques le droit de délivrer des diplômes d'enseignement ( histoire, biologie, sciences de la vie)
Ce n'est que partie remise, diraient certains....
Ce livre est aussi un appel à la mobilisation des laïques pour la défense de la seule école du vivre ensemble... La complaisance électoraliste ou le manque de courage ne peut que profiter à ceux qui sans complexe veulent que la puissance publique continue à « organiser et à financer la concurrence privée avec sa propre école publique »puis à aligner le public sur le privé.
Cet abandon du combat laïque ne peut que conduire à mettre à bas une institution de la République qu'on appelle encore aujourd'hui l’Éducation nationale... Mais pour combien de temps encore!?
Jean-François Chalot
http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/29169
La République contre son École
EDDY KHALDI : « LE SERVICE PUBLIC EST SACRIFIÉ »
01/12/2011, La Gazette de Côte d'Or, n° 273, par Jérémie Demay.
L’école ne peut pas devenir un service marchand
Eddy Khaldi est co-auteur de La République contre son école. Dans ce livre, est décrit comment s’organise la libéralisation de l’Éducation nationale.
LA GAZETTE : Le titre de votre livre est-il une provocation ou décrit-il une réalité ?
EDDY KHALDI : Un peu des deux, même si cela devient de plus en plus une réalité. Quand l’État finance et érige la concurrence en principe, il délaisse et condamne de fait son service public. Certes, il y a plusieurs écoles « dans » la république, mais il n’y en a qu’une « de » la république. On constate cet abandon du service public. À travers une avalanche de mesures, on voit le détricotage de l’école. Quand on déshabille le public, on habille le privé. Aujourd’hui, le ministre a plus de préoccupations pour l’enseignement privé que pour le public.
Pour vous, le privé est favorisé par rapport au public ?
Oui, c’est manifeste. Dans le second degré, le privé représente 20 % de l’enseignement. Quand on lui ajoute des postes, on respecte au moins ces 20 %, et quand on en retire, c’est à peine 10 % pour le privé, et 90 % pour le public. C’est une forme de déséquilibre qui ne se justifie pas. Les effectifs dans le privé sont moindres dans le second degré. 15 % des classes dans le privé ont moins de 15 élèves, et 30 % en ont moins de 19. La moyenne au niveau national est de 28 élèves dans le public et 24 dans le privé. Mais au-delà du nombre de postes, il y a aussi une stratégie ; le privé sous contrat était financé a posteriori, c’est-à-dire que l’on constatait une évolution d’effectifs, et on finançait après coup. Aujourd’hui, le ministre finance a priori et finance lui-même la concurrence avec son propre service public.
Comment expliquez-vous que le facteur d’une fermeture de classe ne soit pas le même entre le privé et le public ?
Dans le public, on ouvre une classe quand il y a un besoin scolaire reconnu. C’est un processus qui répond à l’intérêt général. Le privé bénéficie de subventions d’investissement qui ne sont pourtant pas obligatoires. En effet, l’État a l’interdiction de financer un patrimoine privé. Mais cet apport d’argent se déroule sans les contraintes que subit le public. Il n’y a pas tout le processus de vérification notamment sur l’intérêt général. Il peut notamment construire un nouveau bâtiment en un temps record et capter un besoin scolaire reconnu. Un transfert d’élèves s’opère. Il existe ainsi des zones, dans le second degré, où des sections sont ouvertes uniquement dans le secteur privé. Or le principe d’enseignement c’est d’abord de pouvoir choisir, encore faut-il que le service public puisse répondre à ces attentes. Le service public est sacrifié, pendant que le privé multiplie ses offres.
L’Éducation nationale est-elle un service public comme les autres ?
C’est plus qu’un service public. Certes, il doit former un travailleur. Mais l’Éducation nationale est, dans ses fondements, un projet de société. L’école a aussi la mission de former un citoyen en devenir, d’organiser le vivre ensemble. C’est un projet collectif indispensable pour la nation. L’école ne peut pas devenir un service marchand.
Au nom de la liberté d’enseignement sont nés les chèques éducation, l’autonomie accrue des chefs d’établissements. Ces thèmes ont surtout été portés par la Fondation pour l’école qui milite essentiellement pour les écoles hors contrat. Pourquoi cette fondation a-t-elle une telle audience ?
Elle a d’abord été favorisée dans sa création. Elle a été déclarée très rapidement d’utilité publique. Elle est maintenant financée par défiscalisation. C’est une vraie niche fiscale scolaire. Il existe d’autres fondations ayant les mêmes principes. Le but est de faire financer le tout à coups de défiscalisation. L’État ne finance pas directement ces structures, mais avec ces niches la puissance publique paie quand même. Cela permet de contourner la loi qui organise l’école. Derrière tout ça, on trouve une logique libérale.
Comment voyez-vous l’avenir de l’école républicaine ?
C’est un enjeu important. Il ne suffit pas dire que le nombre de postes va augmenter. Il faut être attentif et dire ce que l’on veut faire de l’éducation. Est-ce que cela doit rester un projet de société ? L’État a-t-il toujours les mêmes ambitions pour son école publique ? Malheureusement, aujourd’hui ce n’est plus le cas, puisqu’on fait l’apologie du privé confessionnel qui est le cheval de Troie du libéralisme scolaire. On est en train de discréditer le public pour essayer d’invalider les principes fondateurs de l’école et par là même de la république .
http://www.gazette-cotedor.fr/2011/12/01/eddy-khaldi%C2%A0-le-service-public/
Foucault, Deleuze, Althusser & Marx d'Isabelle Garo
LECTURES Jeudi24 novembre 2011 - Marx et les philosophes, par Romain Felli
Isabelle Garo étudie les rapports, explicites ou souterrains, qu’entretiennent Michel Foucault, Gilles Deleuze et Louis Althusser avec Marx. Un ouvrage rigoureux critiquant profondément le «postmodernisme» qui sévit actuellement dans les sciences sociales
Quiconque s’intéresse à l’évolution des sciences sociales contemporaines ne peut manquer d’être frappé par les références permanentes faites à l’œuvre de Michel Foucault, en particulier par celles et ceux qui revendiquent une perspective «critique» sur les sociétés actuelles et leur analyse. Dans une moindre mesure, il en va de même pour les théories de Gilles Deleuze, et marginalement pour celles de Louis Althusser (cette nuance s’efface néanmoins si le regard se porte sur le monde anglophone où ce dernier connaît un étrange regain d’intérêt).
La philosophe Isabelle Garo se propose dans cet ouvrage, servi par une écriture magnifique et une acuité conceptuelle remarquable, de rendre compte de la spécificité de ces penseurs français des années 1960-1980 et de leurs fortunes postérieures. Avec un souci de la nuance qui l’honore, et auquel le chroniqueur ne peut pleinement rendre justice dans l’espace imparti, elle s’efforce de montrer les apports de ces auteurs, mais aussi les impasses auxquels ils conduisent. D’une certaine manière, elle poursuit ainsi l’entreprise de ses précédents ouvrages consacrés à la question de la représentation dans la pensée de Marx. Pour Garo, en effet, c’est dans le rapport de Foucault, Deleuze et Althusser à Marx, qu’il convient de chercher l’explication à la fois de leurs évolutions et de leurs succès ultérieurs. Si chez Althusser, ce rapport est directement revendiqué, Garo montre bien comment le philosophe du parti communiste français se détache en réalité sur des points cruciaux, de l’élaboration théorique marxienne sous couvert d’une fidélité finalement uniquement rhétorique.
Ce rapport est beaucoup plus souterrain dans le cas de Foucault et, dans une moindre mesure de Deleuze (et de son collègue Félix Guattari), mais d’autant plus puissant qu’il est réprimé. Garo suit les contours de ces pensées et montre comment elles répondent à la fois à des impératifs propres d’élaboration théorique, mais aussi aux transformations dans le contexte politique et économique international et français en particulier. Le renoncement à une pensée de la totalisation – commodément et rapidement associée à la dénonciation du «totalitarisme» – conduit notamment Foucault à se replier sur une analyse et une politique décentrée des rapports de force fondamentaux (notamment de l’Etat) au profit de la glorification de la différence et de la multiplicité des identités. Le renoncement à toute politique de transformation sociale, et l’apologie de la fluidité, autorise en retour les lectures et pratiques proprement néolibérales qui ont été faites de ses œuvres.
Au final, c’est bien à une attaque contre le «postmodernisme» dans les sciences sociales que cet ouvrage contribue. Une telle critique, dépassant de loin la polémique ou le pamphlet et fondée sur une lecture rigoureuse des textes et de leurs effets, n’a que trop tardé dans le monde francophone, comme le souligne l’auteure en comparaison avec la situation anglophone. Pour la philosophe, cette critique, adossée à un renouveau des sciences sociales, doit se colleter, à nouveau, à la question de Marx, par-delà les dogmatismes et les caricatures. Pour l’auteure, il semble que cette tâche soit tout autant scientifique que pratique.
http://www.letemps.ch/Page/Uuid/2977a8aa-1609-11e1-8db3-ac201aa133c4/Marx_et_les_philosophes
blog de Romain Felli : http://blogs.mediapart.fr/blog/rfelli/241111/marx-et-les-philosophe
La République contre son Ecole
“La République contre son École” écrit par Eddy Khaldi et Muriel Fitoussi, mercredi 23 novembre 2011, par Bernard Teper.
Disons-le tout net ! Nous n’aimons pas le titre, mais nous avons adoré le livre (1)
Car il y a longtemps que la France n’est plus en République. La sphère de constitution des libertés (école, services publics, protection sociale) — qui est la matrice des droits-créances pourtant indispensables pour compléter les droits-libertés si nous voulons la République sociale du 21e siècle — a été tuée par les politiques néolibérales. Et comme la république n’existe plus en France, on ne peut pas dire que c’est elle qui est responsable des maux de l’école.
Cela dit, ce livre est un bonheur : on y lit ce que nous pouvons considérer comme une étape dans la recherche de la vérité. Car améliorer la réalité matérielle n’est possible que si l’on a préalablement une bonne analyse de celle-ci et si l’on en comprend les enjeux. Ce livre, de plus de 300 pages, permet à un citoyen d’être éclairé pour enfin participer au souverain et de ne pas être “manipulé” par la société du spectacle — idée chère à Guy Debord. Les médias dominants et les discours du début du débat de l’élection présidentielle ne parlent que du nombre d’enseignants. Bien que la saignée de plus de 60.000 enseignants ces dernières années soit catastrophique, il y a bien d’autres scandales sur la politique scolaire que ce livre pointe bien.
L’introduction du livre dit l’essentiel : omerta sur le dualisme scolaire, dénigrement des pouvoirs publics de l’école publique, alignement de l’école publique sur l’école privée confessionnelle, développer le financement public des écoles privées confessionnelles, rigueur pour le privé, faveurs pour le privé confessionnel, fossé grandissant entre l’État et l’école publique laïque, ingérence de plus en plus forte de l’église catholique dans la politique scolaire au mépris de la loi de Séparation de 1905, volonté des pouvoirs publics de replacer l’église catholique comme tutelle de l’école, politique globale de l’église catholique contre l’école publique laïque des jardins d’éveil jusqu’à l’université, etc.
Les annexes donnent des chiffres de l’expansionnisme de l’enseignement privé catholique, montrent que la France est championne d’Europe du financement public des écoles privées catholiques — comme elle l’est aussi dans le nombre des lits privés d’hospitalisation (NDLR). La dernière annexe donne les chiffres des écoles communautaires juifs, protestants, bretons, basques, occitans, catalans, protestants évangéliques, bretons catholiques, musulmans et sikhs.
Comme il est écrit en fin d’ouvrage, « quel citoyen ne trouverait pas indécent de revendiquer la prise en charge, par la collectivité publique, de sa course en taxi ? Quel citoyen oserait prétendre illégal le refus de financement public de son transport privé parce qu’il porterait atteinte à sa liberté fondamentale d’aller et venir ? »
L’ouvrage donne des informations très intéressantes sur la concurrence public/privé, sur le soutien des pouvoirs publics au privé confessionnel, sur les officines du lobby patronal, du lobby catholique y compris de l’extrême droite catholique. Il est intéressant de voir que les colloques de ces officines ont comme animateurs et intervenants des habitués des médias aux ordres Natacha Polony, Éric Naulleau, Éric Zemmour, Anne Coffinier, Jean-Claude Gaudin , André Lardeux, Éric Labarre, Jean-Claude Carle (secrétaire national de l’UMP à l’enseignement privé), etc.
Les auteurs posent même la bonne question : « La gauche est-elle encore héritière de l’école de la République ? »
On apprend en lisant ce livre que l’église a une politique visant à “catholiciser les subventions publiques”. On apprend qu’une institution de la sécurité sociale, la CNAF, « est au service de l’église catholique » par l’intermédiaire de la politique de son président membre de la CFTC. On apprend comment les accords Vatican–Kouchner et la mastérisation répondent aux volontés de la conférence épiscopale. On apprend que des textes papaux prennent force et vigueur dans des universités catholiques financées par l’argent public.
Les auteurs ne vont pas jusqu’à mettre en lumière la trahison des organisations qui ont appelé au Serment de Vincennes de 1961 et qui ont “oublié” ce Serment quelques années après.
Mais pour la reconquête laïque, la lecture de ce livre est indispensable.
À partir de là, les auteurs appellent à une contre-offensive citoyenne et républicaine autour du mot d’ordre “Fonds publics pour la seule école publique !”. Bravo aux auteurs !
(1) La République contre son École écrit par Eddy Khaldi et Muriel Fitoussi, édité par Démopolis. 21€.
http://www.gaucherepublicaine.org/
La véritable histoire du Parti communiste français
Lire l'article de Romain Ducoulombier du 8 novembre 2011 sur le site de "Temps Presents", en réponse au livre "La véritable histoire du Parti communiste français" de François Ferrette.
Une réponse à L’Histoire du communisme, la seule, la vraie. Réponse à François Ferrette
Par Romain Ducoulombier
Depuis un demi-siècle, l’interprétation dominante de la naissance du Parti communiste en France a tenu en une phrase : il s’agissait d’un « accident », selon les mots de l’historienne Annie Kriegel. Point culminant d’un « biennio rosso » à la française – pendant deux ans, en 1919 et 1920, le mouvement ouvrier français se mobilise et paie, dans la rue, le prix fort –, le Congrès de Tours consacre, à la toute fin décembre 1920, la formation, par un vote largement majoritaire, du Parti socialiste – section française de l’Internationale communiste (PS-SFIC). Il faudra encore attendre quelques mois pour que le nouveau parti prenne le nom de « parti communiste – SFIC », comme le souhaitaient Lénine et les bolcheviks, pour accentuer la rupture avec la « social-démocratie » honnie d’avant-guerre.
Cette interprétation « accidentaliste » a régné sur les destinées de l’historiographie communiste française pendant de longues années. C’est cette thèse que j’ai remise en cause par la publication, en octobre 2010, d’un livre issu de ma thèse de doctorat, soutenue en 2007 à l’IEP de Paris. Dans ce livre, Camarades1, j’ai avancé l’idée, appuyée sur de nouvelles archives (de Moscou et d’ailleurs), que les socialistes français ont voulu, au sortir de la guerre, régénérer le socialisme, pour le rendre à sa vocation révolutionnaire, dont la guerre et l’Union sacrée l’avaient écarté, en adoptant une nouvelle méthode d’organisation partisane inspirée ou imitée, si l’on veut, du bolchevisme russe. Cette interprétation nouvelle n’a pas manqué d’être discutée, et elle l’est encore ; et moi-même je me suis efforcé, dans mon dialogue avec l’œuvre de Kriegel, de lui témoigner malgré mes critiques, toute la considération qu’elle mérite. Soulever à nouveaux frais le problème des origines du Parti communiste en France supposait de bouleverser les routines intellectuelles et les visions convenues d’une histoire assez largement réécrite tant par les vainqueurs (les staliniens) que par les vaincus, c’est-à-dire les exclus des années 1920, qui insistaient sur leur jeunesse et leur inexpérience pour expliquer la destruction, de leurs propres mains, du « parti de Jaurès ».
Cette volonté m’a valu des critiques, mais elle m’a exposé aussi à des attaques d’autant plus surprenantes qu’elles sont diamétralement opposées. Il y a plusieurs mois, à la suite du numéro de L’Histoire consacré au 90e anniversaire du Congrès de Tours2, un historien pourtant rigoureux et bien informé m’avait accusé de ressusciter les « vieilles lunes léninistes ». Me voilà devenu, depuis quelques semaines, un « ennemi de la révolution », dans un livre que le militant François Ferrette a consacré au rétablissement de la « véritable histoire du communisme3 ». Disons-le : on a connu son éditeur, Démopolis, mieux inspiré. Le propos de F. Ferrette n’est pas scientifique mais politique : rallié au Front de Gauche, il veut transformer en modèles les militants de 1920, chargés d’inspirer ce que le PCF compte encore de jeunes pousses. Je doute malheureusement qu’ils y trouvent l’héroïsme qu’ils y chercheront peut-être.
Oh oui, raconte-moi une véritable histoire !
Passons sur la maladresse du titre, qui est bien présomptueux. Jean Fréville lui-même, le porte-plume du « stalinien » Thorez, ne s’y était jamais risqué ! Mais soit, j’aime que l’on me raconte des histoires, surtout quand elles sont véritables.
Celle que nous raconte F. Ferrette est assez mignonne. Au sortir de la Première Guerre mondiale, sur laquelle on n’apprendra rien, une poignée de militants dévoués, innocents et révolutionnaires, sans argent et armés de leur seule énergie, décident de prendre le pouvoir en France, et d’abord dans le Parti socialiste. Ils s’organisent dans des sections, des comités qui veulent adhérer à la IIIe Internationale de Lénine, ils sillonnent la France pour combattre la bourgeoisie et la social-démocratie – c’est du pareil au même – et comme ils sont très bons, ils manquent d’emporter le morceau au congrès de Strasbourg en février 1920. Mais voilà, les votes sont manipulés et ils ne parviennent pas à remporter la majorité. Il leur faut attendre quelques mois encore pour que deux ignobles « centristes », le directeur de L’Humanité Marcel Cachin et le secrétaire général du PS depuis octobre 1918, Louis-Oscar Frossard, se soumettent à leur désir après un long voyage de négociations à Moscou et signent, sans vraiment réfléchir, la trop fameuse motion d’adhésion à la IIIe Internationale. Evidemment, ces deux « réformistes » ne sont pas « révolutionnaires » : ils vont pervertir le nouveau parti, le faire dévier du sacro-saint marxisme, et – on ne sait trop comment – le livrer au redoutable ZINOVIEV ! Car c’est bien lui, ZINOVIEV, qui est à l’origine de la perversion bureaucratique du Parti communiste, qui est une organisation fondamentalement démocratique – où chacun, n’est-ce pas, peut se faire entendre avant de se taire.
L’argent, c’est mal
Voilà, en substance, le « pitch » du scénario de la scission selon F. Ferrette. La naïveté de cette reconstruction militante est d’autant plus surprenante que c’est F. Ferrette lui-même qui, dans un mémoire de maîtrise – comme on disait à l’époque – consacré aux effectifs du Comité de la IIIe Internationale, avait montré que les estimations de Kriegel étaient trop basses et qu’il s’agissait bien d’un « parti dans le parti », motivé, bien organisé et décidé à « adhérer ». C’est à ce titre que je l’ai cité dans mon propre livre, convaincu, sur ce point, par ses démonstrations fondées sur le dépouillement de la presse régionale. Le débat cependant, n’était pas tranché sur le caractère « hégémonique » de ce courant d’une force incontestable dans le PS de l’époque. Ses chefs ont toujours prétendu avoir été floués à Strasbourg, mais c’est un argument insuffisant. Pour ma part, je reste convaincu que, sans l’appoint des militants amenés dans le camp de l’adhésion par Cachin et Frossard en août 1920, la scission aurait été minoritaire, comme partout ailleurs en Europe ou presque. Malgré lui, d’ailleurs, F. Ferrette ajoute à mes propres démonstrations d’autres éléments qui confirment bien que la motion d’adhésion de Tours, « signée » par Cachin et Frossard, a bien été négociée par le secrétaire de leur groupe, Daniel Renoult, avec les représentants (alors emprisonnés) du Comité de la IIIe Internationale.
À vrai dire, cependant, je crois que ces discussions légitimes et courtoises n’intéressent guère F. Ferrette. Le portrait des partisans de l’adhésion est d’un simplisme confondant. Pas de question d’argent, bien entendu, ni de présence de Moscou – tout au plus, une « influence » évoquée en une ligne ! Il est vrai qu’il n’existe pour l’instant aucune étude systématique des finances du PCF, ce qui est bien dommage. Mais il est clair, et unanimement admis, que le PCF des années 1920 est largement dépendant du trop fameux « or de Moscou ». Que des intransigeants comme Souvarine en aient fait, après leur exclusion, un instrument de « corruption » du Parti est tout à fait vrai ; mais cela n’empêche que Souvarine lui-même a sans doute bénéficié de l’appui financier de Moscou dans la mise en place du Comité et de son Bulletin communiste.
Pas d’argent, donc pas de calcul : F. Ferrette nous présente une jeunesse militante innocente et candide, « révolutionnaire », quoi ! Il s’est laissé tromper par le portrait que cette relève a dressé d’elle-même : sans formation ni passé, entièrement « née de la guerre », irresponsable de ses actes et de leurs conséquences – et en tout premier lieu, de la scission du « parti de Jaurès ». La naissance du Parti communiste est pourtant bien le fruit d’une opération réussie de relève militante, où un groupe plus ou moins cohérent de militants (jeunes et moins jeunes) utilise son illégitimité même comme un moyen pour renverser les « éléphants » du PS, maîtres de l’appareil. La naissance du PC, c’est une question de génération.
Mon crime
Quant à Moscou, aux bolcheviks et à leurs émissaires, ils sont totalement absents du livre de F. Ferrette. Les nouvelles archives qu’il se targue d’utiliser en quatrième de couverture n’existent pas, et il ne recule pas devant le recours aux idées des autres, sans bien entendu les référer en note quand ils sont, comme j’y suis, dans le « camp du capital ». Cette faille béante dans sa démonstration est d’autant plus grave qu’il m’accuse sans cesse, pour me dépeindre en « ennemi du changement », de vouloir démontrer que le régime des tendances – un peu comme dans le PS d’aujourd’hui – a été supprimé dans le PC non par sa « bolchevisation » après 1924-25, mais par la volonté même de ceux qui, dans le Comité de la IIIe Internationale, voulaient régénérer le socialisme et adhérer à Moscou. Là aussi, le débat me semble ouvert. Il est certain que le régime des tendances d’avant 1914 est rejeté comme un symbole d’impuissance par les « révolutionnaires de la SFIO ». Ce dont le nouveau parti a besoin, c’est d’une direction révolutionnaire, où les débats, sans être interdits, ne peuvent plus la contredire une fois qu’elle est fixée. C’est la question de la minorité et de sa représentation qui est donc en jeu. Reste à savoir par quoi la remplacer, et les appels à la « discipline librement consentie » ne peuvent pas y pourvoir : c’est au contraire à la centralisation progressive du pouvoir dans des organes restreints que l’on assiste, processus appuyé, jusqu’à ce qu’il se retourne contre eux, par ces nouveaux militants décidés à « purger » le Parti. Pire : dès la fin de 1921, les membres du Comité de la IIIe Internationale sont battus à plusieurs reprises lors des congrès nationaux. Ils doivent donc réclamer l’appui de Moscou pour préserver leurs positions et conjurer leur situation de minorité. C’est cette situation baroque qui permet de comprendre pourquoi le Comité s’est progressivement décomposé.
En fait, mon crime pour Ferrette est d’avoir posé la question du parti, la question de l’organisation. F. Ferrette attribue à Zinoviev la « dérive bureaucratique » du PCF. L’explication me semble singulièrement faible pour en éclairer l’histoire. Il s’agit plutôt d’un processus, enclenché dès la fondation du nouveau parti, qui est le résultat de l’action même de la relève militante de 1920, si désireuse d’introduire en France les méthodes imitées des bolcheviks. Certains de ses chefs opposeront encore, au seuil de leur exclusion en 1925 ou 1926, une centralisation « démocratique » et une centralisation « oligarchique » dont ils étaient les victimes. Les bolcheviks, d’ailleurs, connaissent avant la guerre les travaux de Roberto Michels, un élève de Max Weber qui dénonce la dérive oligarchique des organisations4. Mais ils n’ont tenu aucun compte de ces analyses, écartées d’un revers de main au nom de la « vertu » révolutionnaire. Boukharine avait très bien compris que la critique de Michels était radicale et impliquait que « si les socialistes peuvent être victorieux, le socialisme ne peut l’être ». F. Ferrette me présente en « ennemi de la révolution » parce que j’ai osé poser la question de l’organisation. Je crois pour ma part, que le XXe siècle a fourni la démonstration massive et angoissante qu’il est impossible d’y échapper et qu’est contre-révolutionnaire, non pas celui qui la pose, mais celui qui l’évite comme F. Ferrette. Ce dernier, d’ailleurs, ne m’a pas réservé ses coups et il accuse aussi bien les trotskistes – un peu « crispés », dit-il, on les comprend ! – que les socialistes d’y avoir trouvé un intérêt.
Totalitarise-moi ça !
Il reste un dernier point à liquider. F. Ferrette s’appuie sur mon DEA, publié par la Fondation Jaurès en 2004, pour m’accuser d’appartenir à une école « totalitariste » à laquelle il agrège des historiens très différents. Il est vrai que c’est de là que je viens ; mais il est tout aussi vrai que j’ai maintenant pris mes distances avec un concept – le totalitarisme – qui n’est pas sans mérite, mais qui n’échappe pas non plus à la critique. J’ai pu m’en expliquer récemment dans un petit livre dont ce site a bien voulu rendre compte5. Quelle que soit sa force explicative, le totalitarisme est un concept identitaire, qui fonctionne encore dans l’historiographie comme un signal de ralliement. Je crois, pour ma part, que cet âge d’or de la lutte idéologique et historique autour de la menace communiste est révolu, puisqu’il s’est terminé avec l’URSS. Il est désormais possible de juger sans passion de l’utilité d’un concept aussi complexe et controversé. Avec le temps, son utilisation dans l’étude du PC m’est apparue comme un obstacle, plutôt qu’un avantage.
Le concept de totalitarisme est essentiellement un concept « statique ». Il décrit, de manière idéale-typique, la structure d’un État capable d’exercer un pouvoir total. Pour rentrer dans la catégorie « totalitarisme », cet État doit donc présenter un certain nombre de caractéristiques – en particulier un parti unique de masse et une idéologie officielle contraignante. Il est bien difficile de savoir cependant quand et comment un État devient totalitaire, comment et quand il cesse de l’être, quels en sont les limites. Lorsqu’il s’agit d’appliquer cette grille non plus à un État, qui possède le pouvoir, mais à un parti qui en est éloigné, le casse-tête devient insurmontable. On ne peut guère, en fait, conclure qu’à d’éventuelles « prédispositions totalitaires », ce que j’avais fait en 2004, mais cette explication ne me paraît plus aujourd’hui satisfaisante. F. Ferrette affecte d’ignorer entièrement cette discussion que j’ouvre au contraire dans la conclusion de mon livre. Le PCF, sans être totalitaire, a présenté une solution autoritaire à un certain nombre de problèmes propres au mouvement ouvrier français d’avant-guerre, et cette solution a séduit, pour des raisons différentes, plusieurs générations successives de militants – et en tout premier lieu, la génération de 1920. Cette interprétation permet de comprendre pourquoi le PCF est parvenu à capter un héritage proprement français de ce que certains appellent la « démocratie absolue », la « démocratie jacobine » où un égalitarisme radical et niveleur épouse certaines formes de représentation directe et de conceptions de ce que l’on pourrait appeler la « vertu de salut public ». Les communistes, autrement dit, ne sont pas des agents, mais des acteurs ; ce qui m’intéresse, ce sont les motivations positives qui les incitent à adopter un modèle de pouvoir et d’organisation partisane à la fois rigoureux et inédit, diffusé par le Komintern où l’imitation des structures et des pratiques de l’État soviétique va grandissante dès les années 1920, pour culminer à l’époque de Staline. L’appareil inquisitorial communiste n’a pas été « greffé » de l’extérieur, mais adopté par les « indigènes », qui n’ont pas toujours mesuré les effets induits par cette adoption positive.
F. Ferrette affecte de ne rien connaître de ces questionnements. Là encore, cela ne l’intéresse pas. Il préfère agiter la vaine querelle contre François Furet, qui n’est plus lui non plus un historien qu’on peut lire et discuter, mais un « marqueur » qu’on vous colle au front – mais pas de gauche, bien entendu. Pour toutes ces raisons, sa « véritable histoire » me semble surtout être une vague historiette, où la volonté de bien faire s’embourbe dans la phraséologie et l’aveuglement militants.
Notes
1_ Romain Ducoulombier, Camarades ! La naissance du Parti communiste en France, Paris, Perrin, 2010.
2_ Romain Ducoulombier, « Le congrès de Tours : le big bang », L’Histoire, n°359 ainsi que le « rebond » de Jean-Louis Panné dans le n°360.
3_ François Ferrette, La véritable histoire du Parti communiste, Paris, Démopolis, 2010.
4_ Roberto Michels,
5_ Romain Ducoulombier, De Lénine à Castro. Idées reçues sur un siècle de communisme, Paris, Cavalier Bleu, 2011.
http://tempspresents.wordpress.com/2011/11/08/romain-ducoulombier-francois-ferrette/
Khieu Samphan & les Khmers rouges
Khieu Samphan & les Khmers rouges, Le Monde diplomatique (novembre 2011) :
http://www.monde-diplomatique.fr/2011/11/A/46945
Foucault, Deleuze, Althusser & Marx - La politique dans la philosophie
Revue du Projet, n° 10, septembre 2011Foucault, Deleuze, Althusser & Marx - La politique dans la philosophie
Foucault, Deleuze, Althusser & Marx Isabelle Garo, Demopolis, 424 p., 21 euros. Quel a été le rapport à Marx de ces trois grands philosophes français du XXe siècle ? C’est la question à laquelle s’attelle brillamment Isabelle Garo, l’une des organisatrices du séminaire « Marx au XXIe siècle » à l’université Paris-I. En replaçant dans le contexte — celui d’un marxisme omniprésent, quasi dominant dans le monde de la pensée, mais aussi bientôt en recul — des années (...)
Lire la suite sur :
http://www.politis.fr/Parutions,14757.html
Lire l'article de Nicolas Weill paru dans Le Monde
Foucault, Deleuze, Althusser & Marx d'Isabelle Garo, par Nicolas Weill.
Foucault, Deleuze, Althusser & Marx d'Isabelle Garo.
Voici une passionnante enquête sur le rapport à Marx de trois des plus importants penseurs français de la fin du XXe siècle. Une enquête sans complaisance, puisque l’auteure examine le rôle involontaire – joué, selon elle, par ces penseurs dans le tournant antimarxiste et antitotalitaire des années 1970. Le contenu de la philosophie althussérienne, son incompréhension de ce qui s’est passé en mai 1968 ou la critique constante pratiquée par les intellectuels vis-à-vis d’organisations politiques et syndicales alors puissantes qui soutenaient l’idéal communiste, tout cela aurait fait le lit du néolibéralisme. Isabelle Garo replace utilement l’althussérisme dans le contexte de la politique et des débats interne au PCF.
Demopolis, 432p., 21 €
N.W.
http://abonnes.lemonde.fr/livres/article/2011/05/26/foucault-deleuze-althusser-marx-d-isabelle-garo_1527525_3260.html
Foucault, Deleuze, Athusser & Marx d'Isabelle Garo
http://www.marxau21.fr/
Marx au XXIe siècle - L'esprit & la lettre
http://www.marxau21.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=156:foucault-deleuze-althusser-a-marx&catid=63:philosophie&Itemid=86Foucault, Deleuze, Althusser & Marx d'Isabelle Garo
A distance tous les a priori, cet ouvrage aborde de façon originale les œuvres de Gilles Deleuze, Michel Foucault et Louis Althusser. En effet, c'est leur rapport à Marx et au marxisme, situé au point de rencontre de l’activité théorique et de l’engagement, qui est le fil directeur de l’enquête. Il permet de mettre en évidence la nature d’intervention intellectuelle et politique de ces œuvres majeures. Irréductibles à leur contexte, ces trois parcours philosophiques sont en permanence immergés en leur temps et agissent sur lui en retour, contribuant à modifier en profondeur le paysage intellectuel et politique contemporain. Nous sommes les héritiers de ces transformations, alors que se pose de façon renouvelée la question de l'engagement et de l'action politique. L’analyse précise et critique de cette histoire permet seule d’aborder de façon renouvelée la question de l’actualité de ces œuvres, en la reliant à celle de l'actualité du marxisme, à l’heure où ressurgit la question des alternatives au capitalisme.
(Isabelle Garo enseigne la philosophie. Elle a publié notamment Marx, une critique de la philosophie (Seuil, 2000) et L'idéologie ou la pensée embarquée (La Fabrique, 2009). Elle collabore au Séminaire « Marx au 21e siècle » (Paris-I), à la GEME (Grande Edition des Œuvres de Marx et d’Engels en français) et à la revue Contretemps.)
Lire l'article de Lénaïg Bredoux "Le Capital de Marx en manga" sur mediapart
Le Capital de Marx en manga
Lire l'article de Lénaïg Bredoux "Le Capital de Marx en manga" sur mediapart :
http://www.mediapart.fr/club/edition/pol-en-stock/article/190111/le-capital-de-marx-en-manga
Daniel Bensaïd disait du Capital de Marx qu'il était «le grand roman noir» du capitalisme, et invitait à le lire comme un polar. Le voilà qui paraît en manga, avec deux tomes et une préface signée Olivier Besancenot, le porte-parole du NPA.
L'initiative en revient à l'éditeur japonais East Press, qui a adapté l'œuvre maîtresse de Marx à la fin 2008 pour la vulgariser, en imaginant l'histoire de Robin, vendeur de fromages sur un marché. Encouragé par sa rencontre avec un investisseur, le jeune homme décide de transformer la petite activité familiale en véritable industrie, avec, à la clef, l'augmentation des cadences, les mauvais traitements pour les ouvriers, ou encore la baisse de la qualité. Les deux tomes -le second est plus théorique- veulent ainsi expliquer, de façon pédagogique, le concept central chez Marx de la plus-value, mais aussi la formation du capital ou les crises du capitalisme.
«Nous espérons que cette libre adaptation en manga sera pour tous les lecteurs une porte d'entrée pour s'intéresser de plus près à la pensée de Marx», explique l'éditeur qui assume une démarche résolument didactique pour ouvrir au plus grand nombre le Capital, souvent cité mais rarement lu.
Le Capital, Karl Marx, deux tomes, Soleil Manga, 6,95 euros.
Marx en manga
Lire les critiques du Capital de Marx en manga sur ANIMELAND
http://www.animeland.com/critiques/voir/18875
Marx en manga !
Lire la critique de Matthieu Pinonsur le Capital de Marx sur Manga world :
http://www.manga-world.fr/articles/item/1997-le-capital-marx-la-menace
Les éditions Soleil publient le 19 janvier les deux tomes de la version manga du Capital, essai économique de Karl Marx qui fait encore école aujourd’hui. Une excellente initiative malgré de nombreux petits défauts.
Travailleuses, travailleurs !
En 1867, paraît en Allemagne le premier volume d’un essai qui bouleverse le monde, Le Capital – Critique de l’économie politique. Les livres deux et trois sortiront respectivement en 1885 et 1894, grâce aux travaux de Friedrich Engels basés sur les brouillons laissés par Marx, décédé en 1883. Ce dernier avait décrit son œuvre comme "le plus redoutable missile lancé à la tête de la bourgeoisie", et y démontait point par point les rouages du capitalisme, dont il pointait du doigt les contradictions.
A partir de ces travaux naît le marxisme, qui inspirera de nombreux autres mouvements tels que le léninisme : l’impact du Capital est tel que la révolution russe de 1907 lui doit beaucoup. Dense et détaillé, le copieux ouvrage a fait cauchemarder plus d’un étudiant en économie, et découragé les curieux voulant en savoir plus sur le capitalisme.
Des décennies plus tard, au Japon, le studio Variety Artworks se lance dans une aventure éditoriale colossale : transposer en manga des classiques de la littérature mondiale. Si on y retrouve des romans incontournables à toute bonne bibliothèque (Vol de nuit, Faust, Les Misérables…), la collection contient également des titres politiques comme Mein Kampf ou philosophiques comme Ainsi parlait Zarathoustra. Il était logique qu’un monument comme Le Capital y soit intégré.
Illustre essai illustré sans lustre
Découpé en deux volumes, Le Capital version manga reprend les thèmes de l’ouvrage original. Le premier reprend le Livre 1 rédigé par Marx, le second les Livres 2 et 3 compilés par Engels. Afin d’aider le lecteur dans la compréhension, une histoire romancée sert de fil conducteur. On y suit Robin, jeune fromager s’alliant à Daniel, un investisseur sans foi ni loi, pour tirer le plus de profits possibles de son entreprise. Au fur et à mesure que leur société croît, les mangaka peuvent donner des exemples illustrés et concrets démontant point par point les rouages du capitalisme, tels qu’ils apparaissent dans l’ouvrage de Marx : la marchandise, la force de travail, la valeur…
Le tome 2 s’avère beaucoup plus théorique. A travers des exemples d’une simplicité bienvenue (si vous savez compter, vous comprendrez), les principes essentiels sont assimilés par le lecteur, avant d’être appliqués par les héros de l’histoire inventée par Variety Artworks, qui a pris soin de n’en préciser ni le lieu, ni l’année, pour la rendre la plus universelle possible.
Hélas, l’attention portée au matériau d’origine semble avoir été bien plus important que celle consacrée à la concrétisation du projet. Disons-le tout net, les dessins sont loin d’être beaux avec leurs perspectives ratées et leur chara-design approximatif. On tomberait presque dans la caricature avec Daniel le capitaliste, au gros nez, aux lèvres lippues et aux paupières toujours tombantes. Une erreur regrettable en complète contradiction avec le but de la collection. Rendre des classiques de la littérature accessible aux plus jeunes, soit, mais ceux-ci recherchent avant tout un beau graphisme, totalement absent du Capital.
T’as le look coco
On ne peut que féliciter Soleil d’avoir poursuivi la démarche de vulgarisation de Variety Artworks en proposant une version française en sens occidental. Les graphismes sont suffisamment pauvres pour ne rien perdre à être inversés (si ce n’est pour les onomatopées) et le manga se retrouve plus facilement lisible par tous, y compris ceux n’ayant jamais ouvert une BD japonaise de leur vie. La préface d’Olivier Besancenot, sobre et directe, entre également dans cette approche d’accessibilité et rappelle à quel point l'ouvrage reste d'actualité, alors que le monde se remet tout juste d'une crise économique sans précédent.
Une fois les deux tomes lus, on ressort du Capital version manga avec l’agréable sensation d’en avoir appris, et surtout compris, un peu plus sur le principe du capitalisme, tout en ayant conscience que seule la substantifique moelle de l’ouvrage a été conservée. De même, la charge virulente de Marx contre ce principe économique semble atténuée par rapport au livre de 1867 mais reste toutefois présente dans cette version BD. Une version qui se suffira à elle-même pour certains, et qui en incitera d’autres à bûcher l’original.
Sans prétention de rivaliser avec l’original (400 pages de BD contre 3300 pages de texte), la version manga du Capital est une excellente introduction à l’ouvrage majeur de Marx, grâce à des explications simples et accessibles par tous mais n’en remplace pas la lecture. Idéal pour les plus jeunes ou les curieux, cette version digest peut s’avérer un excellent outil pédagogique sans pour autant se suffire à lui-même. On espère que Soleil continuera sa lancée avec d’autres adaptations de Variety Artworks : on est curieux de voir comment des pavés comme Guerre et Paix ont été traités.
©VARIETY ARTWORKS, EAST PRESS CO. , LTD
©2011 MC Productions pour l’édition française
Remerciements à Marlene Hatchi et David Emmanuelli de Soleil Manga
Lire l'article de Romain Felli "Propos impies" dans Pages de gauche : www.pagesdegauche.ch
L'Eglise et l'école de Marceau Pivert
Lire l'article de Romain Felli "Propos impies" dans Pages de gauche : www.pagesdegauche.ch
Ecole : silence, on privatise... par Caroline Fourest
Ecole : silence, on privatise...Ecole : silence on privatise - Revue PROCHOIX
http://www.prochoix.org/cgi/blog/index.php/2010/10/26/2313-prochoix-n53-ecoles-silence-on-privatisehttp://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2009-06-23-Critique-de-l-Etat
Lire l'article du Monde Diplomatique sur "Critique de l'Etat" de Saskia Sassen
http://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2009-06-23-Critique-de-l-Etat
Livres hebdo : En marge du travail très érudit et très sérieux qu’ils mènent depuis plus de dix ans sur les origines du christianisme, Gérard Mordillat et Jérôme Prieur s’offrent un clin d’œil décalé et humoristique en publiant le 11 décembre chez Demopolis De la crucifixion considérée comme un accident de travail.
http://www.livreshebdo.fr/actualites/DetailsActuRub.aspx?id=2506&rubrique=11
Livres hebdo présente "De la crucifixion considérée comme un accident du travail" de G. Mordillat et J. Prieur
Livres hebdo : En marge du travail très érudit et très sérieux qu’ils mènent depuis plus de dix ans sur les origines du christianisme, Gérard Mordillat et Jérôme Prieur s’offrent un clin d’œil décalé et humoristique en publiant le 11 décembre chez Demopolis De la crucifixion considérée comme un accident de travail.
http://www.livreshebdo.fr/actualites/DetailsActuRub.aspx?id=2506&rubrique=11
Feu sur la réalité.
Après avoir mis l’accent sur l’analyse des discours, L. Boltanski veut revenir à une description du réel.
Propos recueillis par ÉRIC AESCHIMANN
http://www.liberation.fr/livres/0101303030-boltanski-feu-sur-la-realite
Lire l'interview de Luc Boltanski dans Libération du 4/12
Feu sur la réalité.
Après avoir mis l’accent sur l’analyse des discours, L. Boltanski veut revenir à une description du réel.
Propos recueillis par ÉRIC AESCHIMANN
http://www.liberation.fr/livres/0101303030-boltanski-feu-sur-la-realite
Le Prix Prescrire récompense depuis 1989 des ouvrages ou documents particulièrement utiles et fiables.
http://www.prescrire.org/aLaUne/dossierPrixPrescrireANNONCE2008.php
"Prix prescrire 2008" décerné au livre de Sonia Shah "Cobayes humains. Le grand secret des essais pharmaceutiques"
Le Prix Prescrire récompense depuis 1989 des ouvrages ou documents particulièrement utiles et fiables.
http://www.prescrire.org/aLaUne/dossierPrixPrescrireANNONCE2008.php
Article sur les inégalités sociale et la santé
Chronique - Roland Pfefferkorn - La Marseillaise – jeudi 6 mai"Marx vivant" article de Roland Pfefferkorn dans La Marseillaise
Chronique - Roland Pfefferkorn - La Marseillaise – jeudi 3 décembre
Marx vivant
« Il est difficile de devenir marxiste. Puis il est difficile de l’être » faisait déjà observer en 1967, Michel Verret dans Théorie et politique, un texte qui a été republié en 2008 par les éditions l’Harmattan. Il ajoutait un peu plus loin : « Personne ne naît marxiste. Chacun peut le mesurer par sa propre expérience : il n’est pas aisé, dans le monde capitaliste d’apprendre à vivre et à penser contradictoirement à l’ordre établi, quand il repose sur la force d’intérêts si puissants, d’illusions si subtiles et de si vieilles habitudes. La tentation n’en est que plus grande, pour qui s’est dépris de l’ordre ancien, de chercher quelque repos dans les sécurités de l’ordre nouveau, de la théorie qui l’annonce comme de la pratique qu’il l’institue ».
Les éditions Syllepse viennent de publier dans la collection Mille Marxismes Le marxisme du 20e siècle, (2009, 302 pages, 24 euros). L’ouvrage du philosophe français André Tosel est précédé d’un avant-propos de Vincent Charbonnier qui ouvre son texte avec les lignes citées de Michel Verret.
Tosel examine quelques moments importants de l’histoire des marxismes du siècle précédent. Son ouvrage témoigne de la richesse des lectures dont les œuvres de Marx ont fait l’objet durant le « court 20e siècle ». Plus précisément, il s’efforce de revisiter et de défendre certaines des interprétations de Marx qui se sont déployées en dehors des orthodoxies.
Le lecteur curieux trouvera dans ce livre un Marx revisité et vivant, un Marx libéré notamment des formules du prêt-à-penser althussérien des années 1960-1970, une époque qui semble désormais révolue, un Marx qui reste fondamentalement un penseur d’une incroyable richesse, par-delà et grâce aux contradictions inhérentes à son œuvre, et un immense chantier à explorer.
L’auteur accorde une place singulière à Antonio Gramsci qu’il considère comme le penseur marxiste hérétique le plus complet, en même temps le plus surprenant, tant par ses questionnements que par ses objets. Il examine les contributions du penseur italien en privilégiant toujours leur dimension critique.
C’est précisément la dimension critique des analyses des auteurs cités qui rend ce livre éclairant au regard des enjeux actuels. Car il s’agit pour Tosel de contribuer à la production d’une théorie critique à la hauteur du double défi que constituent l’échec du communisme historique (autrement dit du stalinisme) et l’hégémonie du capitalisme mondialisé. Et c’est en ce sens que les lectures et les interprétations proposées sont tout, sauf vaines. Car la visée de l’émancipation universelle reste à l’ordre du jour.
Pour prolonger ces remarques sur le livre d’André Tosel signalons aussi deux autres ouvrages. D’une part, un texte inédit en français dans lequel Karl Marx démontre que les crises résultent des contradictions inhérentes au capitalisme ; publié sous le titre, Les crises du capitalisme par les éditions Demopolis (2009, 205 pages, 14 euros) il est précédé d’une longue et stimulante introduction contextuelle de Daniel Bensaïd. D’autre part, le n°34 de la Revue du Mauss, « Que faire, que penser de Marx aujourd’hui » (La Découverte, 2009, 23 euros), montre à quel point la richesse et les contradictions de sa pensée continuent à alimenter des discussions passionnantes.
Un contrepoint grotesque pour finir : il nous a été donné de lire la pauvre prose du futur massacreur de la Commune, Adolphe Thiers. Son libelle Du droit de propriété, datant de 1848, rééditée par les éditions Pagala (2009, 175 pages, 22 euros) exprime surtout la morgue de ceux qui se croient de classe et de race supérieure, qu’on en juge par le final : « Ainsi il était donné, à ceux qui connaîtraient la propriété, de dominer et de civiliser ceux qui l’ignoraient ! Je conclus donc en disant : sans la propriété mobilière, il n’y aurait pas même de société ; sans la propriété immobilière, il n’y aurait pas de civilisation ».
Lire l'article de Dominique Goussot sur L'Eglise et l'école de Marceau PIvert dans la revue La Raison n°555
http://www.fnlp.fr/spip.php?article554
L'Eglise et l'école de Marceau Pivert par Dominique Goussot
Lire l'article de Dominique Goussot sur L'Eglise et l'école de Marceau PIvert dans la revue La Raison n°555
Lire l'article de Laureline Karaboudjan
Laureline Karaboudjan parle de la version manga du Cpital de Marx paru le 19 janvier 2011 sur son blog consacré à la BD "Des bulles carrées :
http://blog.slate.fr/des-bulles-carrees/2011/01/17/le-capital-une-bd-comme-les-autres/
L’œuvre de Karl Marx et Friedrich Engels sort en manga, préfacé par Olivier Besancenot.
«La ligue à Léon, j’ai lu Le Capital, la ligue à Léon, j’ai lu Le Capital, en bande-dessinées la ligue, la ligue…». C’est au cours de mes jeunes années étudiantes que j’ai découvert La ligue à Léon, cette chanson qui moque la LCR sur l’air de la digue du Cul. Les trostkistes y étaient censés militer à Nanterre et vivre à Neuilly, ou bien lire l’oeuvre théorique fondatrice du marxisme en BD. Figurez-vous qu’à partir de mercredi, ce sera possible, puisque Le Capital sort en France sous la forme d’un manga édité par Soleil.
Le Capital adapté en BD, il y a de quoi faire lever plus d’un sourcil. Le texte de Marx, terminé par Engels, traîne une réputation (assez juste) de texte aride et long comme un jour sans pain, malgré sa dimension fondamentale. De plus, c’est un texte théorique, un essai dépourvu de scénario et de personnages comme le serait une fiction. Bref, a priori il n’y a pas pas plus de chances que Le Capital fasse une bonne bande-dessinée que les Fondements de la Métaphysique des Moeurs soient un jour adapté en dessins-animés. Comme le note le leader du NPA Olivier Besancenot dans la préface, «Si Le Manifeste du parti communiste(1848), autre grand texte de l’auteur, est largement lu, Le Capital, au contraire, traîne dans le sillage de son succès la réputation d’être inaccessible.»
Pourtant, le manga tiré de l’oeuvre de Marx est plutôt agréable à lire. Les auteurs (qui ne signent pas, laissant le seul nom du philosophe allemand sur la couverture) ont imaginé une histoire pour mettre en scène les idées communistes du Capital. On suit donc le parcours de Robin, fils d’un fromager, qui rencontre un investisseur qui lui propose de faire passer sa modeste fromagerie au stade de l’usine capitaliste. Malgré les réserves de son père, Robin se lance dans l’aventure avec le but assumé de devenir riche (il est traumatisé par le souvenir de sa mère, morte faute d’argent pour la soigner) et de séduire la fille de banquier dont il est amoureux. Mais plus ça va, plus il va raisonner en termes de marges bénéficiaires plutôt que de lait caillé. Et devoir affronter la colère d’ouvriers qu’il presse de plus en plus.
Ca c’est pour le premier tome. Le tome 2 se veut plus théorique, et son personnage principal est Engels lui-même, qui se fait fort de traduire en concepts l’histoire qui a été présentée dans le tome 1. Le tout créé un ensemble à la fois didactique et distrayant. Ce n’est pas surprenant: le genre du manga manie à la perfection les histoires pédagogiques. On peut tout apprendre avec les mangas, de l’oenologie à la cuisine des sushis en passant par l’histoire de l’Egypte antique. Notons que l’éditeur japonais original du Capital en manga s’est fait une spécialité d’adapter des grands classiques: on lui doit aussi Crime et Châtiment de Dostoievski, Ulysse de Joyce ou… Mein Kampf !
S’il est peu probable de voir un jour l’oeuvre d’Hitler éditée en BD en France, le Capital n’est apparement qu’un début pour l’adaptations d’oeuvres communistes. Car au-delà de la grande tradition de la bande-dessinée rouge (Pif Gadget, Vaillant, etc.), des formes plus récentes de BD s’attachent à propager l’idéologie communiste. En manga pour le Capital donc, en comics pour le manifeste du Parti communiste. Une BD tirée de l’autre grand succès de Marx vient en effet de sortir outre-Atlantique, et doit être disponible en France dès cette année. A voir la bande-annonce, il y l’air d’y avoir du sport :
Toucher un jeune public
Si Das Kapital est publié en manga, c’est pour toucher et convaincre le jeune public, peu susceptible de se plonger dans des longs textes théoriques (et même souvent plus fans de mangas que de bandes dessinées). Après, il n’est pas certain que la manière de raconter permette de s’identifier aux ouvriers martyrisés. Si ce n’est pas précisé, l’action se passe clairement au XIXème siècle, dans une fabrique de fromage de surcroît, peu susceptible d’être le boulot des jeunes d’aujourd’hui. Sauf peut-être à Roquefort-sur-Soulzon. Il aurait été intéressant de situer l’histoire au XXIème siècle, dans un call-center par exemple, ou un supermarché, nos usines modernes. Olivier Besancenot, dans la préface, vante pourtant la pertinence de cet ouvrage, estimant qu’il est un «bon GPS sur le chemin de l’émancipation»:
“Le Capital a été échafaudé à partir de l’observation du monde – qui n’a pas fondamentalement changé depuis –, et dont les crises à répétition désagrègent toujours la société plus de 140 ans après sa parution. Il se dit même que certains capitalistes lisent Marx en douce pour tenter de comprendre ce qui leur arrive. Garde donc précieusement les deux volumes de ce manga, ton employeur pourrait bien avoir envie de te les voler. C’est un bon GPS sur le chemin de l’émancipation.”
Au contraire, l’éditeur Soleil, qui publie le texte et avec qui j’avais discuté de cette prochaine parution au dernier festival Quai des Bulles à Saint-Malo, n’a pas dit au revoir au capitalisme avec cet ouvrage. La maison d’édition estime juste que c’est un texte très important, et qu’en cette période de crise, il y a une demande pour le redécouvrir . Sans vouloir chercher une explication sous chaque bouse de Pétaure, on sait toutefois que le fondateur de Soleil et propriétaire du Racing Club de Toulon, Mourad Boudjellal, ancien gamin d’un des quartiers pauvres de la ville, se sent l’âme à gauche, s‘étant même brièvement engagé auprès du PS en 1995.
«La ligue à Léon, j’ai lu le Capital,
La ligue à Léon, j’ai lu le Capital
En bandes dessinées, la Ligue, la Ligue
En bandes dessinées, la Ligue à Léon Trotsky !»
Laureline Karaboudjan
Illustration : Extrait de la couverture du Capital, tome 2, DR.